Un regard critique sur le projet de révision constitutionnelle en vue d’instituer un « Premiérat » en Italie Par Anna Maria Lecis Cocco Ortu
La présentation du projet de loi constitutionnelle portant sur l’introduction de l’élection directe du Président du conseil vient d’ouvrir en Italie le chantier de la réforme du régime politique. Présentée comme la recette pour assurer la stabilité et l’efficacité gouvernementales et pour réconcilier les électeurs avec leurs gouvernants, cette réforme apparait pourtant problématique et dangereuse.
With the presentation of the constitutional bill on the introduction of the direct election of the President of the council, the process for amending the Constitution has officially started in Italy. Announced as the recipe for ensuring governmental stability and efficiency and for reconciling voters with their leaders, this reform seems instead problematic and dangerous.
Par Anna Maria Lecis Cocco Ortu, Maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Bordeaux – CED UMR 5116, CNRS, Sciences Po Bordeaux, Université de Bordeaux
Après des mois d’attentes, de rumeurs et d’anticipations sur la révision constitutionnelle envisagée par le gouvernement présidé par Giorgia Meloni[1], le chantier a été officiellement ouvert. Le 3 novembre a été approuvé en conseil des ministres le projet de loi constitutionnelle présenté par la Présidente du conseil et la Ministre pour les réformes institutionnelles Elisabetta Alberti Casellati, intitulé « Introduction de l’élection directe du Président du conseil des ministres et rationalisation du rapport de confiance ». Le 15 novembre le texte, réintitulé « Modifications constitutionnelles pour l’introduction de l’élection directe du Président du conseil des ministres »[2] a été présenté au Sénat, où il a commencé à être examiné par la commission des affaires constitutionnelles le 23 novembre.
Il n’y a aucune surprise pour la mesure phare du texte, l’élection directe du Président du conseil, dont la teneur a fait, depuis plusieurs mois l’objet de diverses fuites dans les médias. Contraint d’abandonner, faute de soutien, l’objectif initial de l’instauration d’un « semi-présidentialisme à la française »[3] qui résulterait de l’introduction de l’élection directe du Président de la République, le gouvernement s’est ainsi rabattu sur l’élection directe de l’autre tête de l’exécutif. Le texte intervient ensuite sur les dispositions en matière de nomination et de cessation des fonctions du gouvernement, de dissolution et sur les règles encadrant le vote de confiance et la motion de censure. Il vise ensuite à constitutionnaliser pour la première fois un mode de scrutin pour l’élection des parlementaires, imposant au législateur l’introduction d’une prime majoritaire de 55% pour la coalition soutenant le Président du conseil élu[4]. Il prévoit, enfin, l’abolition des sénateurs nommés à vie.
Ces modifications sont présentées comme des correctifs ponctuels s’inscrivant « dans la continuité de la tradition parlementaire » et visant à améliorer, sans le dénaturer, le régime politique italien[5]. Pourtant, elles auraient en réalité pour conséquence de marquer la sortie définitive de l’Italie de la famille des régimes parlementaires, et de la faire sauter vers l’inconnu d’un « Premiérat » – formule destinée à décrire la prééminence du Premier Ministre (c’est-à-dire du président du Conseil italien) — aux contours encore inédits dans les paysages des régimes démocratiques[6].
Présentée comme la recette pour assurer la stabilité et l’efficacité gouvernementales et pour réconcilier les électeurs avec leurs gouvernants, cette réforme apparait en réalité problématique et dangereuse. Problématique, d’une part, en ce qu’elle apparait non seulement inadaptée à atteindre les objectifs fixés (I) mais même incohérente par rapport à ces derniers, en ce qu’elle met potentiellement en conflit la majorité parlementaire et l’investiture populaire (II) ; dangereuse, d’autre part, en ce qu’elle compromet un système de poids et contrepoids essentiel au bon fonctionnement démocratique (III).
