Vers une destitution du président Biden par le biais du XXVe amendement ?

Par Baptiste Peyrou

<b> Vers une destitution du président Biden par le biais du XXVe amendement ? </b> </br> </br> Par Baptiste Peyrou

Le XXVe amendement de la Constitution des États-Unis prévoit le remplacement du président dans le cas où il serait inapte à exercer ses fonctions. Étant donné que le président Biden a annoncé son retrait de la campagne présidentielle, notamment en raison de son état de santé, la question de sa capacité à demeurer en fonction se pose. Après un bref retour sur l’Histoire et le contenu de cet amendement, il sera expliqué ce en quoi il est adapté à la situation. Enfin, il sera relevé que cette disposition connaît un intérêt politique renouvelé.

 

The XXVth Amendment of the Constitution provides for the replacement of the president in case of incapacity to fulfill his duties. Given that president Biden has announced his withdrawal from the presidential race, notably due to his state of health, the question of his ability to remain in office arises. After a brief review of the history and the content of this amendement, it will be shown why it is adapted to the situation. Finally, it will be noted that this provision is generating renewed political interest.

 

Par Baptiste Peyrou, doctorant à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

 

 

 

“M. Biden, 81 ans, était un homme âgé à la mémoire défaillante et aux facultés diminuées qui ne se souvenait pas de l’époque où il était vice-président, a déclaré le procureur spécial Robert K. Hur[1]. Voilà qui résume la bombe politique que fut le rapport émanant du département de la justice[2] au sujet du président Biden. Ce dernier, rendu public le 5 février 2024, a fait état de la difficulté de traduire le président devant une cour au regard de son état de santé dans l’affaire des documents confidentiels retrouvés en-dehors de la Maison Blanche. Immédiatement après ce rapport, de nombreuses critiques ont émergé. Biden n’a pas nécessairement rassuré sur son état de santé lors de ses apparitions publiques suivant cette révélation. En à peine quelques jours, il a confondu l’Égypte et le Mexique, les présidents Macron et Mitterrand, ainsi que les chanceliers Kohl et Merkel. Après une accalmie due notamment à un discours sur l’état de l’Union réussi, la tempête politique a fait son retour après le débat présidentiel du 27 juin. Biden y a réalisé une performance inquiétante, reconnue comme telle y compris par ses plus fidèles soutiens[3]. De nombreux démocrates ont appelé au retrait de sa candidature. Le 21 juillet, il a publié, sur le réseau social X, un texte contenant notamment la déclaration suivante. “Je crois qu’il est dans l’intérêt de mon parti et dans mon intérêt de me retirer et de me concentrer uniquement sur l’exercice de mes fonctions de président jusqu’à la fin de mon mandat.

 

Malgré son retrait de la course présidentielle, il demeure donc en charge jusqu’en janvier 2025, dans une période où des décisions lourdes sont prises chaque jour. Si Joe Biden est déclaré inapte à être traduit devant une juridiction et qu’il est contraint politiquement de se retirer de la présidentielle, n’est-il pas également inapte à assumer la fonction de commandant en chef ?

 

Une destitution par le biais de l’impeachment apparaît peu crédible au regard de la situation, et ce pour deux raisons principales. D’une part le fondement juridique serait fragile puisque cette procédure nécessite une “mise en accusation et [une] condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs[4], ce qui ne correspond pas à la situation. D’autre part, même si l’impeachment est de plus en plus utilisé à des fins politiques[5], il semble que les républicains n’ont plus vraiment intérêt à cette destitution puisque Biden n’est plus l’adversaire de Donald Trump.

 

Dans le cas où Biden serait effectivement inapte à terminer son mandat, le fondement juridique pertinent serait plutôt celui du XXVe amendement portant sur la succession du président ou du vice-président. Avant de rentrer dans le détail de cette procédure, il convient de revenir sur les conditions de l’adoption de cette disposition. Jusqu’à une période relativement récente, la succession du président était réglée par le précédent Tyler. En 1841, le président William Henry Harrison a perdu la vie. La question s’est posée de savoir s’il incombait à son vice-président, John Tyler, d’assumer la fonction présidentielle et pour quelle durée. Alors que plusieurs pistes de solutions ont émergé, Tyler “se rendit à la Maison Blanche et annonça qu’il assumait la totalité du pouvoir présidentiel[6]. Le congrès vota ensuite une résolution en ce sens. Il est depuis lors admis que le vice-président assume les pouvoirs du président si ce dernier disparaît. Cette pratique s’est poursuivie par la suite (1850, 1865, 1881, 1901, 1923, 1945 et 1963, à chaque fois en raison d’un décès).

