La justice universitaire mise sous la tutelle du Conseil d’Etat. Le coup de grâce donné au principe constitutionnel d’indépendance des universitaires 1/2 Par Olivier Beaud
La nouvelle n’a pas encore fait la « Une » des gazettes et ne la fera d’ailleurs jamais, mais il convient de savoir que le gouvernement a fait endosser par le parlement la fin d’une institution séculaire : le jugement des universitaires par des pairs, c’est-à-dire par une juridiction universitaire composée uniquement d’universitaires. Cette règle qui remonte au Premier Empire a survécu à tous les régimes et elle était traditionnellement présentée comme un des principes essentiels de la franchise universitaire. A l’occasion de l’examen devant le Parlement du projet de loi sur la transformation de la fonction publique, le gouvernement a déposé le 17 juin au Sénat un amendement en vue de modifier notamment la composition du CNESER disciplinaire, actuelle juridiction universitaire. Le principal changement réside dans l’attribution de la présidence qui devrait revenir, si cette disposition de la loi était définitivement adoptée, à un conseiller d’Etat nommé par le vice-président dudit Conseil.
Le Conseil d’Etat, qui était déjà le juge de cassation du CNESER, aurait désormais un de ses membres à la présidence de la juridiction universitaire. Nul doute que le Conseil d’Etat dominerait alors indirectement mais nécessairement, cette institution. Pour évaluer le recul considérable que comporterait une telle réforme, il suffit de méditer l’anecdote racontée par le doyen Vedel, rapportant une conversation, alors que la guerre d’Algérie s’achevait, avec Christian Fouchet, ministre de l’Éducation nationale (1962-1967). Le professeur de droit qui présidait à la juridiction universitaire de l’époque, la raconte ainsi :
« Dans un retentissant procès pénal, un de mes collègues, d’une rectitude morale absolue, mais d’opinion tranchée, déposant comme témoin, fit une dissertation argumentée sur la légitimité du tyrannicide au regard de la morale et du droit. Ému par ces propos, le ministre me demanda mon sentiment sur les suites que pouvait comporter l’incident. Je ne dissimulai au ministre ni qu’une déposition en justice tombait difficilement sous le coup de la discipline administrative ni qu’il y avait peu de chances de voir les juridictions universitaires, seules compétentes, censurer ce qui leur paraîtrait une manifestation de la liberté d’opinion. « Alors un universitaire a le droit de tout dire et de tout faire? » me demanda ironiquement le ministre. Je répondis qu’il n’en était rien et lui rappelai que la juridiction universitaire était la seule de toutes les instances corporatives qui avait frappé l’un de ses ressortissants d’une lourde peine disciplinaire pour une fraude fiscale, cependant étrangère à l’exercice des fonctions. Christian Fouchet réfléchit un instant et me dit : “Bon. Je suppose que cette autodiscipline où je n’ai rien à voir est le prix qu’il faut payer pour la liberté de l’université. Après tout, ce n’est pas trop cher“ »,[1].
Le projet du gouvernement ayant été adopté le 4 juillet par la Commission Mixte Paritaire, les universitaires, pour ce qui concerne leur statut disciplinaire, sont donc passés sous la « tutelle » du Conseil d’Etat. Certains s’en réjouissent ouvertement, au nom d’une prétendue « professionnalisation » de la juridiction[2]. Tel n’est pas notre cas. Nous voudrions montrer à quel point ce projet traduit l’affaiblissement constant du statut des universitaires dans notre pays et le mépris insondable de nos élites pour le monde académique. Le projet du gouvernement, qui témoigne d’une méconnaissance totale de la nature et du sens même de la justice universitaire (I), aboutit en effet à remettre fondamentalement en cause le principe constitutionnel d’indépendance des universitaires (II) sans réussir à justifier le prétendu lien avec la lutte contre le harcèlement sexuel (III).
I – La justice universitaire, gardienne de la liberté académique
Il n’y a pas a priori de lien évident entre les libertés universitaires et la justice universitaire conçue comme une justice de type échevinal où seuls des universitaires peuvent juger des universitaires et les sanctionner disciplinairement. Il s’agit d’une franchise universitaire qui a un lien pourtant essentiel avec nos libertés universitaires[3].