I. Une réforme incapable de garantir la stabilité promise
Pour atteindre l’objectif de la gouvernabilité et ainsi permettre à l’Italie « de passer d’une « démocratie discutante », c’est-à-dire où l’on discute sans parvenir à agir de manière efficace, à une « démocratie décisionnelle »[7], la réforme se fonde sur deux éléments-clé : l’élection directe du Président du conseil qui se tiendrait en même temps que celle des parlementaires et l’attribution d’une prime majoritaire à la coalition qui soutient le chef du gouvernement désigné par les électeurs. Ces deux éléments sont censés garantir l’affirmation d’un « fait majoritaire » en soutien d’un exécutif à la légitimation renforcée qu’on peut appeler « populaire-parlementaire ».
D’abord, le Président du conseil serait ainsi élu au même moment que ne le seraient les membres des deux assemblées (dans le projet approuvé en conseil des ministres était prévu qu’ils soient élus « par un même bulletin », mais cette formulation a été supprimée dans le projet présenté au Sénat pour assurer une plus nette séparation entre les pouvoirs dans leur élection) et il le serait pour un même mandat de cinq ans. Ces élections concomitantes sont censées favoriser l’apparition d’une majorité en soutien du gouvernement par une sorte d’effet de remorquage qui placerait l’élection des parlementaires au service de la désignation du Président du conseil, selon la même dynamique que celle observée en France depuis l’instauration du quinquennat et le renversement du calendrier électoral destiné à accorder l’antériorité à l’élection présidentielle.
Néanmoins, malgré un certain effet de bipolarisation recherché par l’introduction de cette élection, la seule contemporanéité de l’élection ne suffirait pas à garantir l’apparition d’une majorité absolue de la même couleur du gouvernement, et cela est d’autant plus vrai dans le paysage politique italien actuel, caractérisé par la fragmentation et l’absence de bipartisme. C’est la raison pour laquelle le projet de révision cherche à atteindre cet objectif par un autre dispositif : l’attribution d’une prime majoritaire de 55% des sièges dans chacune des assemblées aux listes rattachées au Président du conseil.
Par une disposition qui apparait plutôt exceptionnelle, sinon unique, dans le paysage constitutionnel comparé, la Constitution ne déterminerait pas le mode de scrutin des parlementaires, mais obligerait le législateur à introduire un système qui « garantisse » l’obtention de ce pourcentage de sièges, « conformément aux principes de représentativité et de gouvernabilité »[8]. Cette dernière précision se doit à la volonté de se conformer « aux orientations jurisprudentielles [de la Cour constitutionnelle] qui devront être prises en compte lors de la modification des législations électorales pour la Chambre [des députés] et le Sénat »[9]. En effet, la Cour constitutionnelle a déjà déclaré inconstitutionnelles des dispositions électorales prévoyant des primes majoritaires, tout en précisant que l’inconstitutionnalité ne découlait pas de la prévision d’une prime en soi, mais de l’excessive distorsion du résultat électoral et de l’atteinte disproportionnée aux principes de représentativité et d’égalité des suffrages résultant de l’attribution d’une prime sans la prévision d’un seuil de représentativité suffisamment élevé[10].
Or, des doutes sérieux subsistent quant à la conformité de cette disposition par rapport aux principes suprêmes de la Constitution italienne, qui constituent une limite même au pouvoir de révision. Contrairement à ce qui existe en France, le contrôle des lois de révision constitutionnelle est en effet possible en Italie. Par une célèbre décision de 1988, la Cour s’est déclarée compétente à exercer ce contrôle et a reconnu que, au-delà de la seule limite matérielle explicite prévue par l’art. 139 de la Constitution qui interdit la révision de la forme républicaine, il y a des limites implicites, qui découlent des « principes suprêmes qui ne peuvent être bouleversés ou modifiés dans leur contenu essentiel même pas par des lois de révision constitutionnelle »[11]. À la lumière d’une telle jurisprudence, la disposition constitutionnelle ici commentée apparait dès lors problématique, notamment en ce qu’elle est formulée de manière à imposer au législateur une obligation de résultat dans laquelle l’attribution de la prime est présentée comme une conséquence nécessaire et non pas éventuelle du scrutin : le législateur doit mettre en place un mode de scrutin prévoyant l’attribution d’une prime qui garantisse l’obtention de 55% des sièges aux listes associées au Président du conseil ; la possibilité que cette prime ne soit pas attribuée en raison du non-dépassement du seuil de représentativité semble être exclue. Bien que le rapport qui accompagne le texte prenne soin d’observer que les décisions de la Cour en matière de prime majoritaire « se réfèrent à la législation ordinaire et ne peuvent être automatiquement appliquées au contrôle de conformité de normes de valeur constitutionnelle »[12], la possibilité d’une censure de la part de la Cour constitutionnelle n’est pas exclue. Néanmoins, les mécanismes d’accès au prétoire constitutionnel italien et l’inexistence d’un contrôle a priori rendent un tel contrôle seulement éventuel.
