Le procès Lagarde au miroir du procès du sang contaminé
Le texte suivant est la 2ème partie du commentaire du procès Lagarde dont la première partie a été publiée hier dans ce blog..
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II – Un étonnant non-dit dans ce procès : le rôle du président Sarkozy
Le grand intérêt de ce procès nous paraît être d’avoir révélé les dérives de la gouvernance sous l’ère Sarkozy dont l’arbitrage Tapie constitue une sorte de sommet. En effet, si ce procès n’apprendra rien aux rares connaisseurs de la Cour de Justice de la République, il fait en revanche comprendre comment « un homme aussi discrédité que Bernard Tapie[1] — « personnalité controversée », pour reprendre la litote utilisée par le Parquet, (Req, p. 114) – a réussi à faire plier les sommets de l’Etat pour arracher d’abord un arbitrage, dont l’opportunité était vigoureusement contestée par les hauts fonctionnaires de Bercy, et, ensuite, à obtenir que le ministre – Mme Lagarde – ne conteste pas en justice la sentence arbitrale qui surprit tout le monde par le montant de l’indemnisation et notamment par l’attribution à l’intéressé de 45 millions d’euros pour préjudice moral.
La question que l’on peut et que l’on doit se poser est de savoir comment dans un Etat censé être un Etat de droit a pu se produire un tel dysfonctionnement, c’est-à-dire un tel comportement des dirigeants si contraire aux intérêts de la chose publique. Bref, comment l’Etat a-t-il aussi massivement failli ? Une telle question dépasse, et de loin, la simple personne de Mme Lagarde.
En réalité, l’ombre de Nicolas Sarkozy – chef de l’Etat au moment des faits (2007-2008) – a plané sur tout le procès, mais son nom et son action n’ont été que furtivement évoqués lors des débats judiciaires. En effet, et c’est la thèse que nous soutenons, l’affaire Lagarde-Tapie serait incompréhensible sans cette intervention « d’en haut » du Château. Telle est, selon nous, la différence majeure avec le procès du sang contaminé, où l’action de M. Mitterrand s’était bornée – si l’on peut dire – au fait de « lâcher » son Premier ministre (M. Fabius) lorsque la pression de l’opinion publique fut considérée comme étant trop forte et qu’il fallait pour l’apaiser, permettre un procès des « politiques ». Sur le fond de l’affaire, rien ne permet de dire que le Président Mitterrand ait suivi une affaire très technique qui relevait principalement des « ministres » techniciens. Il en va tout autrement dans cette affaire Tapie-Lagarde où pour des raisons qui resteront probablement toujours mystérieuses, l’Elysée a cru nécessaire d’intervenir.
Pourquoi ce fait, pourtant évident, est-il resté largement passé sous silence ou du moins édulcoré tout au long de l’instruction et du procès lui-même ? Il y a d’abord une raison de droit : jouissant de l’immunité prévue par l’article 67 de la Constitution, le président de la République ne peut pas même être entendu, même comme témoin par la commission d’instruction ou par la Cour de justice de la République. Mais ensuite, il y a une raison de fait qui doit interpeller les citoyens. En effet, les deux principaux acteurs, Mme Lagarde et M. Richard, ont tout fait pour disculper le président Sarkozy. Devant les juges d’instruction, la première a déclaré à propos des deux décisions qu’on lui reproche « n’en avoir parlé personnellement ni au Président de la République ni au Premier ministre, tout en s’étant toutefois assurée, dans le cadre du fonctionnement habituel de l’Etat et par le truchement de son directeur de cabinet, que ces deux autorités n’avaient pas d’objection de principe à formuler » (Réq. p. 120). Quant au directeur de cabinet, M. Richard, il a déclaré que jamais l’Elysée n’avait pris part à la décision d’aller en arbitrage, mais ne s’y était seulement pas montré hostile » (ibid.). De telles dénégations leur interdisent, comme le remarque judicieusement le procureur général près la Cour de cassation (ibid.), d’invoquer un fait justificatif, ou de bénéficier par ricochet de l’immunité attachée aux décisions prises par le chef de l’Etat. A en croire Mme Lagarde et M. Richard, pour une fois d’accord, le chef de l’Etat ne serait pour rien dans cette affaire. Son rôle se serait borné à ne pas s’opposer à un tel arbitrage. Il y a quand même un aveu de taille : une sorte d’autorisation tacite de l’Elysée pour entreprendre et poursuivre cet arbitrage.
