Les « Conférences des réformes » pour une nouvelle Assemblée nationale : initiative bienvenue, issue incertaine [Par Elina Lemaire]

Les « Conférences des réformes » pour une nouvelle Assemblée nationale : initiative bienvenue, issue incertaine [Par Elina Lemaire]

Presque dix ans après la révision constitutionnelle de juillet 2008 et dans un contexte de profond renouvellement du personnel politique, le président de l’Assemblée nationale a confié à sept groupes de travail rassemblant des députés de tous bords le soin de réfléchir à la rénovation de l’institution parlementaire. Cette initiative est (au moins à double titre) intéressante : d’une part, parce qu’elle entend placer les parlementaires au cœur du processus de rénovation des institutions et d’autre part, parce qu’elle devrait permettre de dresser un bilan très précis des effets de la dernière réforme institutionnelle. Même si son issue est incertaine, l’expérience s’annonce dans ces circonstances riche d’enseignements, pour les constitutionnalistes comme pour les acteurs politiques.

 

Elina Lemaire, Maître de conférences HDR à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, CREDESPO, Institut Michel Villey

 

Entre la réforme du Code du travail et la crise interne qui secoue le Front National, l’événement est passé quasiment inaperçu. Mercredi 20 septembre, lors d’une conférence de presse d’un peu plus d’une heure [1], le président de l’Assemblée nationale, M. François de Rugy, a dévoilé la méthode, la composition et les objectifs des groupes de travail constitués à l’Assemblée dans le cadre des « Rendez-vous des réformes 2017-2022 pour une nouvelle Assemblée nationale ».

 

La décision de constituer ces sept groupes, rassemblant des parlementaires de tous bords dans le but de réfléchir à la rénovation de l’organisation et du fonctionnement du Parlement a été prise à l’initiative de M. de Rugy, par le Bureau de l’Assemblée, le 2 août dernier. Les groupes, dont les membres ont été désignés pour une durée d’un an renouvelable, sont constitués pour la durée de la législature, le président de l’Assemblée ayant raisonnablement fait le choix de la délibération longue contre la précipitation qui, trop souvent, est à l’œuvre dans ce genre de démarche.

 

L’entreprise est louable, et l’on pardonnera, dans ces circonstances, les quelques approximations de M. de Rugy lors de la conférence de presse [2]  : il s’agit, au fond, de placer les députés au cœur du processus de rénovation de l’institution parlementaire. Toutefois, son issue demeure très incertaine.

 

I – Faire de l’Assemblée un acteur majeur de la réforme institutionnelle

 

L’initiative de M. de Rugy n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, celle du précédent président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, qui avait décidé en 2014 (dans la même indifférence générale, révélatrice du profond désintérêt pour l’institution parlementaire…) la création d’un groupe de travail sur l’avenir des institutions [3]. A certains égards, les deux démarches se rejoignent : comme son prédécesseur, M. de Rugy a en effet l’ambition – légitime – de faire du Parlement une force active dans le processus de réforme institutionnelle. Cette situation est suffisamment rare pour être soulignée : comme l’observaient les auteurs du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, « ce groupe de travail s’est distingué d’emblée par son origine […]. Il s’agit de la première mission de réflexion sur les institutions d’importance qui n’a pas été réunie par un Président de la République mais par le Parlement lui-même » [4]. Alors que nos institutions fonctionnent sur le mode du parlementarisme à « captation présidentielle » [5], cette question de l’origine est évidemment cruciale.

 

On objectera – à juste titre – que contrairement à celle, totalement spontanée, de M. Bartolone, l’initiative de l’actuel président de l’Assemblée nationale répond à l’ambition présidentielle de réforme, formalisée lors de la déclaration du chef de l’État devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet dernier. Il n’empêche. Il faut savoir gré à M. de Rugy d’avoir, en quelque sorte, « pris les devants » pour permettre aux députés de mener une réflexion collective sur l’objet et le sens de la réforme institutionnelle projetée, et au président de la République de laisser – pour l’instant – une marge de manœuvre appréciable aux parlementaires. On ose espérer qu’aujourd’hui comme en 2014-2015, l’absence de « cadrage » présidentiel précis permettra aux parlementaires de travailler avec une grande indépendance. C’est d’ailleurs ce que les premières réunions des groupes laissent heureusement présager.

