« Nous sommes entrés dans une crise constitutionnelle » : la tribune de professeurs de droit américains

<b> « Nous sommes entrés dans une crise constitutionnelle » : la tribune de professeurs de droit américains </b>

26 février 2025*

 

Les signataires de cette tribune sont des professeurs et des enseignants en droit, désireux de soutenir la cause de la rule of law (prééminence du droit). Notre conviction est que nous sommes entrés dans une crise constitutionnelle.

 

Le Président a signé un certain nombre d’executive orders 1 qui outrepassent son autorité constitutionnelle ou législative. Le Président ne peut pas changer la définition de la nationalité. Il ne jouit pas d’une autorité légale sans limites lui permettant de mettre fin à des dépenses publiques votées par le Congrès. Il ne peut pas non plus imposer de façon unilatérale des conditions nouvelles, à visée politique, pour l’octroi des avantages sociaux. Cela serait de nature à violer les droits constitutionnels des individus, sociétés privées et institutions qui en bénéficient. Il n’a reçu aucune habilitation pour mettre un terme aux activités des agences gouvernementales et des départements [exécutifs] légalement créés, armés de compétences, et financés par le Congrès. Il n’est pas autorisé à confier à des particuliers, qui sans être limités par le droit, pourraient la superviser et prendre le contrôle d’activités de la branche exécutive.

 

Le Gouvernement et les lois des Etats-Unis ne sont pas à la merci du bon plaisir présidentiel. Bien au contraire, le Président est tenu de « faire en sorte que les lois soient fidèlement exécutées »2. Et il est tenu par serment « d’exécuter fidèlement » son office de Président et de « préserver, protéger et défendre la Constitution des Etats-Unis ».

 

Les signataires [de cette tribune] ont des points de vue variés sur les politiques qui sont ici en jeu. Mais nous sommes unanimes à considérer que le Président a agi illégalement et inconstitutionnellement. L’illégalité de ces actions, même quand elle a été constatée par des juridictions fédérales, ne semble pas dissuader le Président. Au contraire, le Président et son administration jouent ouvertement avec l’idée de désobéir aux décisions de justice rendues à son encontre. Le Président n’a-t-il pas dit que « celui qui sauve son pays ne viole aucune loi » ?

 

Nous sommes attristés par le fait d’avoir à expliquer au Président ce principe démocratique fondamental, mais nous le faisons néanmoins : un Président a l’obligation d’obéir à la Constitution aussi bien qu’aux injonctions des tribunaux visant à faire cesser ses menées illégales et inconstitutionnelles. Le droit n’est pas tout ce que dit Monsieur Trump. Monsieur Trump n’est pas roi.

 

Pour reprendre les mots du Président John F. Kennedy : « les Américains sont libres (…) de ne pas être d’accord avec le droit, mais non de lui désobéir. Car dans un Gouvernement des lois et non pas des hommes3, aucun homme, aussi haut placé ou puissant soit-il (…) n’est fondé à défier une cour de justice ».

 

Nous affirmons notre soutien à la démocratie et à la prééminence du droit. Nous nous déclarons les alliés de tous les individus et institutions qui ont été ciblées par des mesures illégales et inconstitutionnelles de contrainte. Notre démocratie peut survivre, mais pas sans le droit.

 

 

Premiers signataires

Kent Greenfield, Boston College (auteur principal)

Floyd Abrams, Yale University

Bruce Ackerman, Yale University

Maryam Ahranjani, University of New Mexico

Lee C. Bollinger, Columbia University

Erwin Chemerinsky, University of California

Alan Chen, University of Denver

Andrew Manuel Crespo, Harvard University

William Marshall, University of North Carolina

Aziz Rana, Boston College

Eric Segall, Georgia State University

Bijal Shah, Boston College

Peter Shane, The Ohio State University; New York University

Geoffrey Stone, University of Chicago 

Julie Suk, Fordham University

 

 

 

* Traduction par Denis Baranger, revue par Olivier Beaud. Le blog remercie le prof. Bruce Ackerman d’avoir autorisé la republication de cette tribune dans nos pages. Le texte original est disponible ici : https://www.acslaw.org/wp-content/uploads/2025/03/We-Are-in-a-Constitional-Crisis-Statement-of-Law-Professors-and-Law-Teachers.pdf

2 NDT. Formule tirée de la section 3 de l’article II de la Constitution des Etats-Unis.

3 NDT. Cette expression (government of laws and not of men) remonte à l’antiquité classique mais a également été souvent employée dans l’histoire politique et juridique américaine.

 

 

Crédit photo : The White House / CC0 / Le 11 février 2025, le président Trump signe des executive orders depuis le Bureau ovale