L’arrêt de la Cour du 19 décembre 2016 contient une nette allusion à propos du rôle du chef de l’Etat. On y lit en effet à propos de l’imputabilité des deux décisions contestées que Mme Lagarde a répété lors des auditions devant les juges d’instruction et lors des débats judiciaires « ne pas avoir agi conformément à des instructions qui lui auraient été données par les plus hautes autorité de l’Etat (Président de la République et Premier ministre), mais avoir pris ses décisions dans son champ de compétence en sa qualité de ministre des Finances, et dont elle assume l’entière responsabilité. » (Arrêt CJR, p. 13). Déclarations courageuses qui lui valent au bout du compte sa condamnation. Mais si l’on comprend que les juges sont obligés de tirer la conséquence juridique de ces déclarations en n’admettant pas le fait justificatif d’instructions venues de supérieurs hiérarchiques, l’observateur extérieur et impartial, surtout s’il est professeur de droit constitutionnel objectera la chose suivante : à qui pourrait-on faire croire pareille fable ? Tout le système institutionnel de la Ve République repose sur une concentration des décisions au niveau de l’Elysée. Déjà perceptible à l’époque gaullienne, cette tendance s’est renforcée, on le sait, bien sous les mandats de Pompidou et de Giscard. Depuis le quinquennat (2001), la concentration s’est accrue et la subordination du Premier ministre renforcée. M. Sarkozy n’a-t-il pas hésité à qualifier son premier ministre de « collaborateur » ? Tout le monde sait que n’importe quelle affaire politiquement importante remonte à la Présidence et ce qui est « politiquement important » est livré à une appréciation subjective et personnelle du chef de l’Etat. Elle a permis à M. Mitterrand d’estimer que l’on devait écouter une cinquantaine de personnes susceptibles de dévoiler l’existence de sa fille naturelle, Mazarine. Et on sait que n’importe quelle nomination à une poste plus ou moins important mobilise l’appareil de l’Etat jusqu’à l’Elysée. A qui fera-t-on donc croire que, au vu du dossier, le chef de l’Etat n’a pas personnellement favorisé l’arbitrage Tapie, et qu’il n’a pas considéré une telle affaire comme « politiquement » importante à ses yeux ?
Simple présomption dira-t-on ? Certes, dira-ton, le président de la République n’apparaît presque jamais officiellement dans cette affaire. L’affaire du sang contaminé a probablement servi de précédent puisqu’on n’a retrouvé aucun papier, aucune note écrite, contenant une quelconque injonction en vue de décider l’entrée en arbitrage ou de ne pas contester l’arbitrage malencontreux. Mais les faits révélés dans ce procès confirment à quel point une telle présomption est plus que vraisemblable. Il suffit de lire l’arrêt de la commission d’instruction renvoyant Mme Lagarde devant la Cour : après avoir noté le comportement répréhensible de la ministre – justifiant son renvoi devant la juridiction de jugement, ladite Commission observe que « les décisions de recourir à l’arbitrage et de ne pas exercer de recours contre la sentence semblent en réalité avoir été prises, comme l’a relevé le ministère public dans ses réquisitions orales, “au plus haut niveau de l’Etat“, » (p. 59). Mais cette apparence n’a pas d’effet juridique car Mme Lagarde, ajoute-t-on, « s’est comportée (…) pour les entériner, les finaliser, les mettre en œuvre et les justifier publiquement » (Ibid.). Elle endosse donc les décisions prises au « plus haut niveau de l’Etat », expression qui désigne l’Elysée, lieu de la présidence de la République. De ce point de vue, les réquisitions du Parquet sont encore plus instructives ; on y lit d’une part, que l’autonomie des structures administratives directement concernées (CDR et EPFR) « a été de fait relative » et, d’autre part, que l’ensemble du processus ayant conduit à l’arbitrage avait été systématiquement orienté dans un sens favorable à M. Tapie avec la bénédiction des plus hautes autorités de l’Etat » (Réq. p. 120). Evoquant les « incessantes interventions de M. Tapie auprès des plus hautes autorités, ses fréquents rendez-vous avec le Président de la République, (..) ses contacts répétés avec le Secrétaire général de l’Elysée et avec le directeur de cabinet de Mme Lagarde, et son soutien public à la candidature de M. Sarkozy en 2007 », le représentant du Parquet peut à bon droit s’interroger sur les « raisons du nihil obstat » donné d’emblée au plus haut sommet de l’Etat en faveur d’une solution extra-judiciaire du contentieux Adidas » (Ibid. p. 120). C’est bien le Parquet qui reconnaît explicitement l’intervention de l’Elysée dans le processus de décision, et il le fait avec quelque circonvolution, mais avec netteté, à la fin de son réquisitoire de non-lieu, expliquant que les décisions contestées de Mme Lagarde sont des « décisions gouvernementales, prises dans le cadre du fonctionnement normal de l’Etat, après accord de l’Elysée » (Réq. p. 122). Non seulement, il y eut l’accord de l’Elysée, mais ce fut fait « dans le cadre du fonctionnement normal de l’Etat ». Interprétons cette dernière expression : la procédure fut normale, au sens où elle correspondait à la procédure habituellement suivie selon laquelle le chef de l’Etat est toujours sollicité pour de telles décisions. Toutefois, sur le fond, la décision fut anormale tant il est certain que l’appareil de l’Etat ne doit pas être mobilisé au profit des intérêts privés d’une personne, fût-elle Bernard Tapie.