 

II – Permettre une réflexion « trans-partisane » et ouverte au grand public

 

Chaque groupe de travail est composé de dix membres, à raison de trois députés du groupe politique majoritaire à l’Assemblée (« La République en marche »), de deux députés du groupe « Les Républicains » et de cinq députés représentant chacun l’un des cinq autres groupes (« Mouvement démocrate et apparentés », « Les Constructifs », « Nouvelle Gauche », « La France insoumise », et enfin « Gauche démocrate et républicaine »). Le 20 septembre, le Bureau a procédé à la nomination des présidents des groupes de travail, en réservant une présidence à chacun des sept groupes parlementaires de l’Assemblée – les fonctions stratégiques de rapporteur étant en revanche confiées à un député de la majorité [6].

 

Il est donc fait la part belle, au sein des groupes de travail, à l’opposition parlementaire. Ce fut déjà le cas au sein du groupe de réflexion sur l’avenir des institutions, et l’on ne saurait trop s’en réjouir. Chacun sait évidemment – comme n’a d’ailleurs pas manqué de le souligner, sceptique, le président du groupe LR à l’Assemblée – qu’« à l’arrivée, c’est la majorité qui décidera » [7] : c’est ainsi que fonctionnent, osons l’oxymore, nos « démocraties oligarchiques ». Il n’en reste pas moins que le président de l’Assemblée nationale et le Bureau ont souhaité, en amont, adopter une méthode pluraliste et permettre une réflexion « trans-partisane », plutôt que confisquer les débats préparatoires au profit de la seule (et imposante) majorité. Au-delà des effets d’annonce et du possible calcul politique, on peut légitimement penser que l’entreprise de M. de Rugy répond au souhait d’associer toutes les bonnes volontés, de recueillir toutes les bonnes idées susceptibles de servir la « modernisation » de l’institution parlementaire.

 

Dans la même perspective, le président de l’Assemblée nationale a choisi – comme, avant lui, son prédécesseur en 2014 – d’ouvrir le débat au grand public en organisant une consultation citoyenne. Les personnes intéressées sont dès à présent (et jusqu’au 10 novembre) appelées à contribuer sur le site Internet de l’Assemblée nationale [8]. Les différentes contributions feront l’objet d’une synthèse et seront discutées au sein de chaque groupe de travail dans le courant du mois de novembre.

 

Il faut enfin souhaiter que – comme l’a d’ailleurs suggéré un membre de l’un des groupes de travail lors de sa réunion constitutive [9] – les députés ne négligeront pas les travaux et les propositions du groupe de travail sur l’avenir des institutions, dont le rapport a été adopté il y a à peine… deux ans.

 

III – Formuler des propositions pour rénover l’institution parlementaire

 

Faisant le constat de la « défiance [des citoyens] envers les institutions » qui porte en elle « la tentation des extrêmes », M. de Rugy a insisté sur l’urgence qu’il y a à « transformer les institutions représentatives ». Contrairement à M. Bartolone qui avait pour ambition plus large de confier au groupe de travail qu’il co-présidait (avec l’historien Michel Winock) la mission de réfléchir à la réforme institutionnelle en général, M. de Rugy a souhaité restreindre les débats à la question de la seule réforme du Parlement – et plus spécifiquement encore, de l’Assemblée nationale. Toutefois, certaines thématiques ont également vocation à concerner le Sénat : ainsi, en dépit de son appellation et du contenu de la « feuille de route » qui lui a été adressée par le Bureau, le groupe de travail sur le « Statut des députés » travaillera sur le statut des parlementaires en général, comme n’ont cessé de le marteler sa présidente et certains de ses membres lors de sa première réunion le 25 septembre dernier. Cette précision est importante, on y reviendra.