Dans tous les cas, les orientations jurisprudentielles de la Cour s’imposent au législateur qui devra, lui, s’y conformer introduisant un seuil assez élevé à partir duquel la liste du Président du conseil pourra obtenir la prime. Mais alors de deux choses l’une, tertium non datur : soit les exigences constitutionnelles de représentativité seront respectées, et alors aucune formule électorale ne pourra assurer l’obtention de la prime, soit elles ne le seront pas – la prime pouvant alors été accordée à partir d’un seuil très bas – et la loi sera alors inconstitutionnelle.
Mais faisons un effort d’optimisme et admettons que le législateur parvienne à sortir de l’impasse et à concilier le principe de représentativité et l’exigence de gouvernabilité selon les indications fournies par la jurisprudence constitutionnelle. Il n’en demeure pas moins que les correctifs majoritaires apportés au mode de scrutin au fil des années n’ont pas mis fin à la fragmentation politique, si bien que la simplification du paysage politique s’est faite à travers la constitution de larges coalitions, souvent composées de partis ou courants non-homogènes. De telles coalitions se sont ainsi montrées capables de remporter les élections et de former un gouvernement susceptible d’obtenir la confiance d’une majorité parlementaire, mais n’ont pas résisté longtemps à l’épreuve de l’action gouvernementale. Ainsi, si la durée moyenne des gouvernements s’est sensiblement allongée depuis l’introduction de modes de scrutin à correctif majoritaire, elle est loin de parvenir à la consolidation de « gouvernements de législature ».
II. Une réforme viciée par des incohérences et contradictions internes
Par ailleurs, les dispositions encadrant le vote de confiance apparaissent incohérentes aussi bien avec l’introduction de l’élection directe du Président du conseil qu’avec l’objectif de stabilisation de son gouvernement.
Tout d’abord, le projet maintient l’obligation d’un vote de confiance pour le gouvernement fraîchement nommé. Or, si le vote de confiance en faveur d’un Président du conseil investi par le suffrage direct pourrait paraitre une formalité, il faut considérer que ce vote est demandé pour le gouvernement dans son ensemble. Or, un tel gouvernement collégial par nature est toujours à la merci de possibles conflits internes pouvant surgir au sein d’une majorité probablement fondée sur une coalition hétéroclite. Ainsi, ce vote met potentiellement en conflit, d’un côté, la majorité parlementaire et, de l’autre, l’investiture populaire et il peut aboutir à l’instabilité du gouvernement fraîchement nommé à l’issue des élections.
Ainsi, les auteurs du projet, bien conscients du fait que la réforme ne serait pas en mesure de garantir au gouvernement le soutien d’une majorité nette et soudée qu’elle promettait, ont prévu une « deuxième chance » pour le chef du gouvernement issu des élections : « Dans le cas où la motion de confiance […] ne sera pas approuvée, le Président de la République renouvelle le mandat au Président [du conseil] élu pour qu’il forme un nouveau gouvernement. Si celui-ci n’obtient pas non plus la confiance des Chambres, le Président de la République procède à la dissolution »[13]. La rationalisation du rapport de confiance consiste donc à essayer de garantir la stabilité du deuxième gouvernement formé, sous la menace d’une dissolution automatique. Cette disposition pourrait ainsi mener à des effets pervers, car certains partis de la coalition pourraient décider de boycotter le premier gouvernement pour essayer d’exercer une plus grande influence sur la composition du deuxième, sachant que ce dernier bénéficie d’une protection constitutionnelle plus forte…
Ensuite, en cas de crise ministérielle à un autre moment de la législature, et à la suite soit d’une motion de censure, soit d’une démission spontanée, le même article prévoit un autre dispositif de rationalisation qui vise à contrer les « gouvernements techniques » et les changements de majorités en cours de législature plutôt qu’à garantir la stabilité. Il est ainsi prévu que « en cas de cessation des fonctions du Président du conseil élu, le Président de la République peut confier la mission de former le gouvernement au Président du conseil démissionnaire ou à un autre parlementaire élu au sein des listes rattachées au Président élu ». La disposition prévoit par la suite que « si le gouvernement ainsi nommé n’obtient pas la confiance et dans d’autres cas de cessation des fonctions de président du Conseil entrant, le Président de la République procède à la dissolution des assemblées ».