 

En réaction à l’assassinat du président Kennedy, le XXVe amendement a été voté en 1965 sous l’impulsion des sénateurs Keating, Kefauver puis Bayh[7], avant d’être ratifié en 1967. Il apparaissait à la fois essentiel de graver cette pratique dans le marbre constitutionnel mais aussi de régler la question d’une fin de mandat prématurée pour une cause autre qu’un décès[8]. Cet amendement a, entre autres, créé une procédure permettant au cabinet de destituer le président en cas d’inaptitude. Ce scénario apparaît adapté à la situation (I), ce qui permet de considérer que cette disposition connaît un intérêt politique renouvelé (II).

 

 

I. Une disposition adaptée à la situation

Le XXVe amendement contient le remplacement du président par le vice-président dans le cas où il doive quitter le pouvoir (section 1), la procédure de remplacement du vice-président si le poste est vacant (section 2), la reconnaissance par le président de sa propre incapacité (section 3), et la constatation par le cabinet de l’incapacité du président à assumer sa fonction (section 4).

 

Quid de l’application de cet article ? La section 1 a été appliquée lors de la démission de Richard Nixon en 1974. La section 2 a été appliquée en suivant dès lors que le vice-président de Nixon, Gerald Ford, était devenu président. Il avait d’ailleurs bénéficié de cette même procédure après la démission de Spiro Agnew, si bien que Ford a été propulsé dans le costume présidentiel sans avoir eu son nom écrit sur le bulletin de vote en 1972. La section 3 a été appliquée par Ronald Reagan et par George W. Bush lorsqu’ils ont dû subir une opération impliquant une anesthésie générale. La quatrième section n’a, pour l’heure, jamais été mise en application. Elle dispose que “lorsque le vice-président et une majorité des principaux responsables des départements exécutifs ou de tout autre organe prévu par la loi du Congrès transmettent […] leur déclaration écrite selon laquelle le président n’est pas en mesure de s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de sa charge, le vice-président assume immédiatement les pouvoirs et les devoirs de sa charge en tant que président par intérim.

 

Il a été admis que cet amendement aurait pu s’appliquer “aux périodes finales des présidences de Woodrow Wilson ou de Franklin D. Roosevelt[9]. Il est par exemple question du rôle joué par Edith Wilson au moment où Wilson était diminué par une attaque cérébrale. “En 1919, personne ne savait que Woodrow Wilson ne gouvernait plus suite à son accident vasculaire cérébral. Ici, c’est sa femme qui assuma la conduite des affaires de l’Etat, et ce jusqu’à la fin de son mandat en 1921[10]. Il aurait pourtant été plus conforme à l’esprit de la Constitution que ce soit le vice-président qui soit placé aux commandes de l’État plutôt qu’un exercice de facto de cette fonction par la première dame.

 

Cette procédure semble correspondre à la situation actuelle puisqu’il est ici question du cas où le président serait inapte à assumer ses fonctions, notamment pour des raisons de santé. Le rapport précédemment mentionné expose la possibilité d’une application de cet amendement aux cas d’anciens présidents s’il avait été en vigueur à ce moment-là. Vu qu’il s’agit de cas comparables, peut-être pourrait-il connaître une application pour le président Biden. Cela est d’autant plus le cas en raison de la reconnaissance implicite de son incapacité en renonçant à la nomination démocrate. Cela permet d’envisager cette disposition comme présentant un intérêt politique renouvelé.

 

 

II. Une disposition à l’intérêt politique renouvelé

Tout d’abord, les membres du cabinet ne sont pas des fonctionnaires neutres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le rapport précédemment cité préconisait l’installation d’un autre organe pour déterminer la responsabilité du président, comprenant, par exemple, le président de la Cour suprême. Les membres du cabinet ont une forme de double loyauté. Ils sont choisis par le président donc tout laisse à croire qu’ils disposent d’une certaine loyauté à son égard, surtout au regard de l’évolution historique favorable à l’exécutif[11]. Les membres du cabinet sont également supposés être loyaux au parti, d’autant plus du fait de la politisation croissante du système politique américain[12] qui incite les représentants à suivre la ligne de leur parti, et encore plus en période électorale.