Les faits contenus dans les pièces judiciaires confortent cette thèse de l’intervention présidentielle. On apprend en lisant l’arrêt de la commission d’instruction de la CJR que dès l’été 2004, eurent lieu « les premières initiatives de MM. Sarkozy et Guéant, pour imposer au CDR [Consortium de Réalisation] un accord amiable, débouchant sur la tentative de médiation conduite par la cour d’appel de Paris courant 204-2005) (p. 37). A la page suivante, cet arrêt relève que Mme Lagarde n’avait pas de relations personnelles avec M. Tapie « contrairement à M Sarkozy » (p. 37). Plus explicitement, les juges d’instruction observent que « MM. Sarkozy et Tapie se sont rencontrés à plusieurs reprises, et notamment les 30 juillet et 17 novembre 2007 ; soit respectivement la veille du renouvellement de la proposition d’arbitrage et le lendemain de la signature du compromis d’arbitrage (arrêt Com. Inst., p. 38). Autrement dit, avant son accession à la magistrature suprême, M. Sarkozy s’était déjà entremis en faveur de M. Tapie et sa sollicitude pour ce dernier s’est encore manifestée une fois qu’il fut élu président de la République. Avec plus de succès, comme on s’en doute, et surtout comme on s’aperçoit en scrutant de près cette affaire.
Ce que la lecture des pièces du dossier judiciaire (arrêt de la commission d’instruction, réquisitions du Parquet) permettait de comprendre, à savoir le rôle prépondérant joué par la Présidence de la République, est amplement confirmé par les débats qui se sont déroulés la semaine dernière devant la CJR. Prenons par exemple ce qui s’est dit lors de la seconde journée de l’audience (mardi 13 déc.). Le procureur général près la Cour de Cassation y est intervenu pour rappeler la tenue d’une réunion à l’Elysée le 14 juillet 2008, à laquelle la ministre des Finances n’était pas présente, mais où figuraient le secrétaire général, Claude Guéant, le conseiller économique de M. Sarkozy, (François Pérol) son conseiller justice (Patrick Ouart) et, Stéphane Richard directeur de cabinet de Mme Lagarde. C’est à la suite de cette réunion, où la ministre n’avait pas même été conviée ( !…. ), qu’il fut décidé de ne pas faire un recours contre l’arbitrage si étrangement favorable à Tapie.
De ce point de vue tout aussi éclairant, sinon plus, fut le troisième jour de l’audience, le mercredi 14 décembre, où Mme Lagarde fut soumise à rude épreuve par deux témoignages qui ont égratigné sérieusement sa réputation de ministre sérieuse. Une première fois lorsque l’un de ses prédécesseurs au poste, M. Breton, ministre des Finances entre 2005 et 2007, lui fit la leçon sur le thème : « un ministre doit décider et ne pas se laisser dicter ses décisions par son directeur de cabinet » et pour ce faire, il doit lire les notes que l’Administration lui envoie. Mais c’est surtout le témoignage de Bruno Bézard, qui dirigeait à l’époque l’Agence de participations de l’Etat (APE) et qui acheva sa belle carrière administrative comme directeur du Trésor, qui fut ravageur pour la ministre. Il affirma aux juges que l’arbitrage était « la pire des solutions », qu’il avait été constamment écarté des réunions sur la question de l’arbitrage par le directeur de cabinet de la ministre et surtout il a osé publiquement pointer du doigt les véritables responsables d’un tel arbitrage : « les membres du gouvernement, Matignon, la présidence de la République ».
Le déroulement du procès permit également de révéler le lien de dépendance personnelle entre la ministre, Mme Lagarde, et le chef de l’Etat de l’époque. C’est ce qui ressort de la lecture faite, lors de la deuxième journée d’audience (mardi 13 décembre), par la présidence de la juridiction, d’une lettre brouillon retrouvée dans l’ordinateur de Mme Lagarde et où cette dernière avoue son « immense admiration » pour le chef de l’Etat, ajoutant même : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting ». Ce genre de propos laisse penser qu’une telle ministre, une fois en poste, ne sera pas en position de contredire les volontés du chef de l’Etat. Répondant à la présidente de la CJR qu’une telle phrase avait laissé un peu interdite, Mme Lagarde a d’ailleurs confessé : « je ne suis pas un animal politique. Je venais de l’extérieur. Je tenais ma légitimité politique du président de la République et du premier ministre. ». On pourrait ajouter « surtout » du président de la République car s’il y a bien un absent dans les pièces du dossier et dans les débats de la semaine dernière, c’est bien le Premier ministre. On a même l’impression que Monsieur Fillion n’a pas été au courant de cet arbitrage ou en tout cas qu’il a été court-circuité dans la prise de décision. Mais son absence fut compensée si l’on peut dire, par l’intervention récurrente du secrétaire général de l’Elysée.
