De l’IRFM à l’avance mensuelle : la réforme inachevée de la prise en charge des frais de mandat des députés [Par Benjamin Fargeaud]

De l’IRFM à l’avance mensuelle : la réforme inachevée de la prise en charge des frais de mandat des députés [Par Benjamin Fargeaud]

On september 29th2017, the French National Assembly has reformed the system of funding of parliamentary expenses. The aim is to comply with the September 15th 2017 law for confidence in the political life, which removed the traditional monthly parliamentary expense allowance.

 

Swapping the traditional parliamentary expense allowance with a new « monthly advance » for parliamentary expenses, the new regulation has created mixed reactions. As far as the  new scheme is concerned, it seems that the very principle of the parliamentary expense allowance survives under a new name. While its legal regime has been largely reformed, it does not dispel all critics. A step has been made, but there is still a lot to do to ensure an effective control of funds use.

 

Par un arrêté du Bureau n°12/XV en date du 29 novembre 2017, l’Assemblée nationale a défini le nouveau système de prise en charge des frais de mandat des députés. Il s’agissait ici de tirer les conséquences de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, qui avait supprimé l’indemnité représentative de frais de mandat.

 

Troquant l’indemnité représentative de frais de mandat contre une « avance mensuelle » de frais de mandat, l’arrêté a suscité des réactions contrastées. A l’examen, si le principe de l’IRFM semble se maintenir sous un nom nouveau, son régime juridique a été largement remanié, sans réussir toutefois à écarter toute critique. Une étape importante a été franchie, mais il reste encore fort à faire pour assurer un contrôle efficace de l’usage des frais de mandat.

 

Benjamin Fargeaud, Doctorant à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

 

Le système de prise en charge des frais de mandat des députés, présenté par l’arrêté du Bureau n°12/XV publié le 29 novembre 2017, a suscité des réactions contrastées [1]. Attendu depuis plusieurs mois, ce nouveau dispositif doit prendre le relai, à compter du 1er janvier 2018, de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) supprimée par l’article 20 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

 

Pour le président de l’Assemblée nationale, il s’agirait du « dispositif le plus complet à ce jour, qui encadre le périmètre des frais de mandat des députés et organise leur contrôle ». A contrario, pour ses détracteurs, ce dispositif ne ferait que ressusciter, sous un nom nouveau, l’ancienne IRFM [2]. Enfin, la publication dans la presse d’extraits de l’avis rendu sur le projet d’arrêté par la Déontologue de l’Assemblée, la professeure de droit Agnès Roblot-Troizier, particulièrement circonspecte vis-à-vis de différents éléments du dispositif, est venue renforcer la polémique.

 

Le nouveau système de prise en charge des frais de mandat réalise-t-il un véritable changement au regard du dispositif antérieur, ou bien ne s’agit-il que d’une manière détournée de ramener à la vie l’IRFM supprimée par la voie législative en septembre dernier ? Si le nouveau système ne diffère pas, dans son principe, de l’ancienne IRFM, la fixation d’une liste exhaustive des dépenses éligibles au titre des frais de mandat et la mise en place d’un contrôle confié à la Déontologue sont les principaux apports de la réforme. Cette dernière semble toutefois s’arrêter à mi-chemin, dans la mesure où le bon fonctionnement d’un tel contrôle requiert des moyens dont l’organe de déontologie parlementaire semble, en l’état actuel des choses, dépourvu. Pour reprendre les termes de la Déontologue : nous venons « de loin » et nous ne sommes pas encore arrivés « au terme de l’évolution » [3].

 

La problématique du contrôle des frais de mandat

 

L’évolution de l’encadrement des frais de mandat est loin d’être propre à la France. La question du contrôle de ces frais est en effet devenue, depuis quelques décennies, un problème sensible dans plusieurs démocraties occidentales, où les progrès de la transparence en matière de gestion publique ont exposé sur la place publique les abus auxquelles certaines pratiques avaient pu donner lieu.