 

Ces deux loyautés sont imbriquées puisque le président est normalement le chef du parti. Cependant, dans le cas où le président ne se représente pas, c’est le candidat à la présidence qui devient, de facto, le chef du parti. En conséquence, si le parti, incarné par le candidat, a intérêt à ce que le président soit destitué, ces deux loyautés peuvent entrer en conflit au sein du cabinet. Un déclenchement du XXVe amendement connaîtrait une issue incertaine.

 

Dans quel cas ce scénario pourrait-il advenir ? La vice-présidente Kamala Harris étant la plus susceptible de récupérer le flambeau de la course présidentielle, il pourrait être intéressant sur le plan électoral qu’elle soit la présidente sortante. Aussi, une mise en retrait de Joe Biden pourrait lui être bénéfique dans le cadre d’une campagne électorale difficile et aux enjeux considérables.

 

Toutefois, la mise en œuvre d’une telle procédure nécessiterait que la vice-présidente joue un rôle clef. Dans ce cas, Harris risquerait de perdre des soutiens. Au regard de la dynamique électorale favorable à Donald Trump, les démocrates pourront difficilement l’emporter sans que toutes les composantes du parti soutiennent la candidature de Kamala Harris, d’où la difficulté du déclenchement d’une telle procédure dans ces conditions.

 

Face à cette possible impasse, il semble que Joe Biden ait la clef, ce dernier ne souhaitant certainement ni être destitué ni constituer un frein à l’élection d’une démocrate. Si les besoins de la campagne le nécessitent, il est possible que Biden renonce de lui-même à ses fonctions afin de faciliter l’élection de Kamala Harris dans un contexte où la première priorité des démocrates est de battre Trump. Si mettre en application la procédure du XXVe amendement serait un pari risqué[13], sa simple existence constitue un moyen de pression non négligeable en faveur d’une démission du président Biden qui pourrait leur être profitable. Sans qu’il soit nécessaire de la mettre en application, cette procédure peut donc être regardée comme ayant une importance renouvelée.

 

 

 

[1] The New York Times, “Memory Loss Requires Careful Diagnosis, Scientists Say, 9 février 2024

[2] U.S. Department of Justice, Special Counsel’s Office, February, 5, 2024, “Report on the Investigation Into Unauthorized Removal, Retention, and Disclosure of Classified Documents Discovered at Locations Including the Penn Eiden Center and the Delaware Private Residence of President Joseph R. Eiden, Jr. Special Counsel Robert K. Submitted pursuant to 28 § 600. Washington, D. February 2024.

[3] Par exemple, Bernie Sanders, dans son soutien au maintien de la candidature du président sortant, a qualifié le débat de “désastreux. Le Monde, 13 juillet 2024, “Bernie Sanders appelle à soutenir Joe Biden pour la présidentielle américaine malgré les doutes sur sa santé.

[4] Constitution des Etats-Unis, article II, section 4.

[5] Marie-Céline Pallas, “Affaire Mayorkas : l’impeachment est-il devenu un outil politique comme les autres ?, Blog de Jus Politicum, 22 avril 2024

[6] Arnaud Coutant, “Le XXVe amendement : comment remplacer un président américain ?, Revue française de droit constitutionnel, vol. 114, no. 2, 2018, pp. 301-316 ; Leonard Dinnerstein, “The Accession of John Tyler to the Presidency, The Virginia Magazine of History and Biography, vol. LXX, n° 4 (Oct., 1962), p. 447-458.

[7] Birch Bayh, “One heartbeat away: Presidential disability and succession”, Bobbs-Merrill, 1968, p. 372.

[8] Maud Michaut, “Les démocrates pouvaient-ils recourir au 25e amendement pour obliger Joe Biden à se retirer ?, le club des juristes, 16 juillet 2024

[9] Report of the commission on presidential disability and the twenty-fifth amendment, Miller Center Commission n. 4., 1988, p.11.

[10] Abdel-Hafidh Ossoukine, “Du pouvoir de la maladie à la maladie du pouvoir, Droit, Santé et Société, vol. 1-2, no. 1-2, 2018, pp. 73-80.

[11] Thomas E. Patterson, “We The People, An Introduction to American Government, Fifteenth Edition, 2024, pp. 329-338.

[12] Alan I. Abramowitz, Steven W. Webster, “Negative partisanship : why americans dislike parties but behave like rabid partisans, Advances in Political Psychology, Vol.39, Suppl.1, 2018, pp. 119-135.

[13] Maud Michaut préc.

 

 

Crédit photo : The White House / CC 0 / Le 24 juillet 2024, depuis le Bureau ovale, Joe Biden s’adresse à la nation pour expliquer son choix de ne pas se présenter à l’élection présidentielle.