Comme nous avons eu l’occasion de le démontrer, les libertés universitaires sont au nombre de trois : la liberté de la recherche, la liberté de l’enseignement et la liberté d’expression à l’intérieur ou à l’extérieur de l’amphithéâtre. Ces libertés, comme toutes les libertés, ne sont pas absolues mais forcément limitées par le droit. Les universitaires sont par exemple soumis, comme tous les citoyens, aux rigueurs de la loi pénale et peuvent d’ailleurs être parallèlement poursuivis et jugés par la justice universitaire pour les mêmes faits. Mais la soumission des fautes disciplinaires ou déontologiques des universitaires à une justice de type échevinal vient garantir l’indépendance que protège leur statut. La doctrine universitaire classique percevait d’ailleurs la justice universitaire comme la gardienne de la liberté académique. Ainsi le doyen Trotabas, qui présida le Conseil supérieur de l’Éducation nationale — ancêtre du CNESER disciplinaire — soulignait l’esprit dans lequel officiait cette instance juridictionnelle d’appel : « le Conseil supérieur est le gardien de l’honneur du personnel enseignant, pour l’enseignement privé comme pour l’enseignement public (…) ; le gardien, aussi, de l’honneur des élèves et des étudiants et de leur avenir universitaire ; le gardien enfin de la liberté de l’enseignement et dans l’enseignement dans bien des cas »[4]. Par conséquent, même lorsqu’ils statuaient en matière disciplinaire, les universitaires se considéraient eux-mêmes comme étant les gardiens de la liberté académique. Telle est la conclusion à laquelle parvenait, avec d’autres, le doyen Vedel dans une étude souvent citée sur la justice universitaire. Il caractérisait en effet la jurisprudence de l’ancien Conseil supérieur de l’Éducation nationale comme étant marquée par « l’ombrageuse détermination des conseils d’université et du Conseil supérieur de défendre la liberté politique la plus totale des enseignants. Cette détermination était tellement connue que, paradoxalement, elle n’a pas guère eu d’occasion de se manifester visiblement dans la jurisprudence »[5].
Ces juridictions universitaires spéciales, que sont les juridictions universitaires, forment une exception au droit commun de la fonction publique dans lequel « la répression disciplinaire a un caractère hiérarchique et non contentieux ». En effet, « dans le droit commun de la fonction publique, c’est le supérieur hiérarchique (le ministre en principe pour les fonctionnaires d’État) qui prononce la peine disciplinaire, éclairé, mais non lié par l’avis de l’organisme paritaire »[6]. En d’autres termes, alors que pour les autres fonctionnaires les conseils de discipline ont un rôle seulement consultatif, l’essentiel de la compétence disciplinaire pour les universitaires (enseignants et étudiants) est exercé par des juridictions, soumises au contrôle de légalité du Conseil d’État, officiant comme juge de cassation. De telles juridictions sont souveraines et l’autorité hiérarchique « est liée par les décisions des juridictions universitaires »[7]. Par conséquent, un universitaire a un statut juridique différent d’un enseignant du secondaire ou du primaire. C’est l’une des manifestations les plus nettes de l’autonomie institutionnelle des universités par rapport à l’autorité administrative et politique.
Il faut ici préciser pourquoi les juridictions universitaires, en prenant les sanctions disciplinaires, jouent un rôle crucial dans la protection de l’indépendance des enseignants. Depuis la loi du 12 novembre 1968 (loi dite Faure) et son article 38, il y a « une compétence exclusive des juridictions universitaires pour prononcer les sanctions »[8]. Le ministre ne dispose plus du pouvoir de punir les universitaires, comme il pouvait le faire auparavant, même si c’était le plus souvent après avoir reçu un avis conforme des conseils universitaires[9]. Parmi ces sanctions disciplinaires réapparaît d’ailleurs en 1968 « l’interdiction d’enseignement avec privation, totale ou partielle de traitement » (art. L. 952-10). La plus grave demeure toutefois la révocation, dont il convient de dire quelques mots pour souligner une fois de plus la spécificité du droit public universitaire. En effet, à la différence de ce qui se passe dans d’autres corps de fonctionnaires, les militaires, par exemple, l’administration n’est pas compétente pour prononcer la révocation d’un universitaire. Ce sont ses pairs qui vont décider en la matière. Il s’agit là de l’une des spécificités les plus marquantes du statut des universitaires. Le CNESER disciplinaire qu’on accuse parfois de laxisme n’a pas tremblé ces dernières années pour révoquer des universitaires s’étant particulièrement mal comportés : on peut ainsi citer non seulement le cas de l’ancien président de l’Université de Toulon sanctionné pour avoir effectué un trafic de diplômes pour des étudiants chinois, mais aussi les cas d’un ancien directeur de laboratoire de l’Université des Antilles, qui a fait un usage pour le moins contestable des fonds généreusement alloués par l’Union européenne et celui, plus récent, d’un professeur qui avait commis des actes de harcèlement sexuel à l’égard d’étudiantes et qui, ensuite lors de la procédure en appel, avait fait pression sur elles.