 

L’exemple le plus célèbre et le plus révélateur est celui du Royaume-Uni, où le « scandale des notes de frais » a entrainé une réforme radicale du régime juridique des indemnités des membres de la Chambre des Communes [4]. A l’époque, le remboursement des notes de frais des parlementaires britanniques était assuré, sur présentation d’un justificatif, par l’administration de la Chambre. Ces remboursements avaient toutefois donné lieu à des abus massifs (allant de la prise en charge d’équipements destinés à l’usage personnel aux remboursements de crédits immobiliers inexistants) finalement révélés en 2009 par le Daily Telegraph. Devant l’ampleur du scandale, plusieurs ministres ainsi que le Speaker de la Chambre ont été amenés à démissionner. L’image de l’institution parlementaire étant durablement atteinte, la situation appelait une réforme radicale : une agence indépendante, l’Independent Parliamentary Standards Authority (IPSA), a ainsi été créée par le Parliamentary Standards Act du 21 juillet 2009 pour assurer la transparence de la prise en charge des frais de mandat et les contrôles nécessaires. Par la suite, l’IPSA a également reçu la compétence pour fixer le régime juridique de la prise en charge des frais de mandat des membres du Parlement : le remboursement des notes de frais se fait toujours sur présentation des justificatifs, mais sous le contrôle de cette autorité indépendante. Celle-ci est ainsi devenue un modèle en la matière : l’Australie, confrontée également à un scandale concernant la prise en charge des frais de transport des ministres et parlementaires, a mis en place cette année une autorité indépendante inspirée de l’IPSA  [5].

 

Contrairement au Royaume-Uni, la France n’a pas connu son « scandale des notes de frais ». Une raison simple y faisait obstacle : à l’Assemblée nationale, le remboursement de la plupart des frais de mandat ne se faisait pas sur présentation d’un justificatif, mais par le versement d’une indemnité mensuelle, l’IRFM, dont l’emploi était laissé à la discrétion du parlementaire. Cette indemnité de 5 372,80 euros par mois, destinée aux frais de représentation supportés par les parlementaires à l’occasion de l’exercice de leur mandat, était entourée d’une opacité complète [6]. L’existence d’abus étant avérée, l’IRFM avait mauvaise presse. Des pratiques telles que le financement des campagnes électorales à partir des frais de mandat ou encore l’usage de l’IRFM pour acquérir à titre personnel sa permanence parlementaire, ont progressivement cessé d’être tolérées.

 

L’encadrement juridique de l’IRFM a ainsi évolué sous la XIVe Législature. A partir de 2013 et sous l’effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel [7], il est fermement établi que cette indemnité ne peut plus être employée pour financer une campagne électorale [8]. En 2015, un arrêté du Bureau en date du 18 février inscrit un article 32 bis consacré à l’utilisation de l’IRFM dans l’Instruction générale du Bureau, qui complète le Règlement de l’Assemblée nationale, afin de dresser une première liste (très succincte) de frais susceptibles d’être couverts par l’IRFM, de prohiber l’acquisition d’un bien immobilier par le biais de cette indemnité et de prévoir pour chaque député le dépôt d’une attestation sur l’honneur par laquelle ce dernier certifiait avoir utilisé ces fonds conformément à leur destination [9].

 

La réforme de l’IRFM avait donc déjà débuté sous la Législature précédente. Toutefois, l’Assemblée nationale ayant échappé à un scandale d’une ampleur comparable à ceux ayant touché certains de ses homologues étrangers, cette réforme était restée à un stade embryonnaire. Dans la continuité des promesses de campagne du président de la République, une nouvelle modification du système de prise en charge des frais de mandat est apparue nécessaire à la XVe Législature.

 

Le nouveau système de prise en charge des frais de mandat

 

L’arrêté n°12/XV relatif aux frais de mandat des députés comporte un préambule et trois articles.

