Après la difficile XVe Législature, quelles pistes pour redonner du lustre à l’Assemblée ?

Par Samuel Le Goff

<b> Après la difficile XVe Législature, quelles pistes pour redonner du lustre à l’Assemblée ? </b> </br> </br> Par Samuel Le Goff

Après une XVe législature de rupture, qui a connu un renouvellement très important, il est indispensable que la nouvelle assemblée reconstruise une culture parlementaire partagée. L’Assemblée nationale ne retrouvera du pouvoir que si les députés revoient leur manière d’exercer leur mandat, et modifient en profondeur leurs pratiques dans l’exercice du travail parlementaire.

 

After a breaking fifteenth legislature, which has undergone a very important renewal, the new assembly has to rebuild a shared parliamentary culture. The National Assembly will only regain power if the deputies review their way of exercising their mandate, and fundamentally change their practices in the exercise of parliamentary work.

 

Par Samuel Le Goff

 

 

Un nouveau cycle parlementaire va commencer, le 21 juin, avec le début de la XVIe législature de la Ve République. Les chantiers sont nombreux, tant l’institution parlementaire a souffert au cours de la XVe législature, et en sort affaiblie.

 

Une première série de réformes, de nature institutionnelle (proportionnelle aux législatives, réforme du droit d’amendement), sont évoquées depuis 2017, mais sans aboutir, faute de consensus politique sur une révision constitutionnelle. Si de faibles chances existent, pour la prochaine législature, mieux vaut ne pas parier sur un “Grand soir” constitutionnel, qui reverrait en profondeur les pouvoirs des Assemblées et l’organisation des procédures parlementaires.

 

Une absence de réforme institutionnelle ne serait pas une mauvaise chose, si cela permet de concentrer les énergies sur d’autres chantiers, d’envergure plus modeste, mais tout aussi capitaux pour permettre à l’Assemblée nationale de remonter la pente, et même, pourquoi pas, retrouver du pouvoir face à l’exécutif.

 

 

Consolider les règles déontologiques

Ces chantiers sont avant tout des réflexions à mener, pour faire le bilan des nouvelles règles déontologiques, réformes votées soit à contre-coeur (en 2013), soit sans mesurer les enjeux (en 2017), et dont les effets n’ont pas été anticipés ni même débattus sérieusement. Après une première mandature d’application, un premier bilan s’impose, même si les dispositifs restent encore flous, faute d’un nombre suffisant d’applications pour avoir une jurisprudence stabilisée. Ils concernent la gestion des frais de mandat, les règles de déport et les déclarations en cas de conflits d’intérêt.

 

Malgré des dispositifs liés à la déontologie parlementaire qui remontent pourtant à 2011, les déontologues en sont encore, dans leurs rapports annuels, à préconiser des évolutions, qui sont menées morceau par morceau, et appliquées parfois avec réticence pour ne pas dire plus, ce qui rend le dispositif illisible. Pour les parlementaires eux-mêmes, pour qui ces obligations sont anxiogènes du fait de l’absence de jurisprudence stabilisée et d’outils simples pour les remplir, mais aussi pour le public, dont la confiance dans ses élus n’a pas franchement progressé ces dix dernières années.

 

L’exercice est d’autant plus difficile que de nouveaux chantiers apparaissent continuellement, rendant nécessaires de nouveaux dispositifs, qui parent au plus pressé, mais négligent les effets de bord. Les sujets de lutte contre le harcèlement sont en train de bousculer la relation entre les députés et les collaborateurs, en installant un tiers, le déontologue, dans un face-à-face où l’Assemblée s’est toujours soigneusement gardée de s’insérer. Même si la création d’une association des députés employeurs, la signature d’accords collectifs et la mise en place de cellule d’alerte et de soutien pour les victimes de harcèlement vont dans le bon sens, cela reste insuffisant. C’est l’ensemble du dispositif qui est à revoir, car il n’est plus possible de maintenir la fiction d’une juxtaposition de 577 micro-entreprises autonome, alors que l’institution gère administrativement les contrats de travail (avec des interdictions spécifiques comme les emplois familiaux) et la finance intégralement avec des dispositifs collectifs (prime d’ancienneté) qui indiquent clairement qu’une forme d’unité économique et sociale existe.

 

 

Tirer toutes les conséquences du non cumul des mandats

Le non cumul des mandats, interdisant aux parlementaires d’être également à la tête d’un exécutif local, a eu des conséquences lourdes, tant sur le recrutement, que le déroulement des carrières politiques, et l’exercice même de la fonction parlementaire. Le nombre de députés ayant choisi de devenir (ou de redevenir) maire, en cours de mandat, est suffisamment éloquent pour donner la mesure des conséquences systémiques, et justifier qu’on s’y penche sérieusement. Car ce mouvement ne s’est pas fait au bénéfice de l’Assemblée !