Examinons bien la portée de ces dispositions : sans interdire la sanction, l’existence de cette juridiction spéciale constitue une protection pour un universitaire qui indisposerait son président d’université ou le pouvoir. Pour s’en convaincre, imaginons un cas d’école. D’un côté, un président d’Université, avec un penchant autoritaire, qui aurait réussi à se constituer une « clientèle » et à disposer notamment d’une « section disciplinaire »[10] qui lui soit « dévouée ». De l’autre, un universitaire qui, chagriné par un tel mode de fonctionnement, se serait laissé aller à le critiquer. Dès lors que le président d’université et le Recteur ont la faculté de lancer une procédure disciplinaire, une sanction dudit universitaire par la section disciplinaire serait alors évidemment à craindre. Mais l’universitaire disposerait alors d’une arme redoutable : il peut faire appel devant le CNESER disciplinaire, juridiction nationale composée d’universitaires élus sur des listes déposées par des syndicats ou des organisations représentatives. Toute personne qui a siégé dans cette juridiction disciplinaire[11] sait que quelques affaires sont intimement liées à des conflits personnels et que la poursuite disciplinaire peut être instrumentalisée par tel ou tel groupe de professeurs aidé par tel ou tel président d’université. Le Recteur quant à lui se heurterait à une double résistance s’il voulait, au nom de l’Etat, poursuivre un universitaire qui déplairait au pouvoir: celle de la section disciplinaire et du CNESER disciplinaire. La juridiction disciplinaire apparait ainsi comme la gardienne des libertés universitaires.
Retenons donc le lien intrinsèque entre la défense de la liberté d’expression et la franchise juridictionnelle que constitue la justice universitaire. L’auteur d’une ancienne étude a d’ailleurs dit l’essentiel en observant que « la possibilité, ou plutôt la nécessité, d’expression des idées personnelles, dans l’exercice des fonctions, constitue un des aspects originaux de la fonction professorale. Par-là se justifie la nécessité d’un régime disciplinaire particulier pour le présent et pour l’avenir. L’appréciation de notions aussi imprécises que la dignité de la vie privée, la moralité professionnelle, l’objectivité et la mesure dans l’expression des idées, ne peut être correctement effectuée que par des juges qui connaissent par expérience le point d’équilibre entre les droits et devoirs du personnel d’enseignement supérieur »[12]. Dès lors, loin d’être anodin, le régime disciplinaire du personnel de l’enseignement supérieur a une portée capitale : il est la « condition de l’indépendance des universitaires »[13]. L’étude confirme la thèse selon laquelle l’existence et la permanence des libertés universitaires supposent le maintien d’un statut dérogatoire à celui de la fonction publique ordinaire qui se concrétise par la justice universitaire de type échevinal. On aurait pu croire qu’un tel statut était intouchable du fait de la reconnaissance constitutionnelle du principe d’indépendance des universitaires. Il n’en est rien, hélas !
II – La remise en cause du principe constitutionnel d’indépendance des universitaires
En 1984, le Conseil constitutionnel a reconnu que les professeurs d’université jouissaient d’une indépendance constitutionnellement garantie. Il s’agissait de sauvegarder le principe de représentation propre des professeurs qui ne sauraient être mélangés aux maîtres de conférences, corps de fonctionnaires distinct. Etait ainsi prohibée la solution démagogique du collège unique que le projet de loi Savary (1984) voulait introduire. Pour arriver à constitutionnaliser un tel principe d’indépendance, le Conseil constitutionnel s’est livré à une exégèse périlleuse tirant parti de dispositions législatives de la IIIe République. Preuve manifeste de l’indépendance des professeurs d’université par rapport au pouvoir politique, ces dispositions les soustrayaient aux rigueurs des règles d’incompatibilité, en leur permettant de cumuler leur activité d’universitaire avec celle de parlementaire. De ce raisonnement, le Conseil déduisit l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, à valeur constitutionnelle donc. En vertu de cette règle essentielle, les professeurs sont notamment protégés en matière de recrutement : ils ne peuvent être recrutés que par des pairs et non pas par des maîtres de conférences ni a fortiori par d’autres catégories professionnelles. Le principe a ensuite été transposé aux maîtres de conférences et à leur recrutement qui, de la même manière, ne peut s’effectuer que par des enseignants-chercheurs d’un rang égal ou plus élevé. Par analogie, un professeur d’université ou un maître de conférences ne peuvent être jugés disciplinairement que par des pairs, professeurs d’université dans le premier cas, professeurs ou maîtres de conférences dans le second. En théorie, l’introduction d’un conseiller d’Etat dans la justice universitaire est donc une violation grave et manifeste du principe d’indépendance des universitaires.
