La Nouvelle-Calédonie demeure française pour le moment

Par Mathias Chauchat

<b> La Nouvelle-Calédonie demeure française pour le moment  </b> </br> </br> Par Mathias Chauchat

La Calédonie a voté le 4 novembre 2018 sur l’accession à la pleine souveraineté. Cela faisait trente années que la question avait été différée. La participation a été exceptionnelle : 80,63%. Le pays a voté pour rester dans la France à 56,70% contre 43,30%, très loin des 70/30 prédits. Des incompréhensions ethniques et culturelles dans les sondages, alliées à une disproportion excessive des moyens de communication entre le Oui et le Non et un déluge d’argent, ont illusionné le pays. Le 4 novembre, la Kanaky est brutalement revenue sur le devant de la scène calédonienne

 

New Caledonia voted on 4 November 2018 on the accession to full sovereignty. It had been thirty years since the question had been postponed. The country voted to remain in France by 56.40% to 43.60%, a long way from the predicted 70% to 30%. The turnout was exceptional: 80.63%. Ethnic and cultural biases in the opinion polls, along with an excessive imbalance in the means of communication between the Yes and the No and a flow of public spending, deluded the country. The result shows a very strong polarization of voting in New Caledonia. The map of the Yes superimposes the ethnic distribution of the population. On 4 November, Kanaky came back roughly on the Caledonian political front scene.

 

Par Mathias Chauchat, Professeur de droit public à l’Université de la Nouvelle-Calédonie

 

 

DU NON MASSIF AU OUI PEUT-ETRE : 1ER VOLET

Les Accords de Matignon de 1988 et de Nouméa de 1998 sont « une première » pour la République française : une décolonisation graduelle et consensuelle. Les mots de l’Accord de Nouméa sont clairs : « La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps[1]». On y trouve aussi cette affirmation : « Le cheminement vers l’émancipation sera porté à la connaissance de l’ONU[2]». Pourtant, nombre de signes dénotent quelque chose de différent. Contrairement à la Nouvelle-Zélande, qui a proposé une solution acceptable d’un État-associé aux Îles Cook, à Niue et même à Tokelau et en a fait la promotion en soutenant le Oui, la France ne paraît guère appuyer la transition vers une nouvelle Nation du Pacifique Sud.

 

Le Premier Ministre, Édouard Philippe, avait annoncé le 27 mars 2017 une question sèche et clivante[3] pour la consultation sur la pleine souveraineté du 4 novembre 2018 : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante? ». La réponse était Oui ou Non. Le Oui signifiait le début de la transition constitutionnelle vers l’indépendance. S’adressant ensuite au Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 5 décembre 2017, il anticipait ce que la consultation devait être : « Le jour du scrutin, le peuple calédonien tel qu’il a été constitué par l’Accord de Nouméa, collectivement et non pas simplement par l’intermédiaire de ses représentants, va se prononcer sur l’avenir politique de la Nouvelle-Calédonie. Il va le faire de manière totalement autonome, c’est-à-dire souveraine. (…) Mais en définitive, la simple organisation de cette consultation est par elle-même déjà un élément de souveraineté ». Cette vision n’était pas totalement partagée dans le pays. Si certains non-indépendantistes parlaient de construire une petite Nation au sein de la grande Nation française, d’autres se définissaient comme Français d’abord. Ils s’attendaient tous à une large victoire de la France.

 

Le climat politique n’était pas équilibré. Il existait une campagne permanente et disproportionnée en faveur d’un « Non massif ». Tous les médias locaux faisaient la campagne du Non. L’argent public coulait à flots, et coule encore, provenant tant de la Nouvelle-Calédonie que de l’État. Tout le monde prévoyait une sévère défaite du Oui, souvent autour de 70% contre 30%[4].

 

La réponse à la question a été une participation record et une parfaite division ethnique du pays entre le Oui kanak[5] et le Non des « autres ». A question abrupte, réponse abrupte.

 

 

Un corps électoral, reflet du pays de demain

La contestation du corps électoral avait déclenché l’insurrection kanak, pudiquement appelée « les Événements », en novembre 1984.  Très préoccupés par la poursuite du peuplement français en Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes n’ont jamais accepté le principe « un homme, une voix », ni pour le scrutin d’autodétermination, ni même pour celui des élections provinciales du Congrès. En 1988, l’Accord de Matignon repousse la question du référendum de 10 ans, avec un électorat restreint aux personnes déjà installées en 1988. En 1998, aucune consultation n’est organisée, mais l’Accord de Nouméa, est signé : il repousse le référendum au plus tard à 2018 et confirme la restriction du corps électoral provincial, qui est le fondement de la citoyenneté calédonienne. Il définit également un électorat restreint pour la consultation sur la pleine souveraineté.

