Le rapport de la commission des Privilèges du 15 juin 2023 : une procédure riche d’enseignements sur la place de la responsabilité politique des gouvernants dans la démocratie britannique

Par Aurélien Antoine

<b>  Le rapport de la commission des Privilèges du 15 juin 2023 : une procédure riche d’enseignements sur la place de la responsabilité politique des gouvernants dans la démocratie britannique </b> </br> </br> Par Aurélien Antoine

Le rapport de la commission des Privilèges du 15 juin 2023 et validé par les membres de la Chambre des Communes a reconnu que Boris Johnson avait été coupable d’un outrage au Parlement en l’ayant manipulé. L’enquête parlementaire s’ajoute à d’autres qui ont permis de vérifier que le principe de responsabilité politique des gouvernants outre-Manche n’est pas une chimère.

 

The report of the House of Commons Committee of Privileges published on 15 June 2023 and approved by the members of Parliament acknowledges that Boris Johnson is guilty of contempt of Parliament by having misled it. The commission scrutiny is one of a series of inquiries against the former Prime Minister and his Cabinet. The report shows that the principle of political accountability in the UK Constitution is not a pipe dream.

 

Par Aurélien Antoine, Professeur des Universités, Titulaire de la Chaire Droit public et politique comparés, Université Jean-Monnet Saint-Étienne

 

 

 

Boris Johnson, s’il n’a été Premier ministre qu’un peu plus de trois ans, aura mis à l’épreuve la Constitution britannique par sa capacité à en heurter les principes cardinaux et les institutions lorsqu’ils ne lui sont pas favorables. Après le camouflet infligé par la Cour suprême en 2019 à propos de la prorogation du Parlement[1] et la campagne menée au sein de son parti pour le démettre du poste de Premier ministre, c’est finalement le Parlement qui a signé le terme (temporaire ?) de la carrière politique de Boris Johnson. Derrière ce qui s’apparente à une descente aux enfers d’une personnalité qui a joué avec le feu, il est possible de tirer de nombreux enseignements sur les fonctions de contrôle de l’Exécutif dans la démocratie britannique. Contrairement à plusieurs États européens pour lesquels les conséquences institutionnelles de la pandémie de Covid-19 ont été passablement négligées, le Royaume-Uni continue de voir sa vie politique rythmée par des enquêtes distinctes qui, à terme, dresseront un panorama précieux de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement dirigé par Boris Johnson.

 

Le rapport publié le 15 juin par la commission des Privilèges parlementaires[2] succède aux conclusions de deux enquêtes (l’une pénale, l’autre administrative) et précède celles de l’enquête publique qui a débuté ses travaux en mars 2022 sur le fondement de l’Inquiries Act de 2005[3]. Toutes ces procédures s’influencent les unes les autres, même si les résultats auxquels elles sont parvenues ou vont aboutir n’ont pas une nature et une portée identiques. L’enquête diligentée contre Boris Johnson par la Chambre des Communes engage d’abord une responsabilité politique personnelle par le constat d’outrage au Parlement (contempt of Parliament) dont découle la recommandation de sanctions qui auraient dû lui être appliquées s’il n’avait pas démissionné en amont de la publication du rapport.

 

Au Royaume-Uni, il n’est pas rare qu’une carrière de Premier ministre finisse mal par la mise en cause de sa responsabilité politique, la plupart du temps dans le cadre de son propre parti. Depuis le début des années 1990, Margaret Thatcher, Tony Blair, Theresa May, Boris Johnson et Liz Truss sont tous partis du 10 Downing Street en dehors d’une défaite électorale et contre leur gré, parfois sur fond de scandales. Tony Blair avait démissionné pour plusieurs motifs (notamment après avoir engagé l’armée britannique dans le conflit irakien aux côtés des États-Unis en 2003), mais il était surtout empêtré dans l’affaire de l’attribution de la pairie à des donateurs du parti travailliste (Cash for Honours scandal). Le financement trouble du Labour fit à l’époque l’objet de deux types de procédures : l’une politique, avec l’intervention de la commission de l’Administration de la Chambre des Communes[4], et l’autre pénale qui justifiera la convocation de Tony Blair en tant que témoin devant les autorités de police en 2006, sans qu’il soit poursuivi. Plus d’une quinzaine d’années plus tard, un Premier ministre en exercice fut de nouveau mis en cause pour ne pas avoir respecté le droit. À la fin de l’année 2021, le tabloïd The Daily Mirror révéla que des fêtes avaient été organisées à Downing Street durant les périodes de confinement en 2020 et en 2021. Il s’ensuivit le lancement de quatre enquêtes : pénale, administrative, parlementaire et publique.