 

Le préambule rappelle l’importance des indemnités et défraiements, qui permettent de garantir l’indépendance et le « libre exercice du mandat de député ». La définition par le Bureau d’un « régime de prise en charge des frais de mandat des députés » ne saurait avoir pour objet « d’entraver ni d’amoindrir la liberté des députés d’exercer leur mandat en toute indépendance », mais se donne pour ambition « de participer à la restauration de la confiance entre les citoyens et leurs élus ».

 

L’article 1er détaille la liste des frais de mandat pris en charge par l’Assemblée nationale. Ces derniers doivent être, pour chaque député, « en lien direct non seulement avec sa qualité mais aussi avec l’exercice de son mandat parlementaire et de son indissociable activité politique ». Il est également précisé que les frais en question doivent avoir « un caractère raisonnable ». L’article énumère, dans la lignée de l’instruction du Bureau de 2015, une liste de dépenses relatives aux bureaux, aux déplacements, à l’hébergement, à la formation ou encore à la communication du député.

 

Tous ces frais ne sont toutefois pas pris en charge de la même façon. Dans la droite ligne de ce qui est déjà pratiqué à l’Assemblée nationale, les frais de mandat sont divisés entre ceux qui sont directement pris en charge par l’institution (par exemple, un bureau est mis à disposition du député au Palais Bourbon, l’équipement afférent étant également fourni), ou bien qui sont remboursés sur justificatifs (c’est par exemple le cas du crédit d’équipement informatique, qui fait déjà actuellement l’objet d’un remboursement sur justificatifs), et ceux qui sont imputables sur « l’avance mensuelle de frais de mandat ». Les députés se verront en effet verser mensuellement une avance, dont le montant est fixé par l’article 2 à 5 373 euros, soit exactement, à 20 centimes près, le montant de l’actuelle IRFM.

 

La ressemblance avec l’ancien système de prise en charge des frais de mandat est évidente. Les frais autrefois pris en charge directement par l’Assemblée le sont toujours. Ceux qui faisaient l’objet d’un remboursement sur justificatifs ne changent pas non plus de régime. Pour le reste, l’IRFM est remplacée par une avance mensuelle, la différence résidant dans le fait que l’arrêté du Bureau fixe désormais de manière exhaustive les types de dépenses relevant de cette avance.

 

L’apport principal de l’arrêté réside toutefois dans son article 3, consacré au « contrôle des frais de mandat des députés ».

 

Le contrôle des frais de mandat directement pris en charge par l’Assemblée nationale ou remboursés sur justificatifs est assuré par les services de l’Assemblée, sous l’autorité des Questeurs et de la Déontologue. La vérification de l’usage de l’avance mensuelle, quant à elle, est exercée directement par la Déontologue de l’Assemblée. Cet examen s’exerce selon deux modalités :

 

  • En fin d’exercice annuel, l’ensemble des comptes d’un député peut faire l’objet d’un contrôle. Ce dernier ne concerne qu’une fraction des députés, désignée aléatoirement. Il est néanmoins prévu que tous les députés verront au moins une fois leur exercice annuel examiné lors de la législature ;

 

  • En cours d’exercice, « à tout moment », la Déontologue peut également contrôler les dépenses imputées par le député sur son avance de frais.

 

Afin de permettre les vérifications de l’organe de déontologie parlementaire, les députés sont tenus d’enregistrer les dépenses effectuées et de conserver les justificatifs afférents. L’arrêté semble encourager le recours à un comptable, précisant que le coût de ce service est pris en charge par l’Assemblée nationale. Une marge de tolérance est toutefois prévue puisque, dans la limite de 150 euros par semaine, les paiements imputés sur l’avance pourront être dispensés de justificatif.

 

En cas de manquement constaté par la Déontologue aux règles encadrant l’avance mensuelle, le député est tenu de rembourser les dépenses indument prises en charge. Cette décision peut être contestée devant le Bureau de l’Assemblée nationale. Si la Déontologue constate des manquements aux règles définies dans le code de déontologie intégré au Règlement de l’Assemblée, elle peut saisir la délégation du Bureau chargée de l’application du statut de député.