Seulement, la jurisprudence a évolué depuis 1984. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat, avec un égal zèle, se sont attelés à démolir méthodiquement et progressivement ce principe. Nous avons conté ailleurs[14] comment ces deux institutions ont progressivement vidé de son sens ce principe constitutionnel. Le « clou » de cette entreprise fut sans conteste la décision QPC du 10 août 2010 qui portait sur une des dispositions les plus contestée de la loi LRU (Libertés et responsabilités des universités) – qui, depuis a été modifiée — , celle qui autorisait le président d’une université à s’opposer à un recrutement pour des raisons qu’il était le seul à connaitre. Dès lors que le président d’université peut être maître de conférences, voire simple PRAG – tel fut le cas récemment à Brest – , une telle disposition violait manifestement le principe d’indépendance des universitaires fixé en 1984. Mais le Conseil constitutionnel a opportunément modifié sa jurisprudence pour rendre constitutionnel ce qui était auparavant ne l’était.
On rappellera pour l’anecdote — et un peu pour contribuer à l’histoire objective de cette noble institution – que le truculent ancien ministre socialiste Michel Charasse avait, le 24 février 2010, lors de l’audition préalable à sa nomination au Conseil devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, critiqué le doyen Vedel avec un style et une élégance bien à lui : « il a quand même fait quelque chose au Conseil constitutionnel, le doyen Vedel, que moi je n’aurais pas fait : ériger en principe constitutionnel le principe de l’inamovibilité des professeurs de droit. Je trouve que là, c’était vraiment un côté je suis épicier là, et pour mon épicerie là, je me conserve mon truc ; mais passons ». Mais, surtout, il eut le culot de siéger au sein du Conseil constitutionnel pour examiner la QPC (2010-20/21) relative à la loi LRU qui portait précisément sur ce principe d’indépendance alors qu’il aurait dû se déporter, n’étant pas du tout impartial!… On voit bien que les universitaires n’avaient plus beaucoup à attendre du Conseil constitutionnel.
De son côté, le Conseil d’Etat n’est pas demeuré en reste. Sa jurisprudence a été de moins en moins protectrice des libertés universitaires et de l’indépendance fonctionnelle des universitaires. Réduisant à néant le fameux principe d’indépendance, il a notamment « couvert » la mise en minorité des professeurs d’université dans les conseils de l’école doctorale. Son action en ce qui concerne la justice universitaire, le CNESER, est diversement appréciée, mais il est certain que si rares sont les décisions qui lui sont soumises (moins de 7%), le taux de cassation est élevé. Il est de l’ordre de 60 % même si le pourcentage tend aujourd’hui à baisser. Il n’est plus le même qu’à l’époque où, dans ses conclusions sur l’arrêt Popin (Sect. 27 fév. 2004), le commissaire du gouvernement (Rémy Schwartz), s’était faussement inquiété du grand nombre de cassations encourues par la justice universitaire. Mais à qui fera-t-on croire qu’il y a une urgence absolue à réformer une juridiction qui, durant, quatre année (2014-2017), a vu seulement 20 de ces décisions sur 294 contestées en cassation ?
Plus intéressant pour notre propos est le fait que, après avoir longuement tardé à intervenir, le Conseil d’Etat est venu inspecter en avril 2013, le CNESER disciplinaire qui était paralysé par un conflit interne dont l’absence de résolution était uniquement imputable à la pusillanimité du ministère de l’enseignement supérieur. Ce rapport se concluait par une recommandation de confier la présidence de l’institution soit à un professeur de droit soit à un conseiller d’Etat. C’était un premier coup de semonce dont les membres de la juridiction avaient bien compris le sens, à tel point que le président du CNESER disciplinaire proposa, à titre de solution alternative, un plan de réforme ambitieux visant à alléger la charge excessive des jurés universitaires, projet qui fut, évidemment, mis dans un tiroir par la bureaucratie ministérielle.