 

Au moment où les conclusions des autorités pénales et administratives n’étaient pas encore connues, Boris Johnson avait dû se défendre sur le sujet du partygate lors de plusieurs séances de questions au Premier ministre en décembre 2021. Il avait affirmé que toutes les instructions de sécurité liées à la pandémie avaient été strictement observées, qu’aucune fête n’avait eu lieu et que nulle réglementation anti-COVID-19 n’avait été enfreinte. Les investigations pénales et administratives ont permis de prouver l’inexactitude des allégations de Boris Johnson. Dès lors, par une motion du 21 avril 2022 qui précéda d’environ un mois les résultats définitifs de l’enquête administrative, la Chambre des Communes se résolut à saisir la commission des Privilèges afin de savoir si les propos du Premier ministre visaient à tromper le Parlement, et par conséquent, constituaient un outrage. La conjonction des trois procédures (à laquelle il faut ajouter l’enquête publique encore en cours) confine au cas d’école pour qui souhaite comprendre quels types de contrôles sont susceptibles de se cumuler à l’égard d’un gouvernement dans un cadre juridique qui en assure la distinction claire. C’est bien le volet parlementaire, succédant aux enquêtes pénales et administratives, qui restera dans les annales en raison de son exemplarité.

 

 

1. Un volet parlementaire succédant aux enquêtes pénales et administratives

Dans les siècles passés, les conflits politiques en Angleterre puis en Grande-Bretagne se réglaient bien souvent sur le terrain pénal. L’émergence d’un parlementarisme pacifique outre-Manche résulte notamment de la mutation de la procédure d’impeachment, d’essence pénale, en une responsabilité politique des ministres devant les chambres, sanctionnées le cas échéant par la seule démission – et non par une peine de prison ou l’échafaud. Le contempt of Parliament recélait également une dimension pénale qu’il n’a pas perdue formellement cependant (contrairement à la défiance ou la censure). En théorie, les chambres disposent toujours de prérogatives pénales. Jusqu’au XIXe siècle, la constatation de l’outrage conduisait régulièrement au prononcé d’amandes ou de peines de prison qui pouvaient être effectuées au sein même de Westminster[5]. Désuètes historiquement, elles paraissent en outre peu conciliables avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme transposée en droit interne par le Human Rights Act de 1998, puisque l’exercice d’un pouvoir de nature pénale par le Parlement peut être vu comme un cumul de pouvoirs (législatif et juridictionnel) incompatible avec le principe d’impartialité[6]. Les incertitudes juridiques pesant sur l’outrage fait au Parlement justifient que sa fréquence se soit considérablement réduite tout au long du XXe siècle. Son « succès » récent résulte de l’attitude de Premiers ministres qui, depuis 2018, rechignent à se soumettre aux exigences du principe de transparence. Avant le contempt retenu par la commission des Privilèges à l’encontre de Boris Johnson, Theresa May et son Cabinet en avaient été aussi accusés pour avoir tenté de dissimuler au Parlement le contenu de l’analyse juridique du projet d’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne[7].

 

La disparition de fait de la nature pénale du contempt comme de l’impeachment et la nette différenciation entre le politique et le pénal emporte une remarque. Comme le rappelle Jack Simson-Caird dans son étude à propos de l’impeachment (et qui s’applique également à l’outrage), « cette procédure prospérait à une époque où le Parlement et les juridictions ne jouissaient que d’un pouvoir de contrôle très limité sur les prérogatives du Gouvernement. Plusieurs mécanismes ont été développés au fil de l’ère politique contemporaine afin de contrôler l’Exécutif. Ils incluent les questions parlementaires, les enquêtes menées par les Select committees ou par les commissions indépendantes »[8]. Lue a contrario, cette évolution confirme que le phénomène qui prend de l’ampleur depuis plusieurs décennies dans les démocraties occidentales sous l’expression de « pénalisation de l’action publique » (régulièrement évoqué sur ce blog[9]) est un recul préoccupant du parlementarisme et de dispositifs démocratiques qui continuent heureusement de s’imposer outre-Manche.

