L’été des censures (le cumul des motions de censure : cumul des oppositions ?)

Par Jean de Saint Sernin

<b> L’été des censures (le cumul des motions de censure : cumul des oppositions ?)</b></br> </br> Par Jean de Saint Sernin

En application de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution, deux motions de censure ont été déposées, respectivement les 26 et 27 juillet 2018. Ces motions présentent des caractéristiques déjà observées consistant dans l’association de groupes aux effectifs insuffisants pour effectuer un dépôt, l’union circonstancielle des oppositions parlementaires et dans la division de ces mêmes  oppositions. Mais ces motions ont aussi deux singularités, résidant dans la différence de forme des motion  et dans l’attitude hétérogène des groupes dans les votes.

 

In accordance with the second paragraph of Article 49 of the Constitution, two votes of no confidence (motions de censure) have been tabled on 26 and 27 July 2018 respectively. These motions have already observed characteristics consisting of the association of groups with insufficient numbers to make a deposit, the circumstantial union of the parliamentary oppositions, and in the division of these same oppositions. But these votes also have two singularities, residing in the difference of form of the votes and in the heterogeneous attitude of the groups in the votes.

 

Jean de Saint Sernin, ATER à l’université Paris Nanterre (CTAD) et docteur à l’université Paris II Panthéon-Assas

 

 

Sous la Ve République, 55 motions de censure ont été déposées « spontanément » en application de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution du 4 octobre 1958. La motion de censure est usuellement déposée par l’un des groupes parlementaires membres de l’opposition à la majorité gouvernementale. La motion de censure est déposée par le Président du groupe parlementaire, à supposer que celui-ci possède l’effectif constitutionnel requis pour réunir les signatures de dépôt (1/10ème des parlementaires de l’Assemblée nationale, soit actuellement 58 parlementaires). Dès la IXème législature, on a observé une « union » des oppositions parlementaires, manifestée par l’association d’un ou de plusieurs groupes parlementaires en vue de réunir le minimum de signatures exigée par la Constitution. Ainsi le 4 mai 1990 et le 5 avril 1991, outre celui des 41 membres de son groupe, Pierre Méhaignerie, Président du groupe UDC, reçut le soutien de Charles Millon, Président du groupe UDF, et de Bernard Pons, Président du groupe RPR. Dans le même sens, Alain Bocquet, Président du groupe communiste, reçut, à côté de celui des 23 membres de son groupe, le soutien du groupe socialiste et de son Président Martin Malvy dans le dépôt de la motion de censure effectué sous la Xème législature le 7 avril 1994.

 

Sous la XVème législature, Christian Jacob, Président du groupe LR a déposé une motion de censure le 26 juillet 2018. Les 102 membres de son groupe parlementaire lui ont permis de réunir aisément les signatures nécessaires. Tel n’a pas été revanche le cas pour la deuxième motion déposée parallèlement le 27 juillet 2018. Avec respectivement, 16, 17, et 30 membres, les groupes parlementaires GDR, La France Insoumise et Nouvelle gauche ne peuvent individuellement réunir les signataires nécessaires, ce qui a abouti à une « union » pour le dépôt d’une motion dite « de gauche ». Dans les législatures précédentes, avait déjà été observable le dépôt d’une motion de censure par trois groupes parlementaires, à l’instar de la motion du 18 mai 1999 déposée par les groupes RPR (113 membres), UDF (82 membres), DL (30 membres). Toutefois, cette motion se justifiait moins par le souci de réunir le seuil constitutionnel de dépôt fixé, que d’afficher une opposition unie et organisée au Gouvernement à la suite des évènements en Corse. La motion du 27 juillet 2018 se justifie autant par des motifs politiques, à savoir, la fédération d’une opposition de la gauche au sein de l’hémicycle, mais aussi par des motifs juridiques, la réunion du seuil constitutionnel fixé par le constituant.

 

Le dépôt d’une motion de censure aboutit ainsi à une structuration de l’opposition au sein de groupes parlementaires unis par leur opposition législative commune au Gouvernement. Cependant la bipolarisation de l’hémicycle de l’Assemblée nationale et la logique majoritaire n’entraînent que l’union des signataires entre groupes parlementaires partageant une « certaine » idéologie politique commune. Contrairement à une proposition de loi, jamais une motion de censure n’a été cosignée lors de son dépôt, par la majorité et l’opposition, d’une part, et par deux groupes parlementaires « radicalement » opposés dans leur idéologie politique, d’autre part.

 

Toutefois, l’article 49 alinéa 2 admet implicitement le dépôt dissocié d’une motion de censure par deux groupes parlementaires. L’hypothèse s’est présentée pour la première fois le 14 mars 1979, lorsque le Président du groupe communiste Georges Marchais déposa une motion de censure, tandis que François Mitterrand, Président du groupe socialiste déposa le même jour une autre motion de forme identique sur un sujet identique (politique générale du Gouvernement). Ces deux groupes parlementaires partageaient une opposition commune au Gouvernement de Raymond Barre et une certaine connivence idéologique. Avec respectivement 86 et 113 membres, les groupes communistes et socialistes pouvaient à eux seuls déposer une motion de censure en leur nom. Cependant, c’est la rupture du programme commun à l’occasion des législatives de 1978 qui explique ces deux dépôts séparés. La « motion communiste » a été votée par 86 voix, contre 200 pour la « motion socialiste ».

 

La motion du 27 juillet 2018 réunit trois formations parlementaires qui, en dépit de certains désaccords législatifs, possèdent certaines affinités idéologiques et partisanes dans leur vision de la société française. Ce « cumul des motions » renvoie à un « cumul juridico-politique des oppositions ». La motion du 27 juillet réunit les trois formations parlementaires situées à gauche de l’hémicycle et qui se sont déclarées « groupes d’opposition » à la lecture de leur déclaration politique et en application de l’article 51-1 de la Constitution issu de la révision du 23 juillet 2008 (1). La motion du 26 juillet s’inscrit dans une logique oppositionnelle identique, puisque, lors de sa constitution, le groupe LR s’est également déclaré « groupe d’opposition » (2).

 

Les deux motions des 26 et 27 juillet 2018 présentent des singularités à deux égards. En premier lieu, si les deux motions convergent sur le fond (Affaire Benalla), elles se distinguent dans leur forme, en ce qu’elles expriment l’incapacité d’une fédération « des oppositions » parlementaires par le suffrage. En second lieu, l’unité des groupes de gauche dans le dépôt de la motion de censure ne s’est pas accompagnée d’une position commune dans le vote de la motion déposée par le groupe LR. En effet, seuls les groupes FI et GDR ont annoncé leur intention de voter la censure du groupe LR. Il y a donc eu désunion au sein de l’opposition de gauche dans l’attitude à adopter vis-à-vis de la motion du groupe LR, qui succède à l’union formée durant le dépôt et le vote de sa propre motion. En raison du refus par le groupe Nouvelle Gauche de voter la motion du 26 juillet, celle-ci ne réunit que 143 voix. Dans le même sens, le groupe LR a refusé de voter la motion du 27 juillet, qui n’a obtenu que 74 voix.

 

Ces deux motions illustrent la fédération momentanée et circonstancielle « des oppositions » parlementaires dans une finalité identique, mais leur contenu différent, leur dépôt séparé, comme l’enseignement de leur vote, manifestent un certain clivage entre « ces » oppositions parlementaires dans le régime de la Ve République.