La présidence impériale ou les premiers executive orders de Donald Trump Par Samy Benzina
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Le retour de Donald Trump pour un second mandat a été marqué par la multiplication sans précédent des executive orders, moyen d’action unilatérale du président américain. La stratégie du 47e président se caractérise ainsi par une volonté de faire de l’executive order l’instrument principal de définition de la politique de l’Etat fédéral et le support à l’exécution de son programme quitte à empiéter sur les compétences du Congrès. En prenant de tels executive orders, Donald Trump semble également vouloir provoquer des contentieux en vue de capitaliser sur les nombreuses nominations de juges fédéraux effectuées durant son premier mandat et ainsi obtenir des précédents favorables au pouvoir présidentiel. On peut cependant s’interroger sur l’efficacité à long terme d’une telle stratégie au regard de l’importance de la loi fédérale dans toute réforme d’ampleur et le caractère particulièrement précaire des executive orders.
Donald Trump’s return for a second term was marked by the unprecedented multiplication of executive orders, a powerful unilateral action tool of the presidency. The 47th US president’s strategy is defined by a desire to make the executive order the main instrument for defining the policy of the federal Governement and supporting the effectuation of its program even if it means encroaching on the powers of Congress. By issuing such executive orders, Donald Trump also seems to want to provoke litigation in order to capitalize on the numerous appointments of federal judges made during his first term and thus obtain precedents favorable to presidential power. However, we can question the long-term effectiveness of such a strategy given the importance of federal laws in any major reform and the particularly precarious nature of executive orders.
Par Samy Benzina, Professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Il est habituel, depuis au moins le début du XXe siècle et la présidence de William Howard Taft, que les présidents américains nouvellement élus signent, dans les jours suivant leur investiture, des executive orders. Ces actes contiennent des directives adressées aux agents et administrations du pouvoir exécutif qui leur imposent de prendre, ou de s’abstenir de prendre, certaines mesures, de modifier leur pratique, d’appliquer une politique publique déterminée ou d’exécuter la loi selon l’interprétation que le président retient.
Contrairement à ce que laisse suggérer la traduction de « décret présidentiel », employée par les médias francophones, les executive orders ne sont pas cantonnés à un domaine proprement réglementaire : il n’existe pas de frontière constitutionnelle claire entre le domaine de la loi du Congrès et celui des actes du président des États-Unis. Et pour cause, la Constitution fédérale n’habilite pas spécifiquement le président à prendre de tels actes et n’en fixe donc pas le régime. Il est donc toujours délicat de déterminer a priori si un executive order entre ou non dans le champ de compétence du président et la jurisprudence fédérale sur le sujet ne brille pas par sa clarté1.
Si les présidents successifs ont pu user, et abuser, de cet instrument, le 47e président des États-Unis entend clairement étendre, encore plus clairement que durant son premier mandat, le champ de l’action présidentielle unilatérale. Cela se traduit en particulier par le fait qu’il a signé 55 executive orders, entre le 20 janvier et le 5 février 2025, alors que depuis plusieurs décennies, les présidents successifs, y compris Donald Trump lui-même lors de son premier mandat, ne prenaient jamais plus d’une cinquantaine d’executive orders durant la totalité de leur première année de mandat.
Certes, parmi les executive orders, quelques-uns ont avant tout une visée communicationnelle. On pense à ceux qui entendent simplement mettre en cause l’administration présidentielle précédente en « mettant fin à l’instrumentalisation du gouvernement fédéral »2 ou en « rétablissant la liberté d’expression et mettant fin à la censure fédérale »3, ou encore à celui qui a pour objet de rebaptiser le golfe de Mexico en golfe d’Amérique et le mont Denali en mont McKinley4. Mais ces actes, à la portée normative douteuse, demeurent minoritaires : une grande partie des executive orders pris par le nouveau président manifestent une volonté claire d’expansion des pouvoirs présidentiels (I) tout en cherchant à provoquer des contentieux afin d’obtenir des précédents favorables à l’exécutif (II). Cependant, les effets à terme de cette stratégie demeurent incertains (III).
I. Une volonté de repousser les frontières du pouvoir présidentiel
Les executive orders ont été souvent un instrument favori des présidents américains au soutien de leur politique. S’agissant d’un acte unilatéral du chef de l’exécutif, un executive order ne nécessite l’accord d’aucune autre autorité. Dans un contexte où le Congrès est souvent divisé, du fait de l’opposition de plus en plus marquée entre démocrates et républicains et des règles de procédure législative supposant de larges consensus pour dépasser les blocages, tel le fillibuster au Sénat, l’executive order peut apparaître au président comme le seul moyen de mettre en place une politique publique.