 

Durant son enquête, la commission des Privilèges ne s’est pas positionnée sur ce qu’elle nomme des « problématiques techniques ». Elle n’avait pas à qualifier des actes sur un fondement pénal et du common law, mais devait déterminer si les déclarations de Boris Johnson devant le Parlement avaient porté atteinte à sa fonction de contrôle du gouvernement selon les règles et les usages, parmi lesquels figurent les Standing orders et les pratiques antérieures[10]. Le point commun entre les enquêtes pénales et parlementaires réside dans leur caractère contradictoire et équitable[11]. Ainsi que le rappelle Cécile Guérin-Bargues, « le contempt of Parliament est modelé sur la procédure de contempt of court qui vise à garantir, pendant le temps du procès, l’exercice libre et impartial de la justice. Il tend à faire des privilèges du Parlement anglais non de simples exemptions, à l’image des immunités parlementaires, mais de véritables prérogatives »[12].

 

L’enquête pénale sur l’attitude de Boris Johnson et de l’ensemble des membres de son gouvernement a été menée par le Metropolitan Police of London avant celle de la commission des Privilèges. Dans un premier temps, la police londonienne avait refusé de lancer des investigations par crainte, justement, de basculer dans des considérations politiques. Cependant, en raison des vidéos, photos et témoignages qui circulaient, elle a dû se résoudre à envisager des sanctions à l’encontre des contrevenants aux règles de confinement. Ce fut une décision inédite, car, dans l’affaire du Cash for Honours, l’Attorney General (à la fois membre du Cabinet et son conseil juridique censé être objectif [13]) avait recommandé de ne pas poursuivre le Premier ministre, soulevant de vives critiques[14]. Tony Blair a échappé à une condamnation pénale, contrairement à Boris Johnson et bien d’autres personnes ayant participé aux fêtes du Downing Street, en particulier Rishi Sunak, le futur Premier ministre. Tous ont dû s’acquitter du paiement de la somme de 50 £.

 

En parallèle des recherches de la police de Londres, la haute fonctionnaire Sue Gray a confirmé la gravité des comportements des ministres et de leurs équipes. Le rapport du 25 mai 2022 est sans ambiguïté[15] et a constitué, tout comme l’enquête pénale, une base solide aux travaux de la commission des Privilèges. Bien que ne disposant d’aucun pouvoir de sanction, Sue Gray a surtout grandement contribué au départ de Boris Johnson du 10 Downing Street. S’il a échappé le 6 juin à une défiance en tant que chef du parti conservateur par un vote interne emporté avec une majorité en apparence confortable, l’accumulation de multiples scandales par la suite entraînera des démissions en chaîne au sein du gouvernement[16]. Lâché par les ministres les plus influents, Boris Johnson mit fin à ses fonctions de leader des tories le 7 juillet 2022 et de Premier ministre le 6 septembre. Cette première phase de l’engagement de la responsabilité politique s’est donc complétée d’une seconde étape qui a eu pour effet d’écarter Boris Johnson du Parlement.

 

 

2. L’exemplarité du rapport de la commission des Privilèges parlementaires

Malgré les reports et les pressions, la commission des Privilèges de la Chambre des Communes a produit un rapport au contenu exceptionnel dont les recommandations sont inédites. Pour le comprendre, il importe de rappeler quel fut l’objet précis de son enquête, quelques éléments de procédure, et les sanctions qu’elle a soumises au vote des MPs, quand bien même Boris Johnson s’est retiré de son siège quelques jours avant leur divulgation.

 