 

Le cœur de la réforme souhaitée par M. de Rugy est la « modernisation » de l’Assemblée. Dans cette perspective qui, selon lui, implique « transparence », « efficacité » et « ouverture » de l’institution, il a confié aux sept groupes de travail un objet d’étude spécifique – « statut des députés », « conditions de travail et collaborateurs », « procédure législative, organisation parlementaire et droits de l’opposition », « moyens de contrôle et d’évaluation ». Certains thèmes retenus dépassent largement le champ institutionnel (« développement durable », « démocratie numérique », « ouverture et rayonnement »).

 

Le tempo des délibérations des groupes est fixé par le Bureau de l’Assemblée, organe central du processus, qui est chargé de piloter et de coordonner leurs travaux. Concrètement, le Bureau remet à chaque groupe de travail une « feuille de route » [10], qui doit servir de cadre à la réflexion. A l’issue d’un délai de six mois, chaque groupe doit remettre au Bureau un rapport comportant une série de propositions argumentées. Sur proposition du président de l’Assemblée nationale, le Bureau choisit alors de retenir ou d’écarter telle ou telle proposition.

 

Qu’adviendra-t-il des propositions retenues au terme de ce processus ? Nul ne peut à ce jour en préjuger. Nombreux sont cependant les députés qui se sont inquiétés du sort qui sera réservé à leurs travaux. L’idée, dans un premier temps et sur le court terme, est évidemment d’alimenter la révision constitutionnelle annoncée pour 2018 par le chef de l’État. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le premier cycle des travaux a été raccourci (il court de septembre à décembre 2017), de manière à correspondre au calendrier présidentiel. Plus largement, toutes les réformes envisagées n’impliquant pas nécessairement une révision de la Constitution, M. de Rugy souhaite que les propositions formulées par les divers groupes de travail alimentent, sur le moyen terme, la production législative de la XVe législature sur les questions institutionnelles touchant au Parlement.

 

Sur le papier et pour les raisons précédemment évoquées, le projet du président de l’Assemblée, on le constate aisément, ne manque pas d’intérêt. Il risque fort, toutefois, d’être au moins partiellement contrarié. S’agissant du volet constitutionnel, le président du Sénat a pointé, dans un récent entretien au Monde, les désaccords parfois profonds entre l’Assemblée nationale et le Sénat [11]. Dans l’hypothèse d’une utilisation de la procédure de révision définie à l’article 89 de la Constitution [12], il est à ce jour hautement improbable que les propositions de réforme constitutionnelle concernant le Parlement puissent aboutir. Il suffit pour s’en convaincre de songer par exemple au volet relatif à la procédure législative, à la constitutionnalisation du mode de scrutin pour les élections législatives, ou encore à certains aspects du mandat parlementaire. La situation est évidemment différente pour les (nombreuses) pistes de réforme institutionnelle qui n’exigeraient pas une révision de la Constitution, l’Assemblée nationale disposant, dans le cadre de la procédure législative ordinaire (article 45, al. 4 de la Constitution) et, dans des conditions plus strictes, dans le cadre de l’élaboration des lois organiques [13], du « dernier mot » [14]. Mais l’équilibre des forces politiques est tel qu’il est peu probable que le gouvernement – seul habilité à demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement – use systématiquement de cette prérogative (qui n’a évidemment pas les faveurs des sénateurs…) pour parvenir à l’adoption de propositions de loi, surtout s’il doit aussi y recourir pour faire adopter ses propres projets. Pour faire aboutir la plupart de leurs propositions de réformes, les députés devront donc compter avec l’«opposition [sénatoriale] ouverte, mais exigeante » [15]. Assurément, la partie n’est pas gagnée.

 

[1] http://videos.assemblee-nationale.fr/video.4895247_59c23228efe3c.presidence-de-l-assemblee-nationale—conference-de-presse-de-francois-de-rugy-sur-la-constitution-o-20-septembre-2017. Un dossier de presse a été mis en ligne le jeudi 28 septembre, il est librement accessible à l’adresse http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/DP.pdf.