 

Les limites de la réforme

 

Pour apprécier la valeur du dispositif retenu par le Bureau de l’Assemblée nationale, il convient de distinguer deux questions : celle des modalités de la prise en charge des frais de mandat d’une part et celle du contrôle de l’utilisation de ces frais, d’autre part.

 

En ce qui concerne les modalités de la prise en charge de ces frais, la loi du 15 septembre 2017 laissait au Bureau le choix entre la prise en charge directe, le remboursement sur présentation de justificatifs ou le versement d’une avance par l’Assemblée. Ces différentes modalités de prise en charge ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Le système de l’avance permet ainsi une gestion relativement souple par les députés, en leur évitant tout problème de trésorerie dans la mesure où ils n’ont pas à avancer eux-mêmes le montant des dépenses. Il a toutefois l’inconvénient de rendre le contrôle plus difficile, ce dernier n’intervenant qu’a posteriori. A contrario, le système de remboursement sur justificatifs semble plus adapté à un contrôle resserré, mais il implique une gestion administrative plus lourde, à la fois pour le parlementaire et pour le service en charge du contrôle.

 

Sur ce point, le système adopté reproduit ce qui existait déjà en combinant les différentes modalités de prise en charge. En cela, l’arrêté du 29 novembre 2017 est davantage une réforme de l’IRFM qu’une suppression de cette dernière, puisque l’avance demeure le mode de prise en charge d’une partie importante des frais des députés. Ceux qui espéraient, dans la droite ligne de la version initiale du projet de loi pour la confiance dans la vie politique [10], la suppression de l’IRFM et le passage à un système de remboursement sur justificatifs ne peuvent que déplorer sa résurrection sous la forme de l’avance mensuelle de frais de mandat [11].

 

Toutefois, le cœur du problème n’est sans doute pas la question des modalités de prise en charge, mais celle des modalités du contrôle des frais de mandat des parlementaires. Là encore, plusieurs possibilités étaient imaginables : l’autorité en charge du contrôle peut être l’administration de l’Assemblée (comme c’est déjà le cas actuellement pour certains remboursements sur justificatifs), une commission composée d’élus (le Sénat s’est ainsi doté en 2009 d’un « Comité de déontologie parlementaire » composé de huit sénateurs) ou encore une autorité indépendante (dont le modèle à ce jour le plus abouti est l’IPSA britannique, mais dont la Déontologue de l’Assemblée nationale est un autre exemple). Là encore, les différentes options ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. L’administration de l’Assemblée assure déjà en partie le contrôle des frais de mandat des parlementaires, mais il peut apparaître délicat de confier ce dernier entièrement à une administration censée être sous l’autorité des personnes à contrôler. Le choix de l’autorégulation par une commission d’élus, quant à lui, a l’avantage d’apparaître respectueux du libre exercice du mandat parlementaire et du principe d’autonomie des assemblées parlementaires, principe à valeur constitutionnelle que le Conseil constitutionnel déduit du principe de séparation des pouvoirs [12]. Enfin, le choix d’une autorité indépendante semble offrir des garanties d’impartialité et de transparence, de nature à répondre à la crise de confiance que traverse la représentation parlementaire. Si la question de sa compatibilité avec le principe constitutionnel d’autonomie des assemblées parlementaires peut être soulevée, il a l’avantage d’éviter à l’Assemblée d’apparaître comme « juge et partie » dans l’établissement du régime juridique et le contrôle des frais de mandat, ce qui est une autre manière de respecter cette règle de « morale constitutionnelle » [13] qu’est la séparation des pouvoirs.

 

Le Bureau de l’Assemblée n’avait toutefois ici qu’une marge de manœuvre limitée, puisque la loi du 15 septembre 2017 confiait à « l’organe chargé de la déontologie parlementaire » le contrôle des dépenses engagées dans le cadre de la prise en charge des frais de mandat. C’est ainsi principalement à la Déontologue de l’Assemblée que revient le contrôle des frais de mandat des députés.