La commission, transpartisane, est composée de sept élus dont quatre sont conservateurs, deux travaillistes et un du parti national écossais. Elle s’intéresse aux privilèges de la Chambre et de ses membres qui leur permettent de s’acquitter convenablement de leurs missions. Chèrement acquis contre le monarque, ces privilèges sont indispensables à l’indépendance des MPs et des Lords. La liberté d’expression presque totale qui leur est reconnue dans l’exercice de leurs fonctions en est la principale manifestation. Il s’agit ni plus ni moins de la « fondation de la démocratie constitutionnelle » britannique[17]. Tout écart est en principe immunisé de l’intervention des autorités judiciaires[18]. En contrepartie, il appartient aux chambres de vérifier que les élus et les pairs respectent les règles qu’elles édictent dans les Standing orders ou qui résultent des usages et des conventions de la Constitution qui sont compilés dans le Traité d’Erskine May[19]. Le contrôle opéré par l’institution sur ses membres recèle donc une double nature : disciplinaire et politique dans la mesure où les décisions prises peuvent conduire à empêcher temporairement un parlementaire d’exercer ses fonctions politiques, voire d’être contraint de se représenter devant les électeurs en ce qui concerne les députés. Deux commissions permanentes ont un rôle de supervision des activités des MPs aux Communes : celle des Standards et celle des Privilèges qui, avant 2012, étaient fusionnées. Les deux commissions sont d’ailleurs présidées par la même personne. Toutefois, à la suite de propos mettant en doute son impartialité, le président Chris Bryant a dû céder sa place à Harriet Harman pour diriger les débats relatifs à l’enquête sur les agissements de Boris Johnson.

 

La commission des Standards a acquis son autonomie après le scandale des notes de frais qui avait touché un nombre important de parlementaires ayant sollicité le remboursement de sommes utilisées à des fins personnelles et non pour l’exercice de leur mandat[20]. La commission supervise le travail du commissaire indépendant sur les Standards, s’assure du respect du Code de conduite de la Chambre[21], et vérifie la bonne tenue des registres de déclaration d’intérêts. Sa composition est originale, car la moitié de ses membres est extérieure à la Chambre des Communes afin d’en garantir la plus grande impartialité possible. Boris Johnson, en vue d’entraver les poursuites visant son ami Owen Patterson, a voulu les écarter dans le cadre d’une réforme qui fut finalement abandonnée en raison de la bronca qu’elle a suscitée[22]. L’essentiel de l’activité de la commission consiste donc à identifier les conflits d’intérêts et le détournement des fonds du Parlement. Elle a le pouvoir de recommander des sanctions à la Chambre qui sont équivalentes à celles de son homologue des Privilèges[23].

 

La commission des Privilèges n’a pas exactement la même mission que celle des Standards. Elle ne s’intéresse qu’aux questions en rapport avec le privilège parlementaire. Bien souvent, elle vérifie la façon dont la liberté d’expression des MPs a été utilisée. S’il existe des soupçons quant à un emploi fallacieux de cette liberté en vue de tromper le Parlement, elle peut lancer une enquête et, le cas échéant, constater un outrage à la Chambre. En ce qui concerne Boris Johnson, la commission a débuté ses travaux le 29 juin 2022, après la divulgation définitive du rapport Gray. Elle a publié un rapport intermédiaire en mars 2023 avant celui du 15 juin.

 

La commission a d’abord caractérisé avec rigueur le comportement de Boris Johnson sur la base de la définition de l’outrage donné par le traité d’Erskine May (§ 15.2). Ils doivent, de façon directe ou indirecte, « empêcher ou gêner » l’exercice de leurs missions par les chambres ou de celui d’un ou plusieurs MPs. Aucune liste d’actes ou de faits n’est établie par le traité qui qualifie les contempts de « concept vivant » (leaving concept) dont il faut rappeler que, à l’origine, il relevait de compétences pénales du Parlement aujourd’hui tombées en désuétude. L’accusation de contempt peut être portée contre toute personne physique et organisme public ou privé.

 

Concrètement, la commission s’est d’abord fondée sur des déclarations devant le Parlement qui auraient porté atteinte à l’exercice de sa fonction de contrôle du gouvernement selon les règles et les usages parlementaires. En vertu de prérogatives qui lui sont propres, elle a exigé de Boris Johnson qu’il témoigne le 22 mars 2023. Bien que les conseils juridiques n’aient pu participer à l’audition, ils ont soumis des argumentaires écrits. À la suite de sa déposition, Boris Johnson a fourni un compte-rendu détaillé de ses explications. La commission a confronté ses dires aux pièces dont elle disposait, à des témoignages de personnes présentes lors des fêtes, et aux autres propos tenus par Boris Johnson en dehors du Parlement.