Au seuil de son mandat, et plus que tout autre président avant lui, Donald Trump entend faire des executive orders l’instrument essentiel de réalisation de ses promesses de campagne, au point de sembler pouvoir se passer du Congrès. En effet, les executive orders pris par le président sont largement la transposition des chevaux de bataille politique du candidat Trump, inspirés par les théories MAGA (« Make America Great Again ») et les obsessions de la sphère conservatrice américaine : limiter l’immigration et renforcer les frontières notamment par le recours à l’armée5, mettre fin aux programmes favorisant la diversité dans les recrutements au sein de l’administration fédérale6, nier l’existence de la transidentité et empêcher l’accès des personnes concernées à l’armée ou aux compétitions sportives7, interdire le financement des IVG par l’État fédéral8, mettre fin à l’idéologie dite « woke » et empêcher l’enseignement de la théorie critique de la race9, se retirer de l’Organisation mondiale de la santé10 et de l’accord de Paris sur le climat11, ou imposer une dérégulation en matière environnementale et numérique, en particulier en matière d’intelligence artificielle et de cryptomonnaies12.
Cette aspiration à décider seul de la politique de l’État fédéral se combine naturellement, dans les executive orders de Donald Trump, avec une volonté d’affirmer la suprématie présidentielle. Cela ressort de l’établissement de règles visant à soumettre l’administration fédérale à la volonté présidentielle. Ainsi, le président a facilité les conditions de licenciement des titulaires d’emplois supérieurs de l’administration13 et a exigé la fidélité des agents de l’administration à l’exécutif14. Il a également renforcé le contrôle de la présidence sur certaines agences comme l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA) accusée de biais contre ses soutiens15. Il a en outre transformé le United States Digital Service, un service relativement mineur de la Maison-Blanche chargé de conseiller les administrations sur les services numériques, en département de l’efficacité gouvernementale (DOGE)16. Derrière ce changement, se cache la création d’un service, placé sous l’autorité du milliardaire Elon Musk. En dépit du fait que ce DOGE, en référence à la cryptomonnaie créée par le milliardaire, ne dispose d’aucun véritable pouvoir normatif en application de l’executive order et devrait se charger essentiellement des questions en lien avec le numérique, il constitue en pratique le bras armé du président pour réduire le nombre d’agents fédéraux et s’assurer de la soumission de l’administration au président17.
Pour ce faire, le nouveau président pousse à son acmé la théorie de l’exécutif unitaire, développée par le courant conservateur sous Ronald Reagan, selon laquelle le président étant démocratiquement élu, il devrait avoir l’entière maîtrise de la branche exécutive sans aucun contrôle des autres branches18. Ainsi, toutes les agences et administrations fédérales ne devraient travailler que dans un seul but : exécuter la volonté présidentielle. Le nouveau président a par exemple ordonné à son attorney general de réclamer la peine de mort dans toutes les affaires où elle peut être appliquée, mais surtout d’essayer de faire renverser les précédents de la Cour suprême qui entravent le recours à la peine capitale19, battant en brèche l’autonomie et l’indépendance traditionnelles accordées au département de la justice au sein de l’exécutif.
Le souhait d’imposer la suprématie présidentielle transparait également à l’égard des États fédérés. Jugeant que le gouverneur de Californie n’était pas à la hauteur pour lutter contre les incendies qui ont décimé Los Angeles, le président américain a ordonné à son administration de « remplacer les désastreuses politiques californiennes » en matière de lutte contre les incendies20. De même, à l’instar de ce qu’il avait tenté sans succès en 201721, un executive order suspend toute subvention fédérale à un État ou une collectivité locale « sanctuaire », qui entendrait empêcher que des étrangers puissent être arrêtés ou poursuivis, au regard de la loi fédérale, lorsqu’ils se trouvent en situation irrégulière22.