En effet, la tenue de ce procès a confirmé la place déterminante dans les sommets de l’Etat de Claude Guéant, le secrétaire général à l’Elysée, celui qu’on appelait, au temps de sa splendeur « le cardinal Guéant » tant son pouvoir était devenu important en raison de sa proximité avec M. Sarkozy. Ne disait-on pas à l’époque qu’il était plus important que le Premier ministre et ne fut-il pas surnommé le « vice-Premier ministre » ? L’arrêt de la commission d’instruction s’interroge sur la nature des relations de MM. Guéant et Tapie et note qu’elle « se déduit des nombreux courriers que ce dernier a adressés et des multiples rencontres entre les deux hommes comme celle du 20 juillet 2007 évoquée plus haut. » (p. 38). Comment le secrétaire général de l’Elysée pourrait-il prendre de son propre mouvement l’initiative de telles rencontres s’il n’a pas l’aval du chef de l’Etat qu’il est censé servir fidèlement ?
Si l’on n’était pas convaincu en suivant ce procès que l’ombre de M. Sarkozy planait sur cette affaire, le réquisitoire prononcé par le Parquet ôterait tout doute à cet égard. En effet, le procureur général, M. Jean-Claude Marin, a observé que si « Christine Lagarde, tout juste nommée à Bercy, était « formellement « la seule habilitée à agir dans le contentieux entre l’homme d’affaires et l’ancienne banque publique, les décisions ont été prises » au sommet de l’Etat, avec l’accord plus ou moins implicite du président de la République » » (Le Monde du 17 déc. 2016). L’accord n’était pas implicite dans le texte des réquisitions écrites, mais l’expression est à nouveau réitérée, ce qui prouve que le Parquet n’est pas dupe de la main-mise du chef de l’Etat sur la procédure suivie dans cette affaire. On reste évidemment un peu surpris que les principaux protagonistes n’osent pas dire ouvertement ce qui s’est passé et continuent à clamer contre l’évidence que la Présidence de la République n’est pas intervenue. Les précédents se répètent : M. Juppé a « couvert » M. Chirac, lors du procès pour les emplois fictifs de la ville de Paris, tout comme Mme Lagarde a veillé à ne pas mettre en cause le président de la République dont tout laisse à penser qu’il a été le donneur d’ordres dans cette affaire. La fidélité au Chef suppose ici l’abnégation et la renonciation à sa liberté de parole. Un air d’omerta flotte sur ces procès politiques et ce n’est pas glorieux. Difficile donc de rechercher la vérité dans de telles conditions. Pour la trouver, il faut se livrer à des conjectures et à des déductions pour conclure que l’arbitrage Tapie et le refus de contester la sentence arbitrale sont « nécessairement » le fruit de la volonté présidentielle. Il n’y a que Mme Lagarde et M. Richard pour dire publiquement le contraire.
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Ce procès Lagarde est un peu déprimant pour le citoyen et pour le professeur de droit. D’un côté, il confirme ce que beaucoup de juristes ont déclaré depuis le début de la création en 1993 de la Cour de justice de la République : celle-ci est une institution hybride et largement inadéquate. Il faudrait la supprimer. Sa naissance, due au cynisme politique du président Mitterrand et mise en œuvre par des « faiseurs de constitution », bien mal inspirés à cette occasion – fut une erreur. On le voit ici de nouveau à travers la fragmentation des poursuites et des procès : les mêmes acteurs sont pour les mêmes faits jugés par deux juridictions différentes et selon des incriminations différentes. En outre, l’immunité du président de la République a écarté du procès un acteur important du dossier, ce qui rend la tâche quasiment impossible à la Cour de justice. Compte-tenu de ce contexte, il faut admettre que cette juridiction s’en est sortie le moins mal possible : elle a eu, selon nous, le courage de pointer le doigt sur les manquements de l’ancienne ministre. Sa condamnation marque quand même une inflexion dans la culture de l’impunité qui régnait jusqu’à présent.
D’un autre côté, ce que révèle la lecture des pièces de ce dossier judiciaire, non seulement l’arrêt, mais aussi l’arrêt de renvoi et les réquisitions du Parquet, donnent une image tristement évocatrice du fonctionnement de l’Etat. En effet, on y retrouve ce qui fait le propre du système constitutionnel français : ceux qui décident échappent à la responsabilité et laissent les subalternes devoir s’expliquer avec la justice en leur laissant le choix du sacrifice ou de la trahison. En bon petit soldat, Mme Lagarde a fait comme si elle avait tout décidé alors que ce n’est pas évidemment le cas. Elle s’est donc sacrifiée et paie pour les autres. Quand notre système politico-administratif sortira de cette impasse, du féodalisme érigé en méthode de gouvernement ?
[1] Il fut condamné en appel en 1995 à huit mois de prison ferme pour avoir, en sa qualité de président de l’Olympique de Marseille, « acheté » un match de football, tenté de suborner les témoins, tout en ayant arraché du maire de Béthune (M. Mellick) un faux témoignage
Olivier Beaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
La condamnation de Christine Lagarde par la Cour de justice (II)
Le procès Lagarde au miroir du procès du sang contaminé
Le texte suivant est la 2ème partie du commentaire du procès Lagarde dont la première partie a été publiée hier dans ce blog..