 

Ensuite, le point essentiel que l’enquête a dû aborder consistait à savoir s’il avait sciemment omis des éléments et menti aux Communes lors de ses déclarations, ou si l’ancien Premier ministre avait simplement fait preuve d’une forme de négligence en agissant sans avoir l’intention de violer les règles de confinement. Le rapport d’étape de mars 2023 soulignait ainsi qu’il fallait vérifier si les affirmations de Boris Johnson étaient vraies ou fausses, « involontaires, imprudentes, ou non intentionnelles » et « dans quelle mesure elles ont été corrigées promptement et de façon exhaustive »[24]. À partir des réponses transmises par l’accusé, la commission a conclu que le fonctionnement et les missions du Parlement avaient été perturbés. Dans son rapport final, elle relève que Boris Johnson a été coupable d’avoir délibérément trompé la Chambre et la commission, d’avoir abusé de la confiance des institutions, d’avoir contesté la légitimité de la commission et, en conséquence, d’avoir tenté de saper un processus parlementaire démocratique, et d’avoir multiplié les intimidations contre la commission[25].

 

À partir de ces qualifications qui constituent un « grave outrage » au Parlement, la commission a requis une sanction appropriée : 90 jours d’exclusion et le retrait de l’accès illimité à Westminster. Une telle décision, qui se serait appliquée au cas où le fauteur de troubles n’avait pas démissionné le 9 juin, aurait pu conduire à une procédure de rappel sur le fondement du Recall of MPs Act de 2015 (qui peut aussi être mobilisé en cas d’infraction pénale ou de violation des règles relatives aux standards de comportement). Selon le texte de 2015, après le vote de l’exclusion, « le Speaker donne une notification à l’officier chargé des pétitions qui est subséquemment transmise aux électeurs de la circonscription concernée. La pétition est ouverte pour huit semaines. Au terme de cette période, si 10 % des électeurs inscrits l’ont signée, le siège est déclaré vacant et un scrutin partiel s’ensuit. Le parlementaire visé a la possibilité de se présenter. La campagne relative à la pétition est encadrée, notamment financièrement »[26].

 

Après un débat à la hauteur de l’exceptionnalité du rapport, les MPs (qui furent libres de leur vote sans que les whips imposent la discipline partisane) l’ont largement approuvé lors d’un scrutin prévu, non sans un hasard ironique, le jour de l’anniversaire de Boris Johnson, le 19 juin (354 voix contre 7 et 255 abstentions conservatrices). La commission a jugé utile de prolonger ses travaux à la suite des accusations de partialité et de tentatives de décrédibilisation de l’institution de la part de Boris Johnson dans sa lettre du 9 juin – dans laquelle il qualifie la commission par le langage fleuri dont il est coutumier de kangaroo court (tribunal inique ou « bidon »).

 

Le départ de Boris Johnson du Parlement et le vote du 19 juin ne signent pas la fin des enquêtes liées au comportement répréhensible de plusieurs ministres durant les périodes de confinement. Les recherches menées par Heather Hallett sur la base de l’Inquiries Act de 2005 se poursuivent sur fond de disputes entre Boris Johnson et Rishi Sunak, le premier considérant que le second (qui n’était pas présent lors du scrutin du 19 juin) devra aussi rendre des comptes au Parlement du fait de sa participation aux réunions interdites à Downing Street. La démocratie britannique est loin d’en avoir terminé avec les actes condamnables de ses gouvernants et c’est finalement heureux, car le Parlement britannique démontre qu’il est un acteur majeur du respect de l’accountability par l’Exécutif[27]. À cet égard, et malgré les crises récurrentes auxquelles il doit faire face, le parlementarisme britannique continue d’être un exemple.

 

 

 

[1] R (Miller) v The Prime Minister [2019] UKSC 41 (Miller 2).

[2] House of Commons Committee of Privileges, Matter referred on 21 April 2022 (conduct of Rt Hon Boris Johnson): Final Report, Fifth Report of Session 2022-23, HC 564, 108 p.

[3] Ces enquêtes indépendantes néanmoins commandées par l’Exécutif sans intervention du Parlement, mais souvent sous la pression de l’opinion publique et médiatique, ont pour objet d’éclairer les citoyens et les institutions sur la gestion d’une politique publique ou sur tout sujet d’une importance publique particulière (v. G. Cowie, Statutory public inquiries: the Inquiries Act 2005, House of Commons Library, Briefing SN06410, 8 nov. 2021, 52 p.).

[4] House of Commons Public Administration Select Committee, Propriety and Peerages Second Report of Session 2007-08, HC 153, 163 p.