 

Les députés ont perdu en 2017 la quasi-totalité des moyens leur permettant de compter dans l’écosystème local de leur circonscription. Même s’ils peuvent toujours être conseillers départementaux ou régionaux, cela ne donne pas la même envergure ni la même visibilité que d’être à la tête d’un exécutif. La disparition de la réserve parlementaire accentue encore cette coupure, le député n’étant même plus pourvoyeur de subventions. Quel intérêt, pour les acteurs locaux n’ayant pas d’enjeux législatifs, de continuer à maintenir des liens étroits avec leur député ? De fait le député est largement sorti des circuits de décisions, et donc d’information, au niveau local, alors même qu’élu au scrutin majoritaire dans le cadre d’une circonscription, il a besoin de cette information et de cette insertion pour sa réélection. Ils doivent donc déployer des efforts importants et chronophages, pour continuer à garder un lien avec leur territoire, sans en avoir réellement les moyens.

 

Un autre sujet, qui tient à la fois du non cumul des mandats, mais également des règles de déontologie, a émergé sous la XVe législature, celui de la sortie de mandat, une non réélection amenant, de fait, à quitter la vie politique. Plusieurs députés de la majorité, qui se sont révélés au cours du mandat, ont décidé de ne pas se représenter, arguant de la nécessité pour eux de ne pas se couper trop longtemps du monde professionnel. Si une coupure de 5 ans est envisageable, 10 ans leur apparaît trop long, l’apport d’expérience et de compétence que constitue l’exercice d’un mandat ne contrebalançant plus les inconvénients. En effet, la perte de compétences spécifiques à un métier (médical ou juridique par exemple) nécessite un rattrapage qui peut demander un effort que l’on ne souhaite plus mener, passé un certain âge. De plus, l’esprit de ces règles déontologiques, rendent délicat, même si aucune interdiction formelle n’existe, d’aller travailler dans le secteur sur lequel on s’est investi comme parlementaire. A cela, s’ajoute une volonté marquée par un nombre substantiel de parlementaires élus en 2017, de ne pas devenir des “professionnels de la politique”.

 

Cela risque d’appauvrir le vivier de recrutement et de rebuter des profils de qualité, pour qui un mandat serait rédhibitoire pour leur plan de carrière (en plus de dévorer leur vie sociale et familiale). Or, le poids d’une assemblée dépend beaucoup de l’envergure politique de ses membres. La composition socio-professionnelle de la XVIe législature sera un test pour appréhender la pérennité et l’ampleur de la mutation sociologique observée depuis 2017[1].

 

 

Retrouver une culture parlementaire partagée

La XVe législature a également été marquée par une rupture dans la transmission de la culture et des traditions parlementaires. L’importance du renouvellement a fait entrer une majorité de néophytes, avec trop peu de parlementaires expérimentés pour les acculturer, en particulier au sein de la majorité parlementaire. Un certain nombre de maladresses, comme par exemple la désignation de Thierry Solère comme questeur, au lieu d’Eric Ciotti, ont provoqué des incidents qui ont tendu les relations entre la majorité et l’opposition et grippé le fonctionnement des instances de l’Assemblée. La décision d’un groupe parlementaire, celui de la France Insoumise, de refuser un certain nombre de conventions, et d’utiliser les outils parlementaires comme des tribunes militantes à destination des médias, a également contribué à ces tensions. 

 

L’apprentissage des nouveaux députés n’a pas été facilité par les circonstances. Après une victoire large, qui a pu donner lieu à une certaine forme d’arrogance de la part des nouveaux élus de la majorité, une série de crises, à partir de l’été 2018, les ont mis à rude épreuve. Si la montée en compétence d’un certain nombre de néo-députés est indéniable, tous ne sont pas au même niveau dans leur acculturation parlementaire.

 

Si le côté “club anglais” peut être critiquable, il est nécessaire, pour qu’une institution parlementaire fonctionne bien, qu’il existe un cadre formé de règles, plus ou moins formalisées et souples, pour organiser la délibération. Que ce soit dans le fonctionnement des instances ou dans l’organisation des débats en commission et en séance publique, il faut une culture partagée, qui a été quelque peu mise à mal en début de XVe législature.

 

Il serait bon qu’au cours de cette XVIe législature, les parlementaires aient une réflexion de fond sur ce sujet, et se donnent les moyens de reconstruire cette culture parlementaire partagée.

 

 

Revisiter les habitus parlementaires

Ces ruptures et ces incertitudes que nous venons d’évoquer peuvent être des opportunités, pour redéfinir ce que l’on attend d’un député, de l’institution, et revoir les manières d’habiter la fonction parlementaire. La culture politique française a beaucoup valorisé le député individuel, et sanctuarisé la séance publique, au point parfois d’en faire des points de blocage qui ont rendu le travail parlementaire profondément inefficace, donc frustrant pour tous. Quelques sujets de réflexion seraient à ouvrir, de manière prospective, afