Avantages des anciens membres du Gouvernement : que dit le droit ? Par Jean-François Kerléo et Elina Lemaire

Alors que la crise politique ouverte par les démissions successives et rapprochées de MM. Bayrou et Lecornu devrait creuser le déficit budgétaire de la France et accroître la défiance des citoyens à l’égard des institutions, la question a inévitablement été posée : de quels avantages les membres de l’éphémère Gouvernement Lecornu vont-ils bénéficier ? Ce billet propose de répondre à cette interrogation, en brossant brièvement l’état du droit et en proposant quelques pistes de réforme.
While the political crisis accentuated by the successive resignations of Mr Bayrou and Mr Lecornu should widen France’s budget deficit and increase citizens’ mistrust of institutions, the question inevitably emerged: what will be the financial advantages of former ministers of the short-lived Lecornu Government? This post proposes to answer this question.
Par Jean-François Kerléo, Professeur de droit public à Aix-Marseille Université, membre junior de l’Institut Universitaire de France et Elina Lemaire, Professeur de droit public à l’Université Bourgogne Europe
836 minutes. Telle aura été la durée de vie du Gouvernement Lecornu, Premier ministre – à ce jour – « le plus éphémère de la Ve République »[1] : nommé par le chef de l’État le 9 septembre 2025, il n’est resté à Matignon que 27 jours.
Alors que la crise politique ouverte par les démissions successives et rapprochées de MM. Bayrou et Lecornu devrait creuser le déficit budgétaire de la France et accroître la défiance des citoyens à l’égard des institutions, la question a inévitablement été posée : de quels avantages les membres du Gouvernement démissionnaire vont-ils bénéficier[2], à l’heure où les Français sont appelés à « se serrer la ceinture » pour tenter de résorber la crise financière ? Ce billet propose de répondre à cette interrogation, en brossant brièvement l’état du droit (I) et en proposant quelques pistes de réforme (II).
I. Tous les membres du Gouvernement ne disposent pas des mêmes avantages en fin de fonctions, le droit en vigueur réservant une place à part au Premier ministre. Ces avantages peuvent être de deux ordres : indemnitaires et/ou matériels[3].
Indemnitaires, d’abord. L’article 5 de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution prévoyait, dès le début de la Ve République, que les anciens membres d’un Gouvernement (Premier ministre compris) qui avaient dû, du fait des incompatibilités prévues par l’article 23 de la Constitution, renoncer à un mandat parlementaire, à une fonction de représentation professionnelle à caractère national ou à un emploi public pour être nommés[4] percevaient, à la cessation de leurs fonctions et pendant six mois au plus ou jusqu’à ce qu’ils aient retrouvé une activité rémunérée, « une indemnité d’un montant égal au traitement qui [leur] était alloué en [leur] qualité de membre du Gouvernement ». Curieusement, ces dispositions n’étaient pas applicables aux anciens ministres qui avaient dû mettre fin, pour entrer au Gouvernement, à une activité professionnelle privée, pourtant également incompatible, aux termes de l’article 23 de la Constitution, avec les fonctions ministérielles.
Le mouvement de moralisation de la vie publique consécutif à l’affaire Cahuzac a conduit le législateur à modifier ces dispositions, mais à la marge. Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, l’indemnité de fin de fonctions n’est plus versée que pour trois mois (au plus – le projet de loi organique prévoyait un mois) et sous réserve que l’intéressé n’ait pas manqué à ses obligations déclaratives (d’intérêts et de situation patrimoniale) auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Selon les termes de l’étude d’impact du projet de loi organique, cette réduction « répond[ait] à une exigence d’exemplarité des titulaires de fonctions gouvernementales dans un contexte où tout un chacun [sic] est appelé à participer aux efforts de redressement des finances publiques ».
Le montant de cette indemnité de fin de fonctions est aujourd’hui égal au total du traitement brut, de l’indemnité de résidence et de l’indemnité de fonction perçus par les membres du Gouvernement, soit environ 10 000 euros bruts mensuels.