En réalité, celle-ci avait déjà opéré, dès 2006, une réforme passée largement inaperçue à l’époque. Le procédé était classique : on porte atteinte à un principe en s’attaquant à une institution marginale, en l’occurrence la juridiction compétente pour les professeurs de médecine praticiens-hospitaliers – les PU-PH pour reprendre le sigle qui les désigne. Ils bénéficient d’un statut particulier en raison de cette double activité d’universitaire et de chef de service dans les hôpitaux. Leur régime disciplinaire fut modifié par le décret du 23 mai 2006 aux termes duquel la juridiction est présidée alternativement pendant trois ans par un conseiller d’Etat et par un professeur de droit choisis par le ministre de l’enseignement supérieur et le ministre de la santé. Cette juridiction n’est plus par ailleurs composée uniquement d’universitaires. Très récemment, un arrêt du Conseil d’Etat est venu rappeler l’existence de cette juridiction universitaire d’un type très spécial. L’affaire était intéressante en soi : un professeur de médecine avait cru bon d’émailler son sujet d’examen de considérations politiques et était poursuivi pour s’être livré à de telles facéties. La question juridique qui se posait était de savoir s’il relevait de la juridiction universitaire hospitalière ou de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins devant laquelle il avait en l’espèce été poursuivi. Le Conseil d’Etat conclut logiquement en faveur de la première solution en s’appuyant sur « le principe fondamental reconnu par les lois de la République de l’indépendance des enseignants-chercheurs » en vertu duquel « si les professeurs des universités-praticiens hospitaliers ou les maîtres de conférence des universités-praticiens hospitaliers sont susceptibles de faire l’objet de poursuites devant les juridictions de l’ordre dont ils relèvent pour tout fait lié à l’exercice de leurs fonctions, il n’en va toutefois pas de même pour ceux de ces faits qui seraient indétachables de leur activité universitaire, lesquels ne sont susceptibles de fonder régulièrement des poursuites que devant la juridiction spécialisée instaurée par l’article L. 952-22 du code de l’éducation [juridiction universitaire] ». Le Conseil d’Etat fait donc droit à l’existence de ce principe d’indépendance grâce auquel les universitaires ne relèvent pas de l’ordre des médecins pour leur activité pédagogique à l’université. Mais, paradoxalement, il passe sous silence le point le plus important : le fait que les dispositions législatives ici interprétées ont mis fin à la nature exclusivement universitaire de la juridiction. Il admet donc que la présidence d’une juridiction échevinale par un conseiller d’Etat –en alternance — n’est pas contraire au principe d’indépendance des universitaires. Il vide donc celui-ci, conformément au mouvement jurisprudentiel poursuivi depuis 1984, clairement dirigé contre ce principe.
Sous prétexte de lutter contre le harcèlement sexuel, l’actuel projet du gouvernement relatif au CNESER disciplinaire s’inscrit dans ce même mouvement.
[1] G. Vedel, « Réforme de l’enseignement supérieur (Christian Fouchet) », Espoir1983, n° 45
[2] Telle est la thèse défendue par H. Truchot, « Le prononcé des sanctions disciplinaires à l’encontre des enseignants-chercheurs : le bilan contrasté d’une justice spécialisée »,RDP, 2019, n° 3, pp. 663 et suiv.
[3] Nous résumons ici le cinquième chapitre de notre livre « le pouvoir disciplinaire : la franchise juridictionnelle » in Les Libertés universitaires à l’abandon ?Paris, Dalloz, 2010, pp. 191-218
[4] « Adieu au Conseil supérieur de l’Éducation nationale statuant en matière disciplinaire », D. 1965. chron. 25.
[5] G. Vedel, « Réflexion sur la justice disciplinaire », Mélanges L. Trotabas, LGDJ, 1970 p. 560 » .
[6] Ibid.
[7] B. Toulemonde, Les libertés et les franchises universitaires, thèse Lille, 1971, p. 615.
[8] Ibid p. 620.
[9] Ibid.,p. 620.
[10] La section disciplinaire est la juridiction universitaire de première instance et elle est le plus souvent – sauf dépaysement – la juridiction de l’Université d’appartenance de la personne poursuivie.
[11] L’auteur de ces lignes a siégé au CNESER disciplinaire, en qualité de membre élu de QSF, de 2011 à 2015 et il sait donc un peu de quoi il parle.
[12] A. Paysant, « Le régime disciplinaire du personnel de l’enseignement supérieur », AJDA1966, p. 297.
[13] Ibid. p. 348.
[14] V. livre précité, chapitre 4 (pour le C.E., pp. 147-185) et chapitre 5, pp ;285-330.