 

Le compromis politique de 1988, confirmé dans l’Accord de Nouméa, est rude : seuls ceux qui pouvaient voter pour l’Accord de Matignon et leurs descendants, les Kanak qui ont ou ont eu le statut coutumier[6], les natifs et quelques nouveaux arrivants pourront voter. C’est « la dernière et ultime concession kanak »[7]. Les derniers électeurs à pouvoir ainsi être inscrits sur la liste de la consultation doivent prouver, qu’à la date du 31 décembre 2014, ils ont bien 20 ans de résidence continue. Cela signifie que les derniers arrivants devaient s’être installés avant le 31 décembre 1994. Environ 35 000 personnes, arrivées de France plus récemment, ne sont pas autorisées à voter. Le résultat de la négociation, c’est que les Kanak représentent tout juste la moitié du corps électoral. Cette situation est déjà étrange et paradoxale, parce qu’un référendum d’autodétermination est normalement prévu pour le peuple colonisé, pas pour le colonisateur.

 

Le 28 juin 2017 après une première mission en 2016, Flavien Misoni, le chef de la mission des 12 observateurs de l’ONU, a rendu un rapport sur la révision de la liste électorale provinciale et sur celle de la consultation. L’objectif de la mission était de vérifier la fiabilité et l’exhaustivité des listes électorales de manière à ce que le résultat de la consultation soit incontestable. Sa principale observation a été qu’une partie de la population, essentiellement kanak, n’avait pas pu s’inscrire sur les listes. Une grande manifestation indépendantiste en   juillet 2017 en faveur de l’inscription automatique des Kanak avait administré la preuve de la grande sensibilité de la question.

 

Le 2 novembre 2017, le Comité des Signataires de l’Accord de Nouméa, se réunit à Paris pour rechercher un compromis. Du fait du caractère volontaire dans la tradition française de l’inscription sur les listes électorales, beaucoup de Kanak n’ont pas été inscrits. Ils ne pourraient donc voter au référendum. Le compromis a consisté à les inscrire automatiquement. En contrepartie, les partis indépendantistes ont accepté que tous les natifs de la Nouvelle-Calédonie, avec seulement 3 ans de résidence, soient inscrits ; en d’autres termes, des personnes voyageant entre la France et la Nouvelle-Calédonie sans nécessairement des liens très étroits avec le pays. Cela a été réalisé par la loi[8]. Ces querelles envoyaient néanmoins un message très clair : tant les partis politiques que le gouvernement français s’attendaient à un vote ethnique, les Kanak contre tous les « autres ».

 

Finalement, en septembre 2018, le groupe des experts de l’ONU a reconnu que le travail d’élaboration des listes était « globalement satisfaisant »[9]. La liste électorale pour la consultation regroupe 174 995 personnes dont 80 120 ont le statut coutumier, soit moins de 46% de l’ensemble. Si on les additionne aux métis et aux Kanak ayant le statut civil (dit de droit commun), le peuple kanak approcherait, voire dépasserait, la moitié de l’électorat. Le système de comptage est imprécis, car essentiellement basé sur les patronymes et les connaissances. L’État, quant à lui, ne distingue pas les ethnies au sein du statut civil de droit commun. Seulement 22 000 personnes ne sont pas natives du pays.

 

 

Un pays clivé ethniquement

Indiscutablement, la bonne organisation du scrutin a été le grand succès de la consultation, tout autant que l’atmosphère politique calme et, dans l’ensemble, respectueuse. Une commission de contrôle de l’organisation et du déroulement de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie veillait au bon déroulement du scrutin. Les bureaux de vote étaient surveillés par 250 délégués répartis partout dans le pays, et accompagnés d’une quinzaine d’observateur de l’ONU. La consultation a coûté plus de 5 millions d’Euros, soit 30 Euros par électeur, contre un coût de l’ordre de 3 Euros en France.

 

La participation a été exceptionnelle : 80,63%. Par comparaison, la participation n’était que de 69,95% aux dernières élections provinciales en 2014. La seule comparaison en matière de participation est celle pour l’Accord de Nouméa, qui atteignait 74,23%. Ici, le record absolu a été atteint en province Nord avec 86,01%. Le pays a voté pour rester dans la France à 56,70% contre 43,30%[10], très loin des 70/30 prédits. Olivier Houdan, un historien calédonien, a ainsi parlé de « la défaite victorieuse des indépendantistes [11]».

 

L’incroyable mobilisation de la jeunesse kanak, formant de longues files devant les bureaux et portant le drapeau de la Kanaky, a frappé tous les observateurs. La transmission intergénérationnelle de la lutte pour l’indépendance a été indéniablement réussie.

 

Le résultat du vote du 4 novembre montre une très forte polarisation. La carte du Oui se superpose très exactement à la répartition ethnique de la population. La Nouvelle-Calédonie en sort totalement clivée politiquement, ethniquement, géographiquement entre provinces, côtes, villes et même quartiers. La carte des bureaux de vote de Nouméa est particulièrement éclairante. Avec la répartition ethnique, on a le vote dans des proportions écrasantes.