 

Cette dernière, dans l’avis rendu sur l’arrêté en vertu de l’article 20 de la loi du 15 septembre 2017, a toutefois fait part de ses inquiétudes [14], jugeant le texte « très en-deçà de l’objectif législatif tendant à contribuer au rétablissement de la confiance entre les citoyens et les parlementaires ». Elle s’inquiète notamment des limites du contrôle qui lui sera confié : le dispositif lui semble en effet insuffisant, dans la mesure où le contrôle annuel épargnera les députés qui ne seront pas tirés au sort. Une autre source de préoccupation concerne les cas de figure où les députés ne sont pas tenus de lui apporter les éclaircissements demandés. L’alinéa 9 de l’article 3 prévoit en effet que « les députés ne sont pas tenus de fournir au Déontologue des informations confidentielles couvertes par un secret protégé par la loi ou relatives à l’identité de tierce personne ». Il y a lieu de s’interroger sur les raisons d’être de cette réserve, dans la mesure où une dépense relative à un secret médical ou professionnel serait, par hypothèse, dénuée de lien avec l’exercice du mandat. Par ailleurs, la référence à une « information confidentielle relative à une tierce personne » lui apparaît trop large et risque d’être détournée par un parlementaire souhaitant se soustraire à un éventuel contrôle.

 

Au-delà des limites du contrôle prévu par l’arrêté du 29 novembre, ce sont également celles de l’organe de déontologie parlementaire en lui-même qui menacent l’efficacité du mécanisme à venir. La Déontologue n’exerce en effet qu’à mi-temps et ne dispose à l’heure actuelle que de deux adjoints. Dans la mesure où le précédent Déontologue estimait que la fonction devrait être occupée à temps-plein et dotée d’un service de six personnes [15], il apparaît évident que l’organe de déontologie de l’Assemblée n’a pas actuellement les moyens d’exercer les nombreuses missions que la loi a entendu lui confier. Le renforcement des moyens de la Déontologue sera une condition indispensable à la bonne application du nouveau système de prise en charge des frais de mandat [16].

 

Davantage que la résurrection de l’IRFM en ce qui concerne les modalités de la prise en charge des frais de mandat, ce sont donc les  moyens actuels du contrôle qui peuvent faire douter de la portée réelle de la réforme.

 

Un dispositif transitoire ?

 

L’arrêté du 29 novembre 2017 ne clôt vraisemblablement pas le débat relatif aux frais de mandat des députés. Seule la pratique pourra juger de la viabilité du système mis en place, tout particulièrement en ce qui concerne le contrôle confié à la Déontologue. L’arrêté prévoit d’ailleurs une clause de rendez-vous « au plus tard un an après son adoption par le bureau ». Ce n’est également qu’à l’usage que pourra être évaluée la réussite du Bureau par rapport à l’objectif ambitieux qu’il s’est fixé : « participer à la restauration de la confiance entre les citoyens et leurs élus ».

 

Si la portée du nouveau système de prise en charge des frais de mandat a été mise en doute, il faut toutefois relever que certaines avancées sont importantes : fixation d’une liste exhaustive es dépenses relevant des frais de mandat, obligation de conserver les justificatifs de dépenses (sous réserve de la tolérance prévue de 150 euros par semaine) et organisation du contrôle par la Déontologue. En apparence, nous sommes encore très loin du modèle britannique. Il suffirait pourtant de franchir quelques étapes supplémentaires pour qu’il en soit autrement : que les justificatifs de dépenses soient intégralement transmis à la Déontologue et que cette dernière soit placée à la tête d’une véritable administration indépendante ayant les moyens de mener un contrôle approfondi. Il s’agirait donc, s’il existait une volonté politique en ce sens, d’approfondir les perspectives ouvertes par l’arrêté du 29 novembre 2017 en mobilisant les moyens nécessaires à sa correcte application : comme l’a fait observer John Sills, le directeur de la règlementation de l’IPSA, lors de son audition devant le groupe de travail de l’Assemblée nationale en charge de réfléchir au statut du député, le contrôle a un coût qui est le prix à payer pour le rétablissement de la confiance entre l’opinion et ses représentants [17].

