Pour une dissolution populaire de l’Assemblée nationale

Par Charles-Édouard Sénac

<b> Pour une dissolution populaire de l’Assemblée nationale </b> </br> </br> Par Charles-Édouard Sénac

Le droit de dissolution de l’Assemblée nationale doit-il être réservé au Président de la République ? Bien au contraire, nous pensons que les citoyens devraient être investis du pouvoir de dissoudre la chambre et ainsi de provoquer de nouvelles élections législatives en vue de renouveler la représentation nationale.

Should the right to dissolve the french National Assembly be the sole prerogative of the President of the Republic? On the contrary, we believe that citizens should be given the power to dissolve the lower chamber and thus to call general elections.

Par Charles-Édouard Sénac, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux et membre du Centre d’études et de recherches comparatives sur les Constitutions, les libertés et l’État (CERCCLE)

 

 

La situation politique actuelle invite à réfléchir à une réforme profonde du droit de dissolution de l’Assemblée nationale. Le refus persistant d’Emmanuel Macron de dissoudre la chambre et ainsi de provoquer de nouvelles élections législatives apparaît de plus comme le signe d’un aveuglement politique, voire comme la manifestation d’une dérive autocratique. Les formations politiques hostiles à la dissolution ne brillent pas, elles non plus, par leur attachement à l’idéal démocratique : derrière les prétextes, c’est avant tout le risque de « perdre » les élections à venir qui les obnubile.

Face à une assemblée divisée et en l’absence de majorité capable de soutenir un gouvernement, il n’existe pas d’autre voie pour sortir de l’impasse institutionnelle. Ajoutons que le chemin est d’autant plus incontournable dans une République qui se veut démocratique (Const., art. 1er, al. 1er) : la dissolution vise précisément à redonner aux citoyens la capacité de peser sur la conduite de la politique nationale en renouvelant les représentants de la Nation, auteurs des lois et censeurs potentiels des gouvernements.

Mais la dissolution de l’Assemblée nationale, telle qu’elle a été conçue par les Pères fondateurs de la Cinquième République, doit être décidée par le Chef de l’État : selon les articles 12 et 19 de la Constitution de 1958, le droit de dissoudre la chambre basse est une prérogative qui appartient exclusivement au Président de la République. Nul ne peut s’opposer à lui et nul ne peut l’y contraindre. Le Chef de l’État décide librement de la dissolution avec pour seules contraintes, d’une part, l’obligation de consulter le Premier ministre et les présidents des assemblées (Const., art. 12, al. 1er) et, d’autre part, l’interdiction de dissoudre dans l’année qui suit les élections consécutives à une précédente dissolution (Const., art. 12, al. 4)  et pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels (Const., art. 16, al. 5) et l’intérim de la présidence de la République (Const. art. 7, al. 4).

Pour remédier au blocage présidentiel et redynamiser la démocratie française, il est une piste de réforme constitutionnelle qui nous paraît mériter la plus sérieuse des considérations : réviser la Constitution pour donner aux citoyens le double pouvoir de proposer la dissolution de l’Assemblée nationale et de la décréter. Concrètement, l’initiative de la dissolution pourrait prendre la forme d’une pétition signée par un nombre déterminé de citoyens, un million par exemple. Si ce nombre est atteint dans un délai raisonnable fixé par le pouvoir constituant ou le législateur organique, un référendum national est organisé pour que l’ensemble des citoyens se prononce pour ou contre la dissolution immédiate de l’Assemblée nationale. Si une majorité de non l’emporte, les députés sont sauvés. Ils peuvent alors achever leur mandat, sauf si une dissolution présidentielle ou populaire intervient avant le terme de la législature. Si le oui l’emporte, ils sont remerciés. Comme pour toute dissolution, de nouvelles élections législatives sont alors organisées pour désigner les 577 pensionnaires du Palais-Bourbon. La dissolution populaire n’aurait pas vocation à remplacer la dissolution présidentielle mais à s’ajouter à elle. Les limites qui encadrent l’exercice actuel du pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale trouveraient également à s’appliquer en matière de dissolution citoyenne. En outre, afin de limiter la fréquence des référendums révocatoires au cours d’une législature, il conviendrait probablement d’en restreindre le nombre, par exemple en instaurant un délai minimal d’un an entre deux consultations du corps électoral.