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II – Un étonnant non-dit dans ce procès : le rôle du président Sarkozy
Le grand intérêt de ce procès nous paraît être d’avoir révélé les dérives de la gouvernance sous l’ère Sarkozy dont l’arbitrage Tapie constitue une sorte de sommet. En effet, si ce procès n’apprendra rien aux rares connaisseurs de la Cour de Justice de la République, il fait en revanche comprendre comment « un homme aussi discrédité que Bernard Tapie[1] — « personnalité controversée », pour reprendre la litote utilisée par le Parquet, (Req, p. 114) – a réussi à faire plier les sommets de l’Etat pour arracher d’abord un arbitrage, dont l’opportunité était vigoureusement contestée par les hauts fonctionnaires de Bercy, et, ensuite, à obtenir que le ministre – Mme Lagarde – ne conteste pas en justice la sentence arbitrale qui surprit tout le monde par le montant de l’indemnisation et notamment par l’attribution à l’intéressé de 45 millions d’euros pour préjudice moral.
La question que l’on peut et que l’on doit se poser est de savoir comment dans un Etat censé être un Etat de droit a pu se produire un tel dysfonctionnement, c’est-à-dire un tel comportement des dirigeants si contraire aux intérêts de la chose publique. Bref, comment l’Etat a-t-il aussi massivement failli ? Une telle question dépasse, et de loin, la simple personne de Mme Lagarde.
En réalité, l’ombre de Nicolas Sarkozy – chef de l’Etat au moment des faits (2007-2008) – a plané sur tout le procès, mais son nom et son action n’ont été que furtivement évoqués lors des débats judiciaires. En effet, et c’est la thèse que nous soutenons, l’affaire Lagarde-Tapie serait incompréhensible sans cette intervention « d’en haut » du Château. Telle est, selon nous, la différence majeure avec le procès du sang contaminé, où l’action de M. Mitterrand s’était bornée – si l’on peut dire – au fait de « lâcher » son Premier ministre (M. Fabius) lorsque la pression de l’opinion publique fut considérée comme étant trop forte et qu’il fallait pour l’apaiser, permettre un procès des « politiques ». Sur le fond de l’affaire, rien ne permet de dire que le Président Mitterrand ait suivi une affaire très technique qui relevait principalement des « ministres » techniciens. Il en va tout autrement dans cette affaire Tapie-Lagarde où pour des raisons qui resteront probablement toujours mystérieuses, l’Elysée a cru nécessaire d’intervenir.
Pourquoi ce fait, pourtant évident, est-il resté largement passé sous silence ou du moins édulcoré tout au long de l’instruction et du procès lui-même ? Il y a d’abord une raison de droit : jouissant de l’immunité prévue par l’article 67 de la Constitution, le président de la République ne peut pas même être entendu, même comme témoin par la commission d’instruction ou par la Cour de justice de la République. Mais ensuite, il y a une raison de fait qui doit interpeller les citoyens. En effet, les deux principaux acteurs, Mme Lagarde et M. Richard, ont tout fait pour disculper le président Sarkozy. Devant les juges d’instruction, la première a déclaré à propos des deux décisions qu’on lui reproche « n’en avoir parlé personnellement ni au Président de la République ni au Premier ministre, tout en s’étant toutefois assurée, dans le cadre du fonctionnement habituel de l’Etat et par le truchement de son directeur de cabinet, que ces deux autorités n’avaient pas d’objection de principe à formuler » (Réq. p. 120). Quant au directeur de cabinet, M. Richard, il a déclaré que jamais l’Elysée n’avait pris part à la décision d’aller en arbitrage, mais ne s’y était seulement pas montré hostile » (ibid.). De telles dénégations leur interdisent, comme le remarque judicieusement le procureur général près la Cour de cassation (ibid.), d’invoquer un fait justificatif, ou de bénéficier par ricochet de l’immunité attachée aux décisions prises par le chef de l’Etat. A en croire Mme Lagarde et M. Richard, pour une fois d’accord, le chef de l’Etat ne serait pour rien dans cette affaire. Son rôle se serait borné à ne pas s’opposer à un tel arbitrage. Il y a quand même un aveu de taille : une sorte d’autorisation tacite de l’Elysée pour entreprendre et poursuivre cet arbitrage.