Les ministres du Gouvernement Lecornu entrés en fonction dimanche soir et démissionnaires lundi matin bénéficieront-ils de ces dispositions ? Un premier réflexe pourrait conduire à penser que, sauf pour les ministres reconduits (du Gouvernement Bayrou au Gouvernement Lecornu), tel ne sera pas le cas, puisque la brièveté de leur période ministérielle – à peine plus qu’un simple « passage » – ne leur a pas laissé le temps de renoncer à un mandat ou à un emploi, ni d’être remplacés. On oublie pourtant que les ministres de l’éphémère Gouvernement Lecornu assurent désormais l’expédition des affaires courantes, et qu’ils resteront plus longtemps « ministres démissionnaires » qu’ils n’auront été ministres de plein exercice. Bien que conforme au droit, cette situation est, soit dit en passant, contraire à toute logique politique et de bonne gestion administrative : voilà que des ministres de plein exercice de 12 heures qui, pour certains, n’ont aucune connaissance des dossiers en cours, vont remplacer des ministres en fonctions depuis dix mois pour assurer la « continuité » de l’État. C’est, dit autrement, la continuité dans la discontinuité. M. Lecornu souhaitait la « rupture ». Il l’aura eue, au moins sur ce point.
Quoi qu’il en soit, on voit mal pour quel motif, à l’issue de leurs fonctions, les ministres d’un Gouvernement même éphémère qui remplissent les conditions prévues par l’article 5 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précité ne pourraient pas s’en prévaloir pour demander le versement de leur indemnité. Mais tel ne sera pas le cas des six membres du Gouvernement Lecornu qui n’étaient pas déjà membres du Gouvernement Bayrou et qui devraient, pour cinq d’entre eux, reprendre leur mandat parlementaire. Comme l’a rappelé une note du Secrétariat général du gouvernement dès lundi 8 octobre, ceux-ci seront payés uniquement par l’Assemblée nationale. Quant à M. Le Maire, il a « démissionné » de sa fonction de ministre démissionnaire et demandé à être déchargé de l’expédition des affaires courantes (décret du 6 octobre 2025 relatif à l’expédition des affaires courantes relevant du ministère des armées et des anciens combattants). Il laisse – soit dit en passant – au Premier ministre (démissionnaire) qui, jusqu’à dimanche soir, cumulait ces fonctions avec celles de ministre des armées démissionnaire du Gouvernement Bayrou, le portefeuille des armées qui aurait pourtant exigé, en ces temps troubles, une disponibilité de tous les instants.
Mais ne nous égarons pas : on comprend au regard de ce qui vient d’être rappelé que M. Lecornu avait beau jeu d’affirmer, deux jours après sa démission, que c’est par souci « d’exemplarité et de rigueur » qu’il avait décidé de « suspendre » le versement de l’indemnité temporaire. En réalité, les membres de son ex-Gouvernement n’y avaient pas droit.
Les avantages bénéficiant aux anciens membres du Gouvernement (plus exactement : à leurs anciens chefs) peuvent ensuite être matériels. En plus de l’indemnité de fin de fonctions qui peut lui être versée comme aux autres membres du Gouvernement, le Premier ministre bénéficie, depuis un décret du 22 octobre 1997 – signé par M. Lionel Jospin mais jamais publié… -, de divers avantages matériels : secrétaire particulier, véhicule de fonction et chauffeur (ainsi que tous les frais afférents). De plus, en vertu d’une « tradition républicaine non écrite » (rapport sur le projet de loi de finances pour 2025, Assemblée nationale, no 468), les anciens chefs de l’État et de Gouvernement ainsi que les anciens ministres de l’intérieur bénéficient, sans limitation de durée, d’un dispositif de sécurité.
Alors que le décret de 1997 prévoyait que les avantages bénéficiaient aux anciens Premiers ministres « à vie », le renforcement des exigences en matière de « moralisation », d’« exemplarité » et de transparence a conduit M. Edouard Philippe, alors chef du Gouvernement, à les réduire et à en encadrer la mise à disposition. Le décret n° 2019-973 du 20 septembre 2019 relatif à la situation des anciens Premiers ministres (publié, cette fois) a d’abord limité à dix ans ou au plus tard à l’âge de 67 ans la mise à disposition d’un secrétaire particulier. En revanche, la mise à disposition d’un véhicule de fonctions et d’un chauffeur n’était pas affectée. Le texte prévoyait également que le soutien matériel et en personnel ne s’appliquait pas lorsque l’ancien Premier ministre disposait, à un autre titre (mandat parlementaire, mandat d’élu local ou fonction publique) des mêmes avantages, afin d’éviter les situations de cumul[5].