L’initiative populaire de la dissolution n’est probablement pas la seule réforme possible du droit de dissolution dont la Constitution de 1958 a besoin. Elle n’est pas non plus une panacée démocratique pour celles et ceux qui souhaitent renforcer le rôle des citoyens dans la conduite des affaires politiques. Mais elle présente l’intérêt majeur de donner aux citoyens une ascendance institutionnelle sur les représentants de la Nation au cours de la législature. Elle opèrerait ainsi un rééquilibrage dans la relation entre les gouvernés et gouvernants au bénéfice des premiers en mettant fin au dogme de l’indépendance absolue de la représentation nationale vis-à-vis des électeurs. Ce faisant, elle constituerait, à n’en pas douter, une transformation radicale du gouvernement représentatif
 tel qu’on le pratique en France depuis la fin du XVIIIe siècle.

La dissolution populaire, ou « dissolution référendaire » (Ph. Lauvaux, La dissolution des assemblées parlementaires, Paris, Economica, coll. « Centre Interuniversitaire Belge de Droit Comparé », 1983, p. 211), est une procédure constitutionnelle particulièrement originale. D’abord, elle détonne au sein de la conception classique de la dissolution qui en fait un instrument du pouvoir exécutif ou, parfois, une prérogative du parlement lui-même (par ex., art. 29, al. 2, de la Constitution autrichienne) ou une étape obligatoire au cours d’une procédure de révision constitutionnelle (par ex., art. 168, al. 1er, de la Constitution espagnole). Ensuite, elle se distingue des modalités classiques de révocation populaire des élus existant à l’étranger qui visent, en règle générale, un élu et non une assemblée tout entière[1]. Enfin, la dissolution populaire d’une assemblée parlementaire existe seulement dans quelques systèmes constitutionnels dans le monde, au niveau national (par ex., art. 14 de la Constitution lettonne et art. 48, al. 3, de la Constitution du Liechtenstein) ou local (par ex., art. 18, al. 3, de la Constitution du Land de Bavière et art. 26 de la Constitution du Canton de Schaffhouse).  Mais c’est en France que l’idée d’une dissolution du Parlement à la suite d’un vote négatif des citoyens est née : dans son projet de constitution rédigé en 1793, Condorcet avait conçu un mécanisme complexe visant à donner aux citoyens la faculté d’exercer une influence sur le contenu des lois adoptées, tout en réservant l’exercice de la fonction législative aux représentants du peuple[2]. Le Titre VIII du projet girondin de Constitution, intitulé « De la Censure du Peuple sur les Actes de la Représentation Nationale, et du Droit de Pétition », faisait ainsi intervenir à tour de rôle les citoyens et les parlementaires et pouvait aboutir, en cas de désaccord entre les uns et les autres, à la dissolution du Corps législatif. Espérons que cette noble ascendance, ainsi que la promesse d’une démocratie revigorée, donneront à la dissolution populaire de l’Assemblée nationale le débat d’idées qu’elle mérite.

 

[1] Ch.-É. Sénac, « La révocation populaire des élus. Anatomie d’une institution démocratique », in Spicilegium Juris Politici. Mélanges offerts à Philippe Lauvaux, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2021, p. 777.

[2] M. Pertué, « La censure du peuple dans le projet de Constitution de Condorcet », in Pierre Crépel, Christian Gilain (dir.), Condorcet. Mathématicien, économiste, philosophe, homme politique, Paris, Minerve, coll. « Voies de l’histoire », 1989, p. 322.

 

 

Crédit photo : Bibliothèque Nationale de France