Outre qu’elle n’assure pas la stabilité vantée, cette disposition est aussi incohérente avec un tel objectif, en ce qu’elle comporte le risque qu’une composante de la coalition œuvre au renversement du gouvernement présidé par le Président élu dans le seul but de rendre possible son remplacement par un autre parlementaire de la coalition, dont le mandat serait paradoxalement mieux protégé par les dispositions constitutionnelles, car son renversement ne serait possible qu’au prix d’une dissolution automatique. Quel paradoxe pour un projet qui se propose de « consolider le principe démocratique, en renforçant le rôle du corps électoral dans la détermination de la politique de la nation, par l’élection directe du Président du Conseil des Ministres et la stabilisation de son mandat »[14] !
À vrai dire, l’objectif recherché ne semble pas résider dans la stabilité, car le risque de crise ministérielle non seulement reste réel mais est quasi systématiquement accompagné par le risque de dissolution automatique ; ce n’est pas non plus la volonté de stabiliser le mandat du candidat désigné comme chef du gouvernement par les électeurs, car le mandat d’un autre parlementaire de la même majorité serait autant, voire mieux protégé. Le principal objectif semble plutôt celui d’éviter les possibles changements de majorité en cours de législature comme alternative à la dissolution dans la résolution des crises politiques, grâce à l’arbitrage entre les forces politiques exercé par le Chef de l’État ; pratique effectivement fréquente dans la vie politique italienne et qui participe au sentiment d’incompréhension entre électeurs et gouvernants[15]. Néanmoins, si cet objectif peut sembler compréhensible dans un pays lassé par la valse des gouvernements et les remaniements ministériels fondés sur des changements de majorité, il est recherché au prix d’une dangereuse fragilisation de l’actuel système de poids et contrepoids.
III. Une réforme dangereuse par l’atténuation des contrepouvoirs qu’elle implique
En réalité, cette réforme apparait finalement dangereuse, en ce qu’elle renforce le rôle d’une des têtes de l’exécutif, tout en laissant en place la séparation souple typique d’un régime parlementaire et affaiblissant les contrepouvoirs.
C’est d’abord le rôle d’arbitre et de garant confié au Président de la République qui ressort sensiblement affaibli par la réforme, et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme nous l’avons vu, les normes sur la nomination du gouvernement et la cessation de ses fonctions réduisent le Chef de l’État à un simple exécuteur formel privé de toute marge discrétionnaire, y compris de ses pouvoirs de proposition et médiation qu’il exerçait en tant qu’arbitre des forces politiques lors des consultations en cas de crise politique. De plus, même au cours de la législature, il serait privé de l’autorité et de la légitimité démocratique nécessaires, face à un chef de gouvernement directement élu par le peuple, pour exercer toute fonction de magistrature morale, à l’égard de la majorité. D’ailleurs, comme il a été largement observé, la raison de l’absence de ce modèle « néo-parlementaire » ou de « premiérat » dans le paysage des systèmes démocratiques découle du fait que l’élection directe d’une des têtes de l’exécutif au sein d’un système caractérisé par une séparation souple des pouvoirs, sans contrepouvoirs effectifs, ne satisfait pas aux standards nécessaires au bon fonctionnement démocratique des institutions au sein d’un État de droit[16].