Pour 2024, le montant global des dépenses correspondant à ce soutien s’élevait à 1,58 millions d’euros (hors le coût de la protection policière[6], qui s’élève à environ 1, 4 millions d’euros pour les seuls anciens chefs de Gouvernement). La cohorte des anciens Premiers ministres s’allongeant promptement depuis 2024, il y avait fort à parier que ces montants seraient revus à la hausse…
C’était sans compter sur l’intervention de M. Lecornu qui, dans un message posté sur X, annonçait, quelques jours avant l’instauration d’une mission « État efficace », que les avantages « à vie » des anciens membres du Gouvernement seraient supprimés dès le 1er janvier 2026 : « La protection policière ne sera accordée aux anciens Premiers ministres et ministres de l’intérieur que pour une durée limitée, et reconduite en fonction de la réalité du risque. Tous les autres moyens mis à disposition des anciens Premiers ministres à vie le seront dorénavant pour une durée limitée ». Le décret n° 2025-965 du 16 septembre 2025, adopté dans la foulée, limite en effet à dix ans le soutien matériel et en personnel aux anciens Premiers ministres. Pour les Premiers ministres dont les fonctions ont cessé depuis plus de dix ans, l’article 2 du texte prévoit qu’ils cesseront de bénéficier d’un véhicule de fonctions et d’un chauffeur au plus tard le 1er janvier 2026. En somme, le décret de M. Lecornu transpose la règle applicable depuis 2019 au véhicule de fonctions et au chauffeur.
II. Que penser de ce texte ?
Passons d’abord sur le fait qu’il a été pris par un Premier ministre à la tête d’un Gouvernement démissionnaire (le Gouvernement Bayrou), chargé exclusivement des affaires courantes. Comme l’a montré Mme Marcia Chevrier dans un précédent billet, la modification du statut des anciens Premiers ministres ne relève pas de l’expédition des affaires courantes. Selon la jurisprudence du Conseil d’État, cette notion désigne seulement une « zone limitée de compétence exceptionnelle d’un gouvernement dont le pouvoir ne repose plus sur aucun autre fondement que sur les nécessités de l’État »[7]. Il est donc vraisemblablement illégal pour ce premier motif, auquel s’ajoute un second, également identifié par Mme Chevrier : l’absence de contreseing. Il nous semble par ailleurs difficile de soutenir que, portant la signature du chef de l’État, le décret serait en réalité un décret présidentiel, contresigné par le Premier ministre. En application des dispositions de l’article 13 de la Constitution, le président de la République n’est compétent que pour signer les décrets et ordonnances délibérés en Conseil des ministres. En l’absence de délibération (rappelons que le dernier Conseil des ministres s’est tenu le 3 septembre 2025, alors que M. Bayrou était encore Premier ministre), le Conseil d’État juge, par son arrêt Sicard du 27 avril 1962, que la signature du président de la République est superfétatoire et qu’elle n’entache pas l’acte concerné d’illégalité, à condition qu’il ait par ailleurs été contresigné par les ministres chargés de son exécution. Ce qui, nous venons de le voir, n’est pas le cas du décret du 16 septembre 2025. Même si l’on peine à imaginer un administré (en dehors des anciens et actuel Premiers ministres) ayant d’une part intérêt, et d’autre part intérêt à agir pour attaquer un tel texte, l’illégalité originaire d’un décret élaboré dans la précipitation pour servir la communication du Premier ministre méritait d’être soulignée.
On peut également, et de façon plus large, regretter que le statut (notamment « financier ») des membres et anciens membres du Gouvernement relève de la compétence du pouvoir réglementaire. Nonobstant (l’aberrante) jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la portée du principe de séparation des pouvoirs[8], ce sont naturellement les représentants élus de la Nation, devant lesquels le Gouvernement est politiquement responsable, qui devraient être compétents pour discuter et décider du montant des rémunérations et avantages des membres et anciens membres du pouvoir exécutif.
Sur le fond, il faut dans un premier temps reconnaître que le texte de M. Lecornu va dans le bon sens même si, dans le contexte extrêmement tendu qui est le nôtre, le sujet du train de vie de l’État méritait mieux qu’une réaction à courte vue et un décret signé dans la précipitation, portant une réforme symbolique.
Surtout, le décret s’applique également aux anciens Premiers ministres, quelle qu’ait été la durée de leurs fonctions – ce qu’on ne peut évidemment reprocher à M. Lecornu de ne pas avoir anticipé. Que leur passage à Matignon ait duré trois ans – c’est le cas par exemple pour M. Edouard Philippe – trois mois (Michel Barnier) ou 27 jours (Sébastien Lecornu), à leur demande, les avantages prévus par le décret du 20 septembre 2019 modifié sont mis à leur disposition pour une période (maximale) de dix ans.