[5] Op.cit., § 271. Le dernier « enfermement » à la tour de l’horloge remonte à 1880.

[6] V. Joint Committee on Parliamentary Privilege, Report of Session 2013-14, HL Paper 30, HC 100, § 48 et s.

[7] Sur ce contempt, v. C. Guérin-Bargues, « Brexit : au mépris du Parlement ? Theresa May, entre “contempt of Parliament” et fragile soutien de sa majorité », JP Blog, 18 déc. 2018.

[8] Impeachment, House of Common Library, Briefing paper n° CBP7612, 6 juin 2016, p. 7.

[9] Nous pensons notamment aux analyses de Cécile Guérin-Bargues et Olivier Beaud et notamment, dans la cadre de la pandémie de Covid-19, « CJR et plaintes pénales contre les ministres : la “machine infernale” est lancée », JP Blog, 9 juill. 2020.

[10] House of Commons Committee of Privileges, op. cit., p. 4.

[11] Second Report of Session 2022-23, Matter referred on 21 April 2022: proposed conduct of inquiry, HC 632 ; Third Report of Session 2022-23, Matter referred on 21 April 2022: comments on joint opinion of Lord Pannick KC and Jason Pobjoy, HC 713, 26 September 2022.

[12] Op. cit.

[13] Cette objectivité a pu être constatée à l’époque des discussions sur les projets d’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE. V. notre article « L’Attorney General : un organe clef que le Brexit a mis en lumière », JP Blog, 25 mars 2019.

[14] V. House of Commons Constitutional Affairs Committee, Constitutional Role of the Attorney General, Fifth Report of Session 2006-07, HC 306, 158 p.

[15] Cabinet Office, Findings of second permanent secretarys investigation into alleged gatherings on Government premises during Covid restrictions, 25 mai 2022, 60 p.

[16] Sur cette démission, v. notre billet « Vote de confiance du 6 juin : une vraie victoire pour Boris Johnson ? », Blog du Club des Juristes, 8 juin 2022.

[17] Selon la formule retenue par la Court of Appeal dans son arrêt Chaytor v A-G [2010] EWCA Crim 1910, § 5.

[18] Pour un aperçu du régime juridique précis et des exceptions pénales au privilège parlementaire, v. notre ouvrage, Droit constitutionnel britannique, Lextenso-LGDJ, 3e éd., 2023, p. 204 et s.

[19] Parliamentary Practice, 25th ed. (disponible en ligne : https://erskinemay.parliament.uk/

[20] La commission doit être distinguée de la commission indépendante sur les Standards de comportement dans la vie publique, autorité administrative qui vérifie l’éthique de toute personne ayant des fonctions publiques au sein de l’Administration à partir de sept principes (désintéressement, intégrité, objectivité, responsabilité, transparence, honnêteté et leadership). La commission parlementaire sur les Standards retient également ces sept principes dans l’analyse des comportements des MPs.

[21] Ce code est régulièrement mis à jour : House of Commons, The Code of Conduct. The Guide to the Rules relating to the Conduct of Members, 2023, HC 1083, 53 p.

[22] “Boris Johnson to back bid to overturn Owen Paterson lobbying inquiry”, The Guardian, 2 nov. 2021.

[23] L’ancien ministre de la Santé, Matt Hancock (en raison de pressions sur une procédure en cours contre un autre MP accusé de conflit d’intérêts), une députée travailliste (pour non-déclaration de certains revenus), et une nationaliste écossaise (pour violation des règles de confinement) ont récemment fait l’objet d’une enquête.

[24] Op. cit., p. 4-5.

[25] Op. cit., p. 4-7.

[26] Droit constitutionnel britannique, op. cit., p. 158. Quatre rappels ont été lancés depuis 2017 (le dernier est en cours et touche une députée du Parti national écossais qui a violé les règles de confinement en 2020). Deux ont abouti. Bien souvent, les MPs dont les actions condamnables identifiées par la loi de 2015 ne font pas de doute démissionnent avant même que la procédure aille à son terme afin d’éviter le caractère infamant d’un recall.

[27] Principe de nature constitutionnelle selon la Cour suprême (Miller 2, § 46 et s).

 

 

 

Crédit photo : Pippa Fowles / No 10 Downing Street / CC by-NC-ND 2.0