Les élections générales anticipées du 8 juin au Royaume-Uni : quels enseignements ?

Les élections générales anticipées du 8 juin au Royaume-Uni : quels enseignements ?

Alors que le processus du Brexit semblait enfin connaître une avancée moins chaotique avec le début des négociations entre Britanniques et Européens, le Premier ministre a provoqué des élections anticipées. Soutenue par l’opinion publique et en position de force face à ses adversaires politiques, Mme May n’a pas grand-chose à perdre dans ce pari. Sa décision n’en demeure pas moins une surprise et, pour le constitutionnaliste, un cas d’école de la domination primo-ministérielle dans le jeu institutionnel britannique.

 

 

Prenant de court nombre d’observateurs, Mme May a souhaité que des élections générales se tiennent le 8 juin prochain alors que les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le Brexit devaient commencer au mois de mai. Les raisons qu’elle a données sont multiples, mais elles consacrent une double logique : constitutionnelle d’abord, stratégique ensuite.

 

 

I. Une dissolution conforme à l’esprit de la Constitution britannique

 

À la suite du référendum du 23 juin, nous avions déjà soutenu la pertinence constitutionnelle du recours à la dissolution (JP Blog, Chronique du Brexit, Octobre 2016 : Le temps des spéculations). Nous avions notamment considéré que la Chambre des Communes aurait pu « s’autodissoudre » ou adopter une motion de censure à l’encontre du Gouvernement de Mme May. Le 18 avril 2017, c’est pourtant cette dernière qui a proposé que des élections générales se déroulent le 8 juin. Cet événement démontre, d’une part, que la logique institutionnelle qui prévalait avant le Fixed-term Parliaments Act (FTPA) de 2011 n’a pas complètement disparu, même si, d’autre part, les conditions posées par ce texte s’inscrivent dans l’évolution contemporaine du recul de la prérogative royale en droit constitutionnel britannique.

 

1. La permanence de la logique institutionnelle antérieure à 2011

 

Avant la loi de 2011, le pouvoir de dissolution était l’une des prérogatives royales exclues de tout contrôle parlementaire ou juridictionnel. La seule contrainte légale découlait du Septennial Act de 1715 amendé par le Parliament Act de 1911 selon lequel le Parlement devait être dissout au plus tard cinq ans après le début d’une législature. À trois exceptions près (en 1964, 1997 et 2010[1]), les dissolutions d’après-guerre sont survenues avant cette limite. La décision de 2017 s’inscrit dans cette tradition, quitte à éclipser le changement du droit produit par le FTPA. Le Premier ministre a d’ailleurs repris une pratique antérieure à 2011 consistant à annoncer les élections anticipées sans que le Parlement en soit informé. Tout comme John Major en 1997, Tony Blair en 2005 et Gordon Brown en 2010, c’est devant le 10 Downing Street et un parterre de journalistes que le chef du Gouvernement a fait part de son choix. L’esprit du texte de 2011 aurait sans doute voulu qu’une telle déclaration soit faite à la Chambre. Finalement, le FTPA ne semble pas avoir totalement éclipsé un usage institutionnel dont l’utilité n’est pas démentie en l’espèce. Le Gouvernement de Mme May ne disposait pas d’un mandat direct des citoyens pour mener les négociations du Brexit. Contrairement à ce qui a pu être affirmé ici où là, un référendum qui ne visait qu’à solliciter l’avis consultatif du peuple sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne ne pouvait avoir aussi pour objet d’investir un nouveau Gouvernement. En droit constitutionnel britannique, les élections générales doivent permettre de dégager une majorité dont le programme lie le Gouvernement qu’elle soutient (le manifesto). Des conséquences de droit politique en découlent, comme l’obligation pour la Chambre des Lords de ne pas s’opposer après la deuxième lecture à une mesure contenue dans le manifesto (convention Salisbury). Si elle remporte le scrutin du 8 juin, Mme May pourra facilement contraindre les Lords sur le fondement du programme qu’elle aura défendu.

 

2. L’obligation de respecter la contrainte formelle du FTPA

 

Bien que le primat gouvernemental en matière de dissolution ait été réaffirmé avec force, la loi de 2011 impose le respect d’une procédure qui a été mise en œuvre pour la première fois le 19 avril 2017. La voie qui a été suivie fut l’adoption d’une motion par au moins deux tiers des membres de la Chambre des Communes en vue de son autodissolution (sect. 2, al. 1 et 2). La censure, prévue par la même section de la loi aux articles 3 à 5, était exclue. Mme May a facilement réuni la majorité qualifiée requise, car Jeremy Corbyn, le leader de l’opposition, avait officiellement soutenu l’initiative. Après le vote du 19 avril (522 voix pour, 13 contre), la dissolution sera actée le 3 mai. Le passage par les Communes est une conséquence de la volonté de revaloriser le Parlement et de réduire le domaine de la prérogative royale. En 2010, le Constitutional Reform and Governance Act poursuivait le même but. Les juridictions ont accompagné cette tendance contemporaine du droit constitutionnel britannique. Le jugement Miller du 24 janvier 2017 en est l’illustration. Pourtant, force est d’admettre que le Parlement ne parvient pas à saisir les occasions qui lui sont offertes pour dominer le jeu politique. Déjà, à l’issue de l’intervention de la Cour suprême, les MPs ont montré leur incapacité à s’affirmer face à un Premier ministre dont la position pour mener les négociations n’était pas, tout compte fait, aussi confortable qu’il le prétendait puisqu’il juge aujourd’hui que des élections anticipées sont nécessaires. Les parlementaires témoignent une fois encore de leur faiblesse en n’ayant pas provoqué plus tôt ce nouveau scrutin, alors qu’ils en avaient la possibilité grâce au FTPA.