II. Une recherche de précédents favorables au pouvoir présidentiel
Ce qui caractérise également l’action de Donald Trump est son souci de faire naître des contentieux visant à obtenir des précédents favorables à l’expansion des pouvoirs du président des États-Unis au détriment du Congrès. Cette stratégie s’insère dans un contexte où il a nommé de très nombreux juges durant son premier mandat et entend ainsi sans doute capitaliser sur l’importance du courant conservateur aux seins des juridictions fédérales. En particulier, il a suspendu pendant 90 jours l’aide au développement accordé à la plupart des États étrangers23. Il a également suspendu toute participation financière à l’office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et à l’UNESCO24. Or, ces mesures sont susceptibles d’être en contradiction avec le Congressional Budget and Impoundment Control Act de 1974 qui limite spécifiquement la capacité du président et de son administration à empêcher les dépenses de crédits votés et alloués par le Congrès sans accord de ce dernier. Ce cadre juridique avait justement été introduit à la suite de la décision du président Nixon de geler les fonds de programmes sociaux avec lesquels il était en désaccord. La jurisprudence de la Cour suprême est, à ce jour, peu favorable à une interprétation extensive du pouvoir du président de geler des fonds alloués par le Congrès25 ou même à la reconnaissance d’un line item veto qui lui permettrait de s’opposer à certaines dépenses prévues par la loi du Congrès26. Certains juges fédéraux ont d’ailleurs récemment suspendu un mémo de l’administration Trump visant à geler des milliards de dollars de subventions et prêts accordés à diverses organisations notamment en matière de santé publique, de recherche scientifique ou d’hébergement d’urgence27. Mais c’est sans doute ce qu’entend faire changer Donald Trump dont certains membres de l’administration soutiennent l’inconstitutionnalité même de la loi de 197428.
Donald Trump a en outre pris un executive order visant à supprimer le droit d’acquérir la nationalité américaine pour tout enfant né sur le sol américain de parents en situation irrégulière ou ayant un visa temporaire29. Une telle mesure pourrait paraître contraire à la section 1 du XIVe amendement qui prévoit expressément que « Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis ». Il n’y a cependant guère de doute que cet acte avait spécifiquement pour objet de provoquer des contentieux en tentant d’imposer une interprétation restrictive de l’expression « soumise à la juridiction des États-Unis » afin d’exclure du droit du sol, à l’instar des enfants de diplomates, les personnes nées de parents en situation irrégulière. L’objectif de l’administration Trump étant clairement d’obtenir in fine de la Cour suprême la possibilité de règlementer totalement ou partiellement l’accès à la nationalité américaine pour les personnes nées sur le sol des États-Unis. Cet executive order a déjà été contesté et suspendu temporairement par des juges fédéraux30.
III. Une stratégie aux effets incertains sur la durée
À court terme, et au regard du contenu et de l’objet des actes pris par le président, cette stratégie de légiférer par voie d’executive order est susceptible de porter ses fruits que ce soit pour remodeler et soumettre l’administration, ou pour faire sensiblement évoluer la réglementation en matière économique, technologique, environnementale ou migratoire. Il est en effet difficile d’attaquer les executive orders dès lors que les juridictions fédérales ont une interprétation très restrictive de l’intérêt à agir contre de tels actes et que les décisions les jugeant inconstitutionnels demeurent rares. Il faut rappeler à cet égard que la suspension du très contesté « Muslim ban » par les juridictions fédérales de première instance et d’appel en 2017 avait été in fine annulée par la Cour suprême, la majorité conservatrice estimant qu’un tel acte était conforme à la Constitution31. Or, la composition de la Cour suprême est aujourd’hui encore plus favorable à Donald Trump.
On peut cependant s’interroger sur la viabilité à moyen et long terme d’une telle « législation exécutive ». Le président des États-Unis ne peut légiférer seul par la voie des executive orders. Il a besoin d’obtenir du Congrès, a minima, qu’il finance ses actions les plus couteuses. On se souvient à cet égard des difficultés qu’avait rencontrées Donald Trump, lors de son premier mandat, à faire financer le mur entre les États-Unis et le Mexique, difficultés qui ont conduit en 2018-2019 au shutdown le plus long de l’histoire des États-Unis. Si le filibuster des sénateurs démocrates ne peut, en principe, être utilisé en matière budgétaire, reste à savoir si les majorités républicaines dans les chambres seront ou non parfaitement disciplinées au point de soutenir l’entièreté des executive orders de Donald Trump alors que nombre d’entre eux empiètent sur les pouvoirs du Congrès. D’autant que, contrairement au président qui commence seulement son second mandat, les représentants et certains sénateurs retourneront devant les électeurs dès 2026.
