Un présidentialisme débridé. Remarques sur la création du « Conseil présidentiel de la science »

Par Thibault Desmoulins

<b> Un présidentialisme débridé.  Remarques sur la création du « Conseil présidentiel de la science » </b></br></br> Par Thibault Desmoulins

La création récente d’un « conseil présidentiel de la science » n’a pas seulement été annoncée par le chef de l’État au prétexte d’une « crise de compétitivité » de la science française. Elle poursuit une mutation institutionnelle plus large du pouvoir présidentiel sous la Ve République, dont les organes discrétionnaires se multiplient et provoquent autant d’immixtions du chef de l’État dans les politiques publiques et la sphère gouvernementale.

 

The almost new « presidential council of science » is not only motivated by some « crisis of competitivity » in the french scientific research. It perpetuates a wider institutional change of the presidential power, which discretionary organs multiplies and thus enables perpetual immixtions of the Head of State in various public policies and, broadly, in the governmental sphere.

 

Par Thibault Desmoulins, Docteur en droit de l’Université Paris Panthéon-Assas, Qualifié aux fonctions de maître de conférences en droit public (CNU 02)

 

 

 

« Le monde bascule » (sic) et, parmi « tant de priorités d’urgence »[1], le président de la République a décidé, le 7 décembre dernier, d’affronter la « crise de compétitivité » de la recherche française qu’aurait révélé « une forme d’étrange défaite. Le principe même de l’ARN messager, ce sont des Français, d’ailleurs primés pour cela qu’ils l’avaient découverts. La question, c’est comment, à un moment donné, on a perdu le fil et on n’a pas réussi à garder chez nous, en tous cas pour être au cœur de cette compétition de cette excellence » (Ibid.).

 

En réaction à cette crise, le chef de l’État a créé un « conseil présidentiel de la science », lequel rassemblera désormais 12 membres éminents, issus de l’enseignent supérieur et de la recherche, parmi lesquels quatre chercheurs CNRS, deux prix Nobels, un membre du Collège de France et un membre de l’Institut, afin d’éclairer et d’éprouver les volontés présidentielles.

 

Les conseils présidentiels demeurent cependant des organes exécutifs informels, méconnus et d’autant plus étranges qu’ils sont présentés comme des créations spontanées et libres de la présidence de la République, capables d’incarner autant de solutions à des crises ou des nécessités politiques. Un court examen suffit à en rappeler non seulement la fonction d’expertise et consultative (I), mais aussi et surtout l’effet déstabilisant au sein de l’Exécutif (II) et, plus largement, au sein d’un régime marqué par la croissance débridée du pouvoir présidentiel (III).

 

 

I. Une fonction d’expertise auprès de la présidence

Les « conseils présidentiels » doivent être entendus dans une acception propre comme une catégorie d’organes exécutifs distincts des autres conseils et notamment du conseil des ministres et des conseils de défense. On les retrouve plus communément en droit constitutionnel comparé au sein de régimes présidentiels étrangers tels que les États-Unis, la Russie, la Hongrie, de nombreux pays d’Afrique et d’Extrême-Orient. En France et sous la Ve République, ils sont néanmoins atypiques et caractéristiques de la présidence d’Emmanuel Macron[2].

 

À cet égard, les conseils présidentiels ne sont pas des organes gouvernementaux : les ministres et les politiques en sont absents, c’est pourquoi il serait inexact d’y voir une résurgence de la polysynodie ou des conseils de gouvernement. Ils ne sont pas non plus des organes administratifs spécialisés, à l’instar des comités, haut-conseils ou des agences et autorités car ils ne possèdent aucune compétence attribuée ni aucun lien organique avec d’autres services, auxquels ils se juxtaposent.

 

Les membres des conseils présidentiels sont invariablement issus de la société civile au sens large. Le conseil présidentiel « de l’Afrique » (août 2017) rassemblait des membres de la diaspora africaine, celui « des villes » (déc. 2017) des habitants des quartiers, celui « du développement » (mai 2023) des acteurs et volontaires de solidarité internationale, celui « de la science » (déc. 2023) des chercheurs de toutes disciplines. D’un point de vue fonctionnel, les membres de ces conseils doivent donc être considérés comme les experts d’un domaine à l’intérieur duquel la présidence conçoit d’intervenir, de planifier voire de réformer à quelque fin que ce soit.