C’est ensuite la relation avec le Parlement qui sera encore davantage déséquilibrée, et ce, dès le moment de l’élection et également ensuite lors des moments de l’investiture et de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement. Comme il a été observé, en effet, le rôle du Parlement sort déjà affaibli dans sa légitimation démocratique par son élection contextuelle à celle du chef du gouvernement. Alors qu’il bénéficie aujourd’hui de la plus forte légitimité au sein des institutions, selon la logique sous-jacente au régime parlementaire, il verra en revanche cette légitimité subordonnée à celle du Président du conseil, dont l’élection est censée « orienter » celle des parlementaires. Ensuite, le Parlement se verra fortement limité dans ses fonctions d’investiture et de contrôle du gouvernement. Mis d’abord en concurrence avec l’électorat lors du vote de confiance sur un gouvernement présidé par un Président du conseil élu, il ne sera plus en mesure, après une première censure ou vote de non-confiance, de renverser le gouvernement (même présidé par un chef non désigné par les électeurs), à moins de décréter ainsi sa propre dissolution.
C’est, in fine, le Parlement le grand absent – et le grand perdant – de cette réforme. Théoriquement placé au centre du système institutionnel par les Constituants de 1947, et bénéficiant même d’une place conçue pour être principale, comme déjà symboliquement exprimé par la place qu’il occupe dans le texte constitutionnel, le Parlement italien s’était déjà vu rabaissé dans la pratique institutionnelle, jusqu’à devenir une chambre d’enregistrement de décrets-lois, questions de confiance et maxi-amendements qui ont de facto renforcé la faible rationalisation du parlementarisme mise en place par les Constituants. La recherche de l’efficacité de l’action politique pourrait alors passer par des mécanismes de rationalisation du parlementarisme qui mettent le Parlement en condition de remplir sa fonction de législateur et de contrôleur de l’exécutif : on pense au dépassement du bicamérisme égalitaire, qui rencontre un certain consensus depuis des années mais qui n’est pas à l’ordre du jour de cette majorité ; on pense à la motion de confiance constructive d’inspiration allemande, souvent proposée en parallèle au renforcement des pouvoirs de l’exécutif et aujourd’hui réapparue dans certaines contrepropositions doctrinales ; on pense à des ajustements de la procédure législative conciliant efficacité et pluralisme, alors que la procédure législative est complétement absente dans le débat, comme si le problème du système politique italien était uniquement comment choisit-on le chef du gouvernement et non pas comment on fabrique la loi[17].
Une dernière crainte demeure : l’impression est que cette réforme soit conçue plus comme un référendum[18] au contenu accessible et particulièrement flatteur pour les électeurs que comme une véritable recette pour améliorer le fonctionnement institutionnel de l’État. Le gouvernement viserait ainsi à faire passer la mesure phare longtemps souhaitée par l’extrême droite guidée par la Présidente du Conseil, pour doter le chef de l’exécutif de la plus forte légitimité populaire (en plus d’une large légitimité parlementaire, grâce à la prime soulevant les doutes d’inconstitutionnalité évoqués) et pour ériger le peuple en arbitre en cas de rupture au sein de la coalition ayant remporté les élections. Toutefois, il y a lieu de douter que l’efficacité dont le régime politique italien a besoin puisse reposer uniquement sur le renforcement du rôle du Président du conseil au détriment des autres institutions. Un espoir persiste néanmoins : que l’ouverture de ce chantier puisse représenter l’occasion pour rouvrir un débat trans-partisan à la recherche de véritables correctifs capables de mettre fin à certains maux diagnostiqués de longue date, dans le respect des prérogatives des différentes institutions dont dépend l’équilibre démocratique du régime politique italien.
[1] Nous en avons parlé dans un billet paru sur le blog Jus Politicum du 13 septembre 2023 : https://blog.juspoliticum.com/2023/09/13/la-reforme-du-regime-politique-italien-souhaitee-par-giorgia-meloni-lelection-directe-du-chef-de-lexecutif-comme-antidote-a-lingouvernabilite-chronique.
[2] Il s’agit de l’intitulé officiel abrégé dans les documents parlementaires, l’intitulé complet étant « Modifications aux articles 59, 88, 92 e 94 de la Constitution pour l’élection directe du Président du conseil des ministres, le renforcement de la stabilité du Gouvernement et l’abolition de la nomination des sénateurs à vie par le Président de la République ».