La plus grande limite des executive orders se trouve en réalité dans leur grande précarité : contrairement à la loi fédérale qui suppose en général un accord entre majorité et opposition au Congrès pour être modifiée, les actes du président peuvent être abrogés librement par son successeur. Donald Trump ne s’est d’ailleurs pas privé d’abroger près d’une centaine d’executive orders pris par Joe Biden32.
Il ne faudrait cependant pas négliger les effets de cette pratique dans la construction des institutions aux États-Unis. Les actions du président, et le laissez-faire potentiel du Congrès, pourraient créer des précédents qui, par sédimentation, seraient de nature à repousser encore davantage les limites du pouvoir du chef de l’exécutif et ainsi consolider la « présidence impériale » tant critiquée par une partie de la doctrine d’outre-Atlantique.
1 Qu’il nous soit permis de renvoyer sur ce sujet à : S. Benzina, « Les executive orders du Président des États-Unis comme outil alternatif de législation », Jus Politicum, 2018, n° 20, pp. 485-516.
2 EO 14147 Ending the Weaponization of the Federal Government.
3 EO 14149 Restoring Freedom of Speech and Ending Federal Censorship.
4 EO 14172 Restoring Names That Honor American Greatness.
5 EO 14159 Protecting the American People Against Invasion ; EO 14163 Realigning the United States Refugee Admissions Program ; EO 14165 Securing Our Borders ; EO 14167 Clarifying the Military’s Role in Protecting the Territorial Integrity of the United States.
6 EO 14151 Ending Radical and Wasteful Government DEI Programs and Preferencing ; EO 14170 Reforming the Federal Hiring Process and Restoring Merit to Government Service ; EO 14173 Ending Illegal Discrimination and Restoring Merit-Based Opportunity ; EO 14185 – Restoring America’s Fighting Force.
7 EO 14168 – Defending Women From Gender Ideology Extremism and Restoring Biological Truth to the Federal Government ; EO 14183 Prioritizing Military Excellence and Readiness ; EO 14187 Protecting Children From Chemical and Surgical Mutilation ; EO 14201 Keeping Men Out of Women’s Sports.
8 EO 14182 Enforcing the Hyde Amendment.
9 EO 14190 Ending Radical Indoctrination in K-12 Schooling.
10 EO 14155 Withdrawing the United States From the World Health Organization
11 EO 14162 Putting America First in International Environmental Agreements.
12 EO 14178 Strengthening American Leadership in Digital Financial Technology ; EO 14192 Unleashing Prosperity Through Deregulation.
13 EO 14171 Restoring Accountability to Policy-Influencing Positions Within the Federal Workforce.
14 EO 14170 Reforming the Federal Hiring Process and Restoring Merit to Government Service.
15 EO 14180 Council To Assess the Federal Emergency Management Agency.
16 EO 14158 Establishing and Implementing the President’s « Department of Government Efficiency ».
17 Voir « Elon Musk mène l’offensive contre l’État fédéral, de Usaid à l’agence de protection de l’environnement », Le Monde, 4 février 2025.
18 Qu’il nous soit permis de renvoyer à : S. Benzina, « Sur un ersatz de responsabilité politique : l’élection du président des États-Unis », Jus Politicum, 2022, p. 187 et s.
19 EO 14164 Restoring the Death Penalty and Protecting Public Safety.
20 EO 14181 Emergency Measures To Provide Water Resources in California and Improve Disaster Response in Certain Areas
21 EO 13768 Enhancing Public Safety in the Interior of the United States.
22 EO 14159 Protecting the American People Against Invasion
23 EO 14169 Reevaluating and Realigning United States Foreign Aid.
24 EO 14199 Withdrawing the United States From and Ending Funding to Certain United Nations Organizations and Reviewing United States Support to All International Organizations
25 Train v. City of New York, 420 U.S. 35 (1975)
26 Clinton v. City of New York, 524 U.S. 417 (1998)
27 “White House Failed to Comply With Court Order, Judge Rules”, The New York Times, 10 Février 2025.
29 EO 14160 Protecting the Meaning and Value of American Citizenship.
30 “Judge Blocks Trump’s Birthright Citizenship Order Nationwide”, The New York Times, 5 Février 2025.
31 Trump v. Hawaii, 585 U.S. 667 (26 juin 2018).
32 V. par ex. EO 14148 Initial Rescissions of Harmful Executive Orders and Actions.
Crédit photo : Gage Skidmore / CC BY-SA 2.0