L’arrêt de la Cour du 19 décembre 2016 contient une nette allusion à propos du rôle du chef de l’Etat. On y lit en effet à propos de l’imputabilité des deux décisions contestées que Mme Lagarde a répété lors des auditions devant les juges d’instruction et lors des débats judiciaires « ne pas avoir agi conformément à des instructions qui lui auraient été données par les plus hautes autorité de l’Etat (Président de la République et Premier ministre), mais avoir pris ses décisions dans son champ de compétence en sa qualité de ministre des Finances, et dont elle assume l’entière responsabilité. » (Arrêt CJR, p. 13). Déclarations courageuses qui lui valent au bout du compte sa condamnation. Mais si l’on comprend que les juges sont obligés de tirer la conséquence juridique de ces déclarations en n’admettant pas le fait justificatif d’instructions venues de supérieurs hiérarchiques, l’observateur extérieur et impartial, surtout s’il est professeur de droit constitutionnel objectera la chose suivante : à qui pourrait-on faire croire pareille fable ? Tout le système institutionnel de la Ve République repose sur une concentration des décisions au niveau de l’Elysée. Déjà perceptible à l’époque gaullienne, cette tendance s’est renforcée, on le sait, bien sous les mandats de Pompidou et de Giscard. Depuis le quinquennat (2001), la concentration s’est accrue et la subordination du Premier ministre renforcée. M. Sarkozy n’a-t-il pas hésité à qualifier son premier ministre de « collaborateur » ? Tout le monde sait que n’importe quelle affaire politiquement importante remonte à la Présidence et ce qui est « politiquement important » est livré à une appréciation subjective et personnelle du chef de l’Etat. Elle a permis à M. Mitterrand d’estimer que l’on devait écouter une cinquantaine de personnes susceptibles de dévoiler l’existence de sa fille naturelle, Mazarine. Et on sait que n’importe quelle nomination à une poste plus ou moins important mobilise l’appareil de l’Etat jusqu’à l’Elysée. A qui fera-t-on donc croire que, au vu du dossier, le chef de l’Etat n’a pas personnellement favorisé l’arbitrage Tapie, et qu’il n’a pas considéré une telle affaire comme « politiquement » importante à ses yeux ?
Simple présomption dira-t-on ? Certes, dira-ton, le président de la République n’apparaît presque jamais officiellement dans cette affaire. L’affaire du sang contaminé a probablement servi de précédent puisqu’on n’a retrouvé aucun papier, aucune note écrite, contenant une quelconque injonction en vue de décider l’entrée en arbitrage ou de ne pas contester l’arbitrage malencontreux. Mais les faits révélés dans ce procès confirment à quel point une telle présomption est plus que vraisemblable. Il suffit de lire l’arrêt de la commission d’instruction renvoyant Mme Lagarde devant la Cour : après avoir noté le comportement répréhensible de la ministre – justifiant son renvoi devant la juridiction de jugement, ladite Commission observe que « les décisions de recourir à l’arbitrage et de ne pas exercer de recours contre la sentence semblent en réalité avoir été prises, comme l’a relevé le ministère public dans ses réquisitions orales, “au plus haut niveau de l’Etat“, » (p. 59). Mais cette apparence n’a pas d’effet juridique car Mme Lagarde, ajoute-t-on, « s’est comportée (…) pour les entériner, les finaliser, les mettre en œuvre et les justifier publiquement » (Ibid.). Elle endosse donc les décisions prises au « plus haut niveau de l’Etat », expression qui désigne l’Elysée, lieu de la présidence de la République. De ce point de vue, les réquisitions du Parquet sont encore plus instructives ; on y lit d’une part, que l’autonomie des structures administratives directement concernées (CDR et EPFR) « a été de fait relative » et, d’autre part, que l’ensemble du processus ayant conduit à l’arbitrage avait été systématiquement orienté dans un sens favorable à M. Tapie avec la bénédiction des plus hautes autorités de l’Etat » (Réq. p. 120). Evoquant les « incessantes interventions de M. Tapie auprès des plus hautes autorités, ses fréquents rendez-vous avec le Président de la République, (..) ses contacts répétés avec le Secrétaire général de l’Elysée et avec le directeur de cabinet de Mme Lagarde, et son soutien public à la candidature de M. Sarkozy en 2007 », le représentant du Parquet peut à bon droit s’interroger sur les « raisons du nihil obstat » donné d’emblée au plus haut sommet de l’Etat en faveur d’une solution extra-judiciaire du contentieux Adidas » (Ibid. p. 120). C’est bien le Parquet qui reconnaît explicitement l’intervention de l’Elysée dans le processus de décision, et il le fait avec quelque circonvolution, mais avec netteté, à la fin de son réquisitoire de non-lieu, expliquant que les décisions contestées de Mme Lagarde sont des « décisions gouvernementales, prises dans le cadre du fonctionnement normal de l’Etat, après accord de l’Elysée » (Réq. p. 122). Non seulement, il y eut l’accord de l’Elysée, mais ce fut fait « dans le cadre du fonctionnement normal de l’Etat ». Interprétons cette dernière expression : la procédure fut normale, au sens où elle correspondait à la procédure habituellement suivie selon laquelle le chef de l’Etat est toujours sollicité pour de telles décisions. Toutefois, sur le fond, la décision fut anormale tant il est certain que l’appareil de l’Etat ne doit pas être mobilisé au profit des intérêts privés d’une personne, fût-elle Bernard Tapie.