 

Une telle réforme demande un volontarisme politique qui semble excéder celui de l’actuel Bureau de l’Assemblée nationale. Le débat reste toutefois ouvert. Certains parlementaires, misant sur la transparence, procèdent d’ores et déjà à la mise en ligne de leurs dépenses en matière de frais de mandat [18]. Dans le cadre des groupes de travail consacrés à la réforme de l’Assemblée nationale, le rapporteur du groupe consacré à la réforme du statut du député a proposé l’inscription dans la Constitution d’un article 25-1 consacrant une « agence des moyens des parlementaires », inspirée de l’IPSA britannique [19]. A l’instar de cette dernière, il s’agirait d’une agence indépendante du Parlement qui aurait compétence pour fixer le régime de prise en charge des frais des parlementaires et opérer les contrôles nécessaires. Il n’en demeure pas moins que sur un sujet qui concerne au premier chef l’éthique individuelle, l’évolution des mœurs parlementaires est aussi déterminante que celle du texte constitutionnel [20].

 

[1] Je tiens ici à remercier pour leurs relectures et leurs conseils Mme la Professeure Cécile Guérin-Bargues et M. Williane Goliasse.

[2] Pour un commentaire très critique du nouveau système de prise en charge des frais de représentation des parlementaires, cf. Paul Cassia, « De l’IRFM… à l’IRFM », https://blogs.mediapart.fr/paul-cassia/blog/011217/de-l-irfm-l-irfm

[3] Cf. le court entretien donné par la Déontologue à l’AFP et publié par L’Obs : https://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20171222.AFP4637/assemblee-nationale-des-failles-toujours-possibles-mais-pas-de-retour-en-arriere-selon-la-deontologue.html

[4] Cécile Guérin-Bargues, Immunités parlementaires et régime représentatif : l’apport du droit constitutionnel comparé : France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Paris, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, tome 137, 2011, pp. 214-216 ; cf. également Céline Roynier, « La résolution du scandale des notes de frais des MPS au Royaume-Uni ou les bienfaits de la morale constitutionnelle », Jus politicum Blog, 20 mars 2017, http://blog.juspoliticum.com/2017/03/20/la-resolution-du-scandale-des-notes-de-frais-des-mps-au-royaume-uni-ou-les-bienfaits-de-la-morale-constitutionnelle/

[5] Il s’agit de l’Independent Parliamentary Expenses Authority : https://www.ipea.gov.au/

[6] La libéralité de ce régime juridique était peut-être dû au fait que, longtemps, l’IRFM a été considérée comme « un discret complément de revenu », qui évitait d’avoir à augmenter l’indemnité parlementaire proprement dite. Cf. Pierre Januel, « Frais de mandat des députés : un encadrement renforcé », Dalloz-actualité, 1er décembre 2017, https://www.dalloz-actualite.fr/flash/frais-de-mandat-des-deputes-un-encadrement-renforce#.WiqgJjd742w

[7] Cons. const. 1er mars 2013, no 2012-4715 AN, Haute-Vienne, 2e circ.

[8] Cf. article L. 52-8-1 du Code électoral, introduit par la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013.

[9]  « Article 32 bis. Utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat
I. – Peuvent être imputés sur l’indemnité représentative de frais de mandat :
1. Les frais liés à la permanence et à l’hébergement du député ;
2. Les frais de transport du député et de ses collaborateurs ;
3. Les frais de communication ;
4. Les frais de représentation et de réception ;
5. Les frais de formation du député et de ses collaborateurs.
II. – Aucune dépense afférente à l’acquisition d’un bien immobilier ne peut être imputée sur l’indemnité représentative de frais de mandat.
III. – Avant le 31 janvier suivant chaque année civile de mandat, le député adresse au bureau une déclaration attestant sur l’honneur qu’il a utilisé l’indemnité représentative de frais de mandat, au cours de ladite année, conformément aux règles définies par le Bureau.