[3] Ainsi s’était exprimée la Présidente du conseil lors de sa déclaration de programme devant la Chambre des députés, 26 octobre 2022: https://www.governo.it/it/articolo/le-dichiarazioni-programmatiche-del-governo-meloni/20770.
[4] Il faut noter que la prime serait attribuée non pas au parti mais à la coalition (le texte parle de « listes ») qui soutient le Président du conseil élu, même s’il n’a pas de majorité absolue. Le point critique, comme nous le verrons, tient au fait qu’il appartient au législateur de déterminer à partir de quel seuil – 35% ? 40% ? – une coalition pourrait obtenir la prime de 55%.
[5] V. exposé des motifs qui accompagne le projet de loi constitutionnelle, accessible en ligne : https://www.senato.it/service/PDF/PDFServer/DF/428967.pdf p. 4.
[6] À l’exception du régime néo-parlementaire expérimenté en Israël entre 1996 et 2001, mais qui ne prévoyait pas de dispositions visant à doter le Président du conseil élu d’une majorité absolue.
[7]Ibidem. Cette formule reprend celle utilisée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle n° 716 présentée par l’alors députée Giorgia Meloni et autres, cit., ainsi que la n° 1489 présentée par les sénateurs de Fratelli d’Italia le 16 septembre 2019 ( https://www.senato.it/japp/bgt/showdoc/REST/v1/showdoc/get/fragment/18/DDLPRES/0/1123825/all).
[8] Art. 3 du projet de loi constitutionnelle cité, modifiant l’art. 92 de la Const. it.
[9] Analyse technique-normative qui accompagne le projet de loi constitutionnelle cité.
[10] Voir la décision n°1/2014, commentée par E. Bottini «Le juge et la (re)définition de la démocratie : l’arrêt n°1/2014 de la Cour constitutionnelle italienne », Jus Politicum, n° 13 ainsi que la décision n° 35/2017, sur laquelle nous nous permettons de renvoyer à A.M. Lecis Cocco Ortu, « La loi électorale après le contrôle de la Consulta : que reste-t-il de l’Italicum ? », La lettre d’Italie, n° 10, mars 2017, p. 27.
[11] Cour const. it. Arret n° 1146/1988.
[12] Analyse technique normative qui accompagne le projet de loi constitutionnelle cité.
[13] Art. 4 du projet de loi constitutionnelle cité, modifiant l’art. 94 Const. it.
[14] Exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle cité.
[15] Sur le rôle croissant du Président de la République dans le système politique italien, voir notamment F. Laffaille, « Chronique constitutionnelle italienne », RFDC, n° 1, 2011, p. 187 et Id., « La mutation de la forme de gouvernement parlementaire en Italie : le chef de l’État contestable co-législateur ? », RFDC, n° 1, 2012, p. 11 et Id., « Mythologie constitutionnelle : le chef de l’État, neutre et impartial garant de la stabilité du régime parlementaire italien », RFDC, n° 4, 2016, p. 865.
[16] Dans ce sens, parmi les nombreux commentaires à la réforme, nous nous limitons à signaler la contribution signée par plus de 30 constitutionnalistes, intitulée « Costituzione : Quale riforma ? La proposta del governo e la possibile alternativa in Astrid-online: https://www.astrid-online.it/static/upload/pape/paper-astrid-94.pdf, p. 26.
[17] Et alors que le contexte français nous montre à quel point la stabilité formelle entrainée par l’élection directe d’une des têtes de l’exécutif et par un mode de scrutin majoritaire ne met pas à l’abri des crises politiques lorsque l’exécutif, pour mener son programme politique, doit s’appuyer systématiquement sur les armes de la rationalisation du parlementarisme.
[18] En vertu de l’art. 138 Const., si le projet de loi constitutionnelle est approuvé, en deuxième délibération, par une majorité inférieure aux deux-tiers dans chaque assemblée, un référendum confirmatif peut être demandé par un cinquième des membres d’une chambre ou 500 000 électeurs ou cinq assemblées régionales. La possibilité que la réforme soit approuvée par les deux tiers des assemblées étant exclue, la majorité se prépare déjà à la tenue d’un référendum.
Crédit photo : Gouvernement italien / CC BY-NC-SA 3.0 IT