Les faits contenus dans les pièces judiciaires confortent cette thèse de l’intervention présidentielle. On apprend en lisant l’arrêt de la commission d’instruction de la CJR que dès l’été 2004, eurent lieu « les premières initiatives de MM. Sarkozy et Guéant, pour imposer au CDR [Consortium de Réalisation] un accord amiable, débouchant sur la tentative de médiation conduite par la cour d’appel de Paris courant 204-2005) (p. 37). A la page suivante, cet arrêt relève que Mme Lagarde n’avait pas de relations personnelles avec M. Tapie « contrairement à M Sarkozy » (p. 37). Plus explicitement, les juges d’instruction observent que « MM. Sarkozy et Tapie se sont rencontrés à plusieurs reprises, et notamment les 30 juillet et 17 novembre 2007 ; soit respectivement la veille du renouvellement de la proposition d’arbitrage et le lendemain de la signature du compromis d’arbitrage (arrêt Com. Inst., p. 38). Autrement dit, avant son accession à la magistrature suprême, M. Sarkozy s’était déjà entremis en faveur de M. Tapie et sa sollicitude pour ce dernier s’est encore manifestée une fois qu’il fut élu président de la République. Avec plus de succès, comme on s’en doute, et surtout comme on s’aperçoit en scrutant de près cette affaire.
Ce que la lecture des pièces du dossier judiciaire (arrêt de la commission d’instruction, réquisitions du Parquet) permettait de comprendre, à savoir le rôle prépondérant joué par la Présidence de la République, est amplement confirmé par les débats qui se sont déroulés la semaine dernière devant la CJR. Prenons par exemple ce qui s’est dit lors de la seconde journée de l’audience (mardi 13 déc.). Le procureur général près la Cour de Cassation y est intervenu pour rappeler la tenue d’une réunion à l’Elysée le 14 juillet 2008, à laquelle la ministre des Finances n’était pas présente, mais où figuraient le secrétaire général, Claude Guéant, le conseiller économique de M. Sarkozy, (François Pérol) son conseiller justice (Patrick Ouart) et, Stéphane Richard directeur de cabinet de Mme Lagarde. C’est à la suite de cette réunion, où la ministre n’avait pas même été conviée ( !…. ), qu’il fut décidé de ne pas faire un recours contre l’arbitrage si étrangement favorable à Tapie.
De ce point de vue tout aussi éclairant, sinon plus, fut le troisième jour de l’audience, le mercredi 14 décembre, où Mme Lagarde fut soumise à rude épreuve par deux témoignages qui ont égratigné sérieusement sa réputation de ministre sérieuse. Une première fois lorsque l’un de ses prédécesseurs au poste, M. Breton, ministre des Finances entre 2005 et 2007, lui fit la leçon sur le thème : « un ministre doit décider et ne pas se laisser dicter ses décisions par son directeur de cabinet » et pour ce faire, il doit lire les notes que l’Administration lui envoie. Mais c’est surtout le témoignage de Bruno Bézard, qui dirigeait à l’époque l’Agence de participations de l’Etat (APE) et qui acheva sa belle carrière administrative comme directeur du Trésor, qui fut ravageur pour la ministre. Il affirma aux juges que l’arbitrage était « la pire des solutions », qu’il avait été constamment écarté des réunions sur la question de l’arbitrage par le directeur de cabinet de la ministre et surtout il a osé publiquement pointer du doigt les véritables responsables d’un tel arbitrage : « les membres du gouvernement, Matignon, la présidence de la République ».
Le déroulement du procès permit également de révéler le lien de dépendance personnelle entre la ministre, Mme Lagarde, et le chef de l’Etat de l’époque. C’est ce qui ressort de la lecture faite, lors de la deuxième journée d’audience (mardi 13 décembre), par la présidence de la juridiction, d’une lettre brouillon retrouvée dans l’ordinateur de Mme Lagarde et où cette dernière avoue son « immense admiration » pour le chef de l’Etat, ajoutant même : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting ». Ce genre de propos laisse penser qu’une telle ministre, une fois en poste, ne sera pas en position de contredire les volontés du chef de l’Etat. Répondant à la présidente de la CJR qu’une telle phrase avait laissé un peu interdite, Mme Lagarde a d’ailleurs confessé : « je ne suis pas un animal politique. Je venais de l’extérieur. Je tenais ma légitimité politique du président de la République et du premier ministre. ». On pourrait ajouter « surtout » du président de la République car s’il y a bien un absent dans les pièces du dossier et dans les débats de la semaine dernière, c’est bien le Premier ministre. On a même l’impression que Monsieur Fillion n’a pas été au courant de cet arbitrage ou en tout cas qu’il a été court-circuité dans la prise de décision. Mais son absence fut compensée si l’on peut dire, par l’intervention récurrente du secrétaire général de l’Elysée.