 

Ce constat ne doit pas occulter le fait que le choix de Mme May remet au premier plan une ingénierie constitutionnelle devant prévenir les crises et clarifier les positionnements obscurs de son propre Gouvernement. Il était temps, quand bien même la démarche est avant tout marquée par l’opportunisme politique.

 

 

II. Une dissolution opportuniste d’un point de vue stratégique

 

Dans un régime parlementaire, le recours à la dissolution a pour finalité de répondre à une crise politique suscitée par un désaccord entre le Parlement et le Gouvernement. Ce mécanisme bien connu des checks and balances est, depuis longtemps, dévoyé. La décision de Mme May, qu’elle a présentée non sans hypocrisie comme un « crève-cœur », ne doit pas masquer la réalité d’un calcul politique fort peu original. Il révèle, de plus, la position de force du parti conservateur outre-Manche et la volonté de Mme May de dominer sa propre majorité afin de disposer d’un soutien sans faille face aux négociateurs européens qui s’avèrent beaucoup plus déterminés et unis qu’elle l’avait prévu.

 

1. Un calcul politique classique

 

La dissolution souhaitée par Mme May est dans la droite ligne des dissolutions stratégiques appelées aussi « dissolutions à l’anglaise » que le FTPA n’aura donc pas réussi à empêcher. L’enjeu n’est pas une crise politique qui, au Royaume-Uni, se règle souvent au sein même du parti au pouvoir. L’objectif est de jouer d’un contexte favorable pour assurer la réélection des MPs de la majorité en place (cas de Thatcher en 1987, ou de Tony Blair en 2001, par exemple). Mme May a tenté, dans son discours, de faire croire que les risques d’instabilité motivaient sa position. Elle a invoqué la courte majorité dont elle dispose aux Communes, les menaces de blocage à la Chambre des Lords, et l’hostilité des travaillistes, des libéraux-démocrates, et des nationalistes écossais. Or aucun de ces arguments, qui en appellent au danger d’une crise politique au moment crucial des négociations sur le Brexit, n’emporte la conviction. Quand bien même le Labour a réservé son approbation sur le contenu du futur accord entre le Royaume-Uni et l’UE, il ne souhaite pas la remise en cause du retrait. Les libéraux-démocrates et le SNP n’ont pas de moyens de blocage et les Lords n’ont jamais manifesté la volonté de contrecarrer le Brexit. Cinq raisons purement stratégiques convainquent en réalité de l’orientation de Mme May. En premier lieu, elle souhaite l’élargissement de sa majorité alors qu’elle bénéficie de sondages extrêmement favorables. En deuxième lieu, l’ample victoire, qui est pour l’heure annoncée, sera un moyen pour elle d’affirmer son autorité et de discipliner des MPs conservateurs ayant parfois tendance à donner des signes de mécontentement. En troisième lieu, en cas de succès, Mme May disposera de cinq ans pour mener des négociations difficiles qui pourraient se prolonger au-delà du délai prévu par l’article 50 du TUE. En quatrième lieu, si un accord est obtenu au printemps 2019, un Gouvernement disposant d’une majorité confortable pourra s’assurer du vote positif des Communes, tant sur l’issue des négociations que sur le Great Repeal Bill. Last but not least, les tories auront trois ans devant eux après le retrait de l’Union européenne pour préparer les prochaines échéances électorales.

 

2. Un calcul politique à la portée limitée

 

Selon les différentes enquêtes d’opinion, le parti conservateur suscite l’adhésion d’environ 45 % des électeurs, tandis que les travaillistes plafonnent à 25 %. En Écosse, les nationalistes sont au niveau de 2015 lorsqu’ils ont emporté leurs 56 sièges aux Communes. Au regard de ces chiffres, Mme May a de quoi être confiante. L’issue du scrutin du 8 juin permettra sans doute de renforcer sa position au sein de son parti et de mieux maîtriser le tempo des négociations avec l’Union européenne. Toutefois, la convocation anticipée des électeurs est loin d’être une solution politique miracle pour garantir la réussite durable du Gouvernement tory. Tout d’abord, le scrutin n’aura que peu d’effets sur le cadre des négociations fixé par l’Union européenne qui est parfois peu compatible avec celui que soutiennent les Britanniques. Ensuite, l’élargissement d’une majorité ne signifie pas que cette dernière soit prête à tout accepter du Premier ministre qui, s’il ne parvient pas à un accord satisfaisant avec l’Union européenne, pourrait voir son parti se retourner contre lui. Le destin politique de Margaret Thatcher est là pour le rappeler. Enfin, le scrutin du 8 juin n’affaiblira sans doute pas vraiment les nationalistes écossais et les tensions internes au Royaume-Uni. Par conséquent, la décision de Mme May ne doit pas être surévaluée quant à ses répercussions : à pari peu risqué, gains médiocres. L’impondérable et l’improbable ne doivent pas non plus être exclus. Les élections à venir peuvent se solder par une défaite du Gouvernement. En 1970, Harold Wilson, mettant un terme prématuré à la législature, était persuadé de la victoire des travaillistes qui dominaient les tories de près de 13 points dans les sondages. Pourtant, Edward Heath et ses troupes ont finalement remporté les élections, préparant alors l’entrée du Royaume-Uni dans les Communautés européennes.

 

Aurélien Antoine, Professeur à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne/Université de Lyon

 

[1] La législature 1987-1992 est parfois ajoutée, car elle fut la plus longue depuis 1964. Pourtant, les élections de 1992 se sont déroulées deux mois avant le terme de cinq ans de législatures.