Le fait était pourtant connu de tous[12], mais a été occulté par la campagne. Pour schématiser, on disait que les femmes kanak, soumise à une tradition patriarcale, s’en éloigneraient en votant moins l’indépendance que les hommes ; que les jeunes Kanak, moins intéressés, ne voteraient pas et que le corps électoral n’oserait pas voter Oui, par crainte des conséquences. Rien de tout cela ne s’est concrétisé.

 

Avec 80 120 Kanak de statut coutumier et un maximum de 88 000 Kanak de statut civil ou coutumier, alliée à une participation de 80,63% – ce qui nous amène entre 64 600 et 70 950 votants kanak – le Oui à l’indépendance a fait 60 199 voix. Et il a manqué plusieurs milliers de voix aux Îles Loyauté (au moins 3 000) dues à une forte restriction, spécialement créée pour cette consultation, des votes par procuration[13], ainsi que les consignes difficiles à quantifier de non-participation d’un petit parti indépendantiste hors FLNKS, le parti travailliste. En sens inverse, quelques non-indépendantistes ont pratiqué un double discours empruntant leurs mots aux indépendantistes tels que « notre pays », « notre destin commun partagé », qui ont influencé de jeunes Calédoniens, qui y ont cru sincèrement et ont voté Oui. C’était certainement marginal, comme un frémissement, et peut-être le signe de quelque chose de nouveau.

 

Pour reprendre les mots d’Alain Christnacht, Conseiller d’État et « plume » de l’Accord de Nouméa, « nous avons deux trains lancés à pleine vitesse sur la même voie[14] ». C’est pourquoi les conditions de la fondation consensuelle du peuple calédonien par le vote du 4 novembre ne semblent pas remplies. « Le peuple calédonien, c’est fini[15] », a lancé, désabusé, Raymond Guépy, président de la Fédération des pionniers calédoniens. Après trente ans de dialogue en vue de la décolonisation du pays, le paysage politique semble gelé.

 

 

[1] Point 4 du préambule de l’Accord de Nouméa.

[2] Point 3.2.1. de l’Accord de Nouméa.

[3] Mathias Chauchat, Une question sèche et clivante, AJDA n° 15/2018 du 23 avril 2018, p. 1.

[4] Quid Novi, institut d’études de marché et de conseils marketing en Nouvelle-Calédonie : https://m.facebook.com/quidnovi.nc

[5] Le mot Kanak est un palindrome invariable.

[6] La notion de peuple kanak intervient dans la définition du corps électoral de la consultation, car il s’agit d’auto-détermination. Elle n’intervient pas directement pour le corps provincial.

[7] Pascal Naouna, président de l’Union calédonienne, lors de la visite mouvementée du Président de la République à Koné en juin 2003. La formule est souvent reprise.

[8] Loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. On se reportera à Mathias Chauchat, Les modifications récentes de la loi organique sur le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, Jus Politicum, 27 février 2018.

[9] Rapport des experts de l’ONU en date du 29 juin 2018 relatif à la révision de la liste électorale pour l’élection des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (LESP) et de la liste électorale spéciale pour la consultation (LESC), p. 49.

[10] Délibération des 4 et 5 novembre 2018 de la commission de contrôle de l’organisation et du déroulement de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, JORF 7 novembre 2018, NOR : HRUX1830163S.

[11] Olivier Houdan, Retour sur le référendum en Nouvelle-Calédonie : la défaite victorieuse des indépendantistes, Opinion internationale, 8 novembre 2018.

[12] Pierre-Christophe Pantz and Scott Robertson, Exploring the Kanak Vote on the Eve of New Caledonia’s Independence Referendum, discussion paper 2018/8, Departement of Pacific Affairs, dpa.bellschool.anu.edu.au

[13] Décret n° 2018-300 du 25 avril 2018 pris pour l’application de l’article 4 de la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté NOR : MOMO1808939D

[14] Alain Christnacht, Demain en Nouvelle-Calédonie, 8 novembre 2018, p. 2 www.dnc.nc

[15] Hubert B, La gueule de bois des loyalistes, l’espoir des indépendantistes, Calédosphère, 6 Novembre 2018 https://caledosphere.com/2018/11/06/la-gueule-de-bois-des-loyalistes-lespoir-des-independantistes/

Carte 1 : Auteur : Pierre-Christophe Pantz, Responsable de l’Observatoire de la Réussite Éducative (ORE) au Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Service de l’Aménagement et de la Planification, chercheur associé au Laboratoire de Recherches Juridique et conomique de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, avec l’autorisation de l’auteur

Carte 2 : Auteur : Pierre-Christophe Pantz, Responsable de l’Observatoire de la Réussite Éducative (ORE) au Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Service de l’Aménagement et de la Planification, chercheur associé au Laboratoire de Recherches Juridique et conomique de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, avec l’autorisation de l’auteur