 

Les conseils présidentiels en eux-mêmes se voient attribuer un rôle, « de suivi, d’alerte et de relais de l’action » du chef de l’État qui est un rôle purement consultatif et facultatif [3]. Plus récemment, le conseil présidentiel de la science a pour mission précise d’apporter « des éclairages sur des sujets scientifiques qui ne font pas forcément la Une de l’actualité, mais sur des enjeux d’avenir »[4]. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’organes décisionnels : entre autres exemples, ils ne disposent pas de la compétence réglementaire – à la différence du conseil des ministres –, et ils ne sont pas non plus des « lieux » de décision du chef de l’État – à la différence des conseils de défense. Bref, ce sont des organes consultatifs de préparation des décisions et des réformes présidentielles.

 

 

II. Une inflation exécutive issue de la présidence

Dans cette perspective, la création de nouveaux organes en forme de conseils est certes connue pour illustrer le présidentialisme ou, plus communément, une sorte d’« hyperactivité » présidentielle. En témoigne l’utilisation récente du conseil de défense et de sécurité nationale, dans ses diverses formations — restreinte, plénière, sanitaire, écologique, énergétique —, ainsi que du « conseil scientifique » à compter de la crise sanitaire[5].

 

Les conseils présidentiels strico sensu ont pour caractéristique commune avec les autres conseils, et encore plus saillante, d’être purement informels. On cherchera en vain leur fondement juridique et leurs textes organisateurs, alors même qu’ils sont directement rattachés à l’Élysée et se situent ostensiblement « au sommet de l’État », comme autant d’institutions que l’on s’attendrait à trouver soit dans la constitution, soit dans la loi. Cette absence s’avère d’autant plus frappante qu’elle ne recouvre pas même quelques règles couvertes par le secret ; ces dernières n’existent tout simplement pas. Les conseils présidentiels dépendent de la pure et simple discrétion présidentielle.

 

L’architecture du régime politique s’en trouve certes modifiée car chaque nouveau conseil présidentiel évince des solutions alternatives ou des structures préexistantes. Le conseil présidentiel de la science, par exemple, se substitue à la recommandation issue du rapport Gillet (juin 2023) de créer un « haut conseiller à la science »[6]. Le conseil présidentiel des villes, quant à lui, succède à un conseil national des villes qui bénéficiait quant à lui d’un fondement réglementaire et d’un rattachement primoministériel clair (décret n° 88-1015 du 28 oct. 1988). Les autres conseils présidentiels, de l’Afrique ou du développement, supplantent quant à eux des cellules ministérielles et interministérielles qui existaient jusqu’alors.

 

Il faut toutefois se garder d’évoquer à leur endroit un évitement des mécanismes de responsabilité politique, attendu qu’ils ne servent pas aux prises de décisions elles-mêmes mais à leur préparation. Le déplacement de ce travail vers la présidence montre, en revanche, une immixtion de cette dernière dans les consultations et les moyens de préparation des décisions – qui s’avère plus récent et singulier dans la Ve République –, ainsi qu’un mouvement plus large de manque de transparence de ce processus. On soulignera à cet égard que l’Élysée a d’ores et déjà annoncé que les avis du conseil présidentiel de la science ne seront pas rendus publics, tandis que les travaux de ses prédécesseurs ne l’ont été que de manière discrétionnaire.

 

L’ensemble de ces caractéristiques fait participer les conseils à une forme d’instabilité et d’inflation exécutive autour de la présidence, qui voit de très nombreux conseils aux fonctions hétérogènes se succéder, parfois, et se multiplier, toujours. Or, ces innovations déstabilisent le travail gouvernemental, déjà caractérisé par des arbitrages présidentiels et des politiques prioritaires pilotées par l’Élysée, au détriment de la coordination gouvernementale théoriquement du ressort du Premier ministre. En outre, l’origine informelle de ces conseils engendre une imprévisibilité organisationnelle considérable au sein de l’exécutif, résultant du lien discrétionnaire et politique qui les unit à la présidence et contrastant avec l’ankylose des mécanismes de responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Tout se passe comme si le présidentialisme actuel multipliait à l’infini les conseils ad hoc, créant une inflation de structures jamais vue auparavant et témoignant de la croyance selon laquelle un Président omniscient pourrait résoudre tous les problèmes du pays.