Le Président peut, après avis du Bureau, saisir le déontologue de l’Assemblée nationale d’une demande d’éclaircissements concernant l’utilisation par un député de son indemnité représentative de frais de mandat, avec pour mission de lui en faire un rapport. Saisi par le Président, le Bureau statue sur la situation du député au vu de ce rapport et prend des mesures appropriées. »

[10] Il faut rappeler ici l’article 7 originaire du projet de loi, qui intégrait dans l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article 4 sexies ainsi rédigé : « Chaque assemblée parlementaire définit les conditions dans lesquelles les frais de mandat réellement exposés par chaque député et sénateur lui sont remboursés, dans la limite de plafonds qu’elle détermine, sur présentation de justificatifs de ces frais ».

[11] Paul Cassia, dans son billet de blog précité, oppose ainsi « l’IRFM » (indemnité représentative des frais mandats) et « l’AMFM » (avance mensuelle des frais de mandat), pour souligner la parenté des deux systèmes.

[12] Pierre Avril, Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, Droit parlementaire, Paris, LGDJ, Domat droit public, 5e édition, 2014, p. 67. Cf. également Cons. const., décision n°2001-456 DC du 27 décembre 2001, Loi de finances pour 2002, §47 : « Considérant que ces dispositions ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle à la règle selon laquelle les pouvoirs publics constitutionnels déterminent eux-mêmes les crédits nécessaires à leur fonctionnement ; que cette règle est en effet inhérente au principe de leur autonomie financière qui garantit la séparation des pouvoirs ; que, sous cette réserve, l’article 115 est conforme à la Constitution ».

[13] Cf. Céline Roynier, billet précité.

[14] Philippe Mathon, Stéphanie Depierre, « Les doutes de la Déontologue sur le contrôle des frais de mandat », 4 décembre 2017, http://www.lcp.fr/actualites/info-lcp-les-doutes-de-la-deontologue-sur-le-controle-des-frais-de-mandat-des-deputes

[15] « Pour une nouvelle Assemblée nationale », Groupe de travail relatif au « statut du député », lundi 13 novembre, compte-rendu n°5, pp. 11-12 : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/reforme-an/statut/statut-CR5.pdf

[16] C’est le constat que dresse la Déontologue dans l’entretien donné à l’AFP et publié par l’Obs le 22 décembre 2017 : « Pour que je sois en mesure de faire le contrôle que la loi prévoit, les questeurs et le bureau de l’Assemblée nationale seront amenés à préciser les modalités de mon contrôle et à me doter de moyens humains ». https://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20171222.AFP4637/assemblee-nationale-des-failles-toujours-possibles-mais-pas-de-retour-en-arriere-selon-la-deontologue.html

[17] « Pour une nouvelle Assemblée nationale », Groupe de travail relatif au « statut du député », lundi 6 novembre, compte-rendu n°4, p. 28 : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/reforme-an/statut/statut-CR4.pdf

[18] La députée Paula Forteza, élue de la 2e circonscription des Français établis hors de France, a ainsi pris l’initiative de mettre en ligne ses dépenses au titre de l’IRFM. Consultée le 23 décembre 2017, la publication semble toutefois ne plus avoir été mise à jour depuis le début du mois de novembre : https://irfm.forteza.fr/journal

[19]« Pour une nouvelle Assemblée nationale, Les rendez-vous des réformes 2017-2022, Première Conférence des réformes, Propositions des groupes de travail. Décembre 2017 », p. 39 et s. : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/reforme-an/Rapport-1-GT.pdf

[20] Sur ce point, l’échange entre le secrétaire général de la Questure et le représentant de l’IPSA au sujet de la prise en compte, au titre des frais de mandat, des repas entre parlementaires et des personnes extérieures au Parlement illustre un fossé persistant entre les pratiques des parlementaires français et celles des parlementaires d’outre-manche. Cf. « Pour une nouvelle Assemblée nationale », Groupe de travail relatif au « statut du député », lundi 6 novembre, compte-rendu n°4, pp. 33-34.