Cette situation nous semble sujette à interrogation, d’autant que, au regard de la situation politique actuelle, il est possible que la France ne renoue pas immédiatement avec la stabilité gouvernementale qu’elle avait connue depuis au moins 1962. Depuis les élections législatives consécutives à la dissolution, nous comptons quatre Premiers et quatre anciens Premiers ministres, et donc autant de prétendants potentiels à la mise à disposition des avantages précédemment mentionnés. Le temps n’est-il pas venu, dans ces circonstances, de prendre en compte la « durée des services » des locataires de Matignon pour la mise à disposition de leurs avantages matériels ?
L’expérience Lecornu invite d’abord à s’interroger : le soutien de l’État ne devrait-il pas être réservé aux anciens Premiers ministres ayant effectivement gouverné ? S’il est difficile de déterminer une durée « minimale » d’exercice des fonctions permettant de regarder cette condition comme étant satisfaite, il serait en revanche possible d’exiger que plusieurs conditions (cumulatives ou alternatives) soient remplies : ainsi de la nomination d’un Gouvernement, de la tenue d’un conseil des ministres, de la présentation du programme ou d’une déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale.
Ensuite, il pourrait être envisagé, pour les anciens Premiers ministres dont les Gouvernements ont été en fonctions moins de six mois, de limiter la durée de mise à disposition des avantages en les versant au prorata du nombre de jours d’exercice effectif des fonctions (de la nomination à la cessation de celles-ci). Une déclaration publiée au Journal Officiel pourrait préciser s’ils souhaitent ou non bénéficier de ces avantages, et dans quelle mesure.
De façon plus générale, il pourrait s’avérer utile de penser un nouveau statut financier des ministres chargés de l’expédition des affaires courantes, notamment en matière de frais de représentation (dont il faut rappeler, au passage, que leur montant reste inconnu pour la plupart des ministères). Si un Gouvernement tourne au ralenti pour assurer la seule continuité de l’État et répondre, éventuellement, aux affaires « urgentes », on voit mal pourquoi ses membres disposeraient de moyens à la hauteur de ceux des Gouvernements de plein exercice. Un ministre à la légitimité chancelante n’a pas besoin de recevoir ses homologues étrangers en grande pompe. L’enveloppe prévue pour les déplacements à l’étranger ne mériterait pas davantage d’être maintenue tant il apparaitrait incongru qu’un ministre chargé des affaires courantes multiplie les déplacements officiels.
De telles restrictions financières ne concourront pas au rétablissement des finances publiques. Mais peut-être auront-elles le mérite d’accroître la transparence financière de la vie politique, qui reste trop largement à parfaire.
[1] Manon Romain et Denis Cosnard, « Sébastien Lecornu, premier ministre le plus éphémère de la Ve République, à la tête du gouvernement le plus court depuis plus d’un siècle », Le Monde, édition du 6 octobre 2025.
[2] Léa Prati et Manon Romain, « Les membres de l’éphémère gouvernement Lecornu bénéficieront-ils des avantages accordés aux anciens ministres ? » Le Monde, édition du 7 octobre 2025.
[3] Pour une étude d’ensemble sur le sujet, v. Lucie Sponchiado, « La rémunération et les avantages matériels des membres du pouvoir exécutif français », note 18 de l’Observatoire de l’éthique publique, mars 2021.
[4] Le texte évoque précisément le « remplacement » d’un membre du Gouvernement dans son mandat, dans ses fonctions ou dans son emploi.
[5] Sur ce décret, v. William Almeida Pires, « Avantages sans inconvénients des anciens Premiers ministres » sur ce même blog.
[6] V. la question écrite (avec la réponse) no 03460 de M. Hervé Maurey, du 27 février 2025.
[7] Marcia Chevrier, « Un Premier ministre peut-il gouverner avec un Gouvernement démissionnaire ? », Blog de Jus politicum, 24 septembre 2025.
[8] V. par exemple Olivier Beaud, « Le Conseil constitutionnel et le traitement du président de la République : une hérésie constitutionnelle (A propos de la décision du 9 août 2012) », Jus Politicum, no 9, février 2013 [en ligne].
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