 

 

III. Une mutation institutionnelle du pouvoir présidentiel

Cette perspective générale place les conseils présidentiels sous le feu d’une critique d’ensemble du présidentialisme à l’œuvre sous la Ve République. En effet, si les conseils présidentiels ne sont apparemment pas des organes décisionnels ou opérationnels, le chef de l’État n’en dissimule pas le rôle préparatoire à l’égard de ses propres décisions. En effet, le 7 décembre dernier, dans son discours de création du conseil scientifique, il mentionne le projet d’une « vraie révolution » (sic), destinée à rendre « plus compétitive » la recherche et à remédier à un « morcellement » qui affaiblit sa position mondiale en moins de 18 mois. S’y trouvent évoqués les enjeux et « sujets d’avenir », dès lors soustraits aux délibérations politiques par des conseils exécutifs informels dont les productions ne seront pas publiées. C’est d’autant plus problématique que, comme l’histoire le démontre assez, les « révolutions » ne sont pas censées naître d’un chef de l’État ni, surtout, à travers des processus informels et opaques de préparation.

 

En d’autres termes, la création ad hoc de chacun de ces conseils présidentiels spécialisés contribue à l’essor d’un présidentialisme politique, intervenant et s’appropriant des politiques publiques transversales et des réformes d’ampleur dans des domaines choisis. L’enseignement supérieur et la recherche en constituent la dernière proie[7], au détriment des travaux non seulement gouvernementaux ou parlementaires mais aussi universitaires sur ce sujet[8]. Le domaine de compétence du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche s’en trouve phagocyté, et l’action ministérielle placée sous tutelle. Il en ressort, du point de vue du régime politique, une accentuation du pouvoir présidentiel, dans le prolongement direct des réunions du conseil de défense, phénomène assez paradoxal dans un moment que l’on s’accorde à définir comme celui d’un « présidentialisme minoritaire ».

 

Enfin, la fonction expertale des conseils présidentiels les expose aux mêmes dangers que le conseil scientifique durant la crise sanitaire : une consultation et une utilisation intéressées, si ce n’est instrumentales, des avis rendus. En peu de mots parfaitement exprimés par l’une des membres du conseil présidentiel de la science « l’une de mes craintes est d’apparaître comme une caution scientifique »[9]. L’expérience du conseil scientifique et de tant d’autres mécanismes de consultation permettent d’en douter mais seul l’avenir dira, au cas présent, si l’activité de cet organe dans les 18 mois qui nous séparent de la réforme annoncée, permettra un éclairage salutaire des décisions exécutives ou se prêtera à une utilisation teintée d’opportunisme par la présidence.

 

 

 

[1] Discours du président de la République lors de la réception pour l’avenir de la recherche française, 7 déc. 2023.

[2] Ils possèdent des caractéristiques distinctes des quelques rares antécesseurs que l’on retrouvera par exemple sous la présidence de Jacques Chirac durant laquelle apparaît un « Conseil présidentiel des affaires franco-égyptien », mêlant diplomatie et commerce.

[3] Circulaire du 22 déc. 2017 relative à l’association des parties prenantes à la co-construction de la politique de la ville.

[4] Le Monde/AFP, 7 déc. 2023.

[5] Qu’on nous permette de renvoyer ici à nos billets d’actualité parus ce même blog : https://blog.juspoliticum.com/author/tdesmoulins/ et à notre essai, Pouvoir présidentiel et Covid. Crise sanitaire et mutation institutionnelle de la Ve République qui vient de paraître aux éditions Dalloz, 2013, 198 p.

[6] P. Gillet (dir.), Mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation. Rapport à Madame la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 15 juin 2023.

[7] Ambre Xerri, L’Express, 7 déc. 2023.

[8] T. Mulier, Le Monde, 14 déc. 2023.

[9] Nicolas Berrod, Le Parisien, 7 déc. 2023.

 

 

 

Crédit photo : France Olympique, CC BY-NC-ND 2.0