[2] Un seul exemple : interrogé par une journaliste à propos du phénomène de l’« inflation » législative, le président de l’Assemblée nationale, rapportant un entretien avec un ancien président du Conseil constitutionnel, déclara sur un ton passablement offusqué que « le Conseil constitutionnel avait envisagé à une époque de censurer des lois pour manque d’intelligibilité », avant de préciser : « pour autant, ils [les membres du Conseil] ne l’ont pas fait, parce que vous voyez bien que, à un moment donné, ce serait peut-être un empiétement sur le pouvoir législatif [sic] ». En dehors du caractère erroné de l’affirmation (rappelons que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi fait partie des normes de référence utilisées par le Conseil constitutionnel depuis la décision 99-421 DC du 16 novembre 1999, Loi habilitant le gouvernement à procéder par voie d’ordonnances à l’adoption de certains codes),on est frappé par la naïveté générale du propos, qui révèle une méconnaissance profonde – et alarmante, s’agissant du président de l’Assemblée (qui débute son troisième mandat de député) – du fonctionnement de nos institutions.

[3] http://www2.assemblee-nationale.fr/14/autres-commissions/avenir-des-institutions/(block)/9889. Ce groupe comprenait des élus (principalement des députés) ainsi que des personnalités qualifiées.

[4] Refaire la démocratie. Rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, p. 11.  Sur ce même sujet, voir également Denis Baranger et Olivier Beaud, « Un regard de constitutionnalistes sur le rapport Jospin », RFDA 2013, pp. 389 s.

[5] LE DIVELLEC, Armel, « Vers la fin du « parlementarisme négatif » à la française ? », Jus Politicum, n° 6, 2011 (http://juspoliticum.com/article/Vers-la-fin-du-parlementarisme-negatif-a-la-francaise-439.html)

[6] Les rapporteurs sont chargés de la rédaction d’un rapport qui n’est pas soumis à l’adoption des membres de chaque groupe.

[7] Propos recueillis par une journaliste du Monde, « Le président de l’Assemblée nationale François de Rugy lance sa réforme », édition du 20 septembre 2017.

[8] Par exemple, pour le thème de la procédure législative et des droits de l’opposition : http://www2.assemblee-nationale.fr/qui/pour-une-nouvelle-assemblee-nationale-les-rendez-vous-des-reformes-2017-2022/procedure-legislative-et-droits-de-l-opposition/secretariat/contribuez.

[9] Groupe « procédure législative, organisation parlementaire et droits de l’opposition ».

[10] Par exemple, pour le groupe de travail « Procédure législative, organisation parlementaire et droits de l’opposition », la feuille de route communiquée le 20 septembre indique : « Comment rendre la procédure parlementaire plus efficace dans le cadre de la révision constitutionnelle ? La première mission du groupe de travail sera essentielle puisqu’il s’agira d’étudier en quoi les règles constitutionnelles qui régissent l’organisation du Parlement et le fonctionnement de la procédure législative peuvent être améliorées. Il s’agira notamment de dresser le bilan de la réforme de 2008 et d’analyser comment les pouvoirs du Parlement peuvent être accrus, tout en se combinant à un impératif d’efficacité. Les propositions ainsi formulées pourront alimenter la réflexion sur la révision constitutionnelle à venir » (dossier de presse, précité).

[11] Le Monde, édition du 4 octobre 2017.

[12] Indépendamment des conditions de majorité requises au Congrès, l’article 89 exige que le projet de révision soit « voté par les deux assemblées en termes identiques ».

[13] V. article 46, alinéa 3 de la Constitution.

[14] Sauf pour les lois organiques relatives au Sénat, pour lesquelles l’alinéa 4 de l’article 46 de la Constitution exige qu’elles soient « votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ». Sur la signification de l’expression « lois organiques relatives au Sénat » qui désigne les lois « propres » au Sénat, voir Pierre Avril, Jean Gicquel et Jean-Éric Gicquel, Droit parlementaire, Paris, LGDJ-Lextenso, 5e éd., 2014, pp. 291-292.

[15] M. Gérard Larcher au Monde, entretien précité.