En effet, la tenue de ce procès a confirmé la place déterminante dans les sommets de l’Etat de Claude Guéant, le secrétaire général à l’Elysée, celui qu’on appelait, au temps de sa splendeur « le cardinal Guéant » tant son pouvoir était devenu important en raison de sa proximité avec M. Sarkozy. Ne disait-on pas à l’époque qu’il était plus important que le Premier ministre et ne fut-il pas surnommé le « vice-Premier ministre » ? L’arrêt de la commission d’instruction s’interroge sur la nature des relations de MM. Guéant et Tapie et note qu’elle « se déduit des nombreux courriers que ce dernier a adressés et des multiples rencontres entre les deux hommes comme celle du 20 juillet 2007 évoquée plus haut. » (p. 38). Comment le secrétaire général de l’Elysée pourrait-il prendre de son propre mouvement l’initiative de telles rencontres s’il n’a pas l’aval du chef de l’Etat qu’il est censé servir fidèlement ?
Si l’on n’était pas convaincu en suivant ce procès que l’ombre de M. Sarkozy planait sur cette affaire, le réquisitoire prononcé par le Parquet ôterait tout doute à cet égard. En effet, le procureur général, M. Jean-Claude Marin, a observé que si « Christine Lagarde, tout juste nommée à Bercy, était « formellement « la seule habilitée à agir dans le contentieux entre l’homme d’affaires et l’ancienne banque publique, les décisions ont été prises » au sommet de l’Etat, avec l’accord plus ou moins implicite du président de la République » » (Le Monde du 17 déc. 2016). L’accord n’était pas implicite dans le texte des réquisitions écrites, mais l’expression est à nouveau réitérée, ce qui prouve que le Parquet n’est pas dupe de la main-mise du chef de l’Etat sur la procédure suivie dans cette affaire. On reste évidemment un peu surpris que les principaux protagonistes n’osent pas dire ouvertement ce qui s’est passé et continuent à clamer contre l’évidence que la Présidence de la République n’est pas intervenue. Les précédents se répètent : M. Juppé a « couvert » M. Chirac, lors du procès pour les emplois fictifs de la ville de Paris, tout comme Mme Lagarde a veillé à ne pas mettre en cause le président de la République dont tout laisse à penser qu’il a été le donneur d’ordres dans cette affaire. La fidélité au Chef suppose ici l’abnégation et la renonciation à sa liberté de parole. Un air d’omerta flotte sur ces procès politiques et ce n’est pas glorieux. Difficile donc de rechercher la vérité dans de telles conditions. Pour la trouver, il faut se livrer à des conjectures et à des déductions pour conclure que l’arbitrage Tapie et le refus de contester la sentence arbitrale sont « nécessairement » le fruit de la volonté présidentielle. Il n’y a que Mme Lagarde et M. Richard pour dire publiquement le contraire.
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Ce procès Lagarde est un peu déprimant pour le citoyen et pour le professeur de droit. D’un côté, il confirme ce que beaucoup de juristes ont déclaré depuis le début de la création en 1993 de la Cour de justice de la République : celle-ci est une institution hybride et largement inadéquate. Il faudrait la supprimer. Sa naissance, due au cynisme politique du président Mitterrand et mise en œuvre par des « faiseurs de constitution », bien mal inspirés à cette occasion – fut une erreur. On le voit ici de nouveau à travers la fragmentation des poursuites et des procès : les mêmes acteurs sont pour les mêmes faits jugés par deux juridictions différentes et selon des incriminations différentes. En outre, l’immunité du président de la République a écarté du procès un acteur important du dossier, ce qui rend la tâche quasiment impossible à la Cour de justice. Compte-tenu de ce contexte, il faut admettre que cette juridiction s’en est sortie le moins mal possible : elle a eu, selon nous, le courage de pointer le doigt sur les manquements de l’ancienne ministre. Sa condamnation marque quand même une inflexion dans la culture de l’impunité qui régnait jusqu’à présent.
D’un autre côté, ce que révèle la lecture des pièces de ce dossier judiciaire, non seulement l’arrêt, mais aussi l’arrêt de renvoi et les réquisitions du Parquet, donnent une image tristement évocatrice du fonctionnement de l’Etat. En effet, on y retrouve ce qui fait le propre du système constitutionnel français : ceux qui décident échappent à la responsabilité et laissent les subalternes devoir s’expliquer avec la justice en leur laissant le choix du sacrifice ou de la trahison. En bon petit soldat, Mme Lagarde a fait comme si elle avait tout décidé alors que ce n’est pas évidemment le cas. Elle s’est donc sacrifiée et paie pour les autres. Quand notre système politico-administratif sortira de cette impasse, du féodalisme érigé en méthode de gouvernement ?
[1] Il fut condamné en appel en 1995 à huit mois de prison ferme pour avoir, en sa qualité de président de l’Olympique de Marseille, « acheté » un match de football, tenté de suborner les témoins, tout en ayant arraché du maire de Béthune (M. Mellick) un faux témoignage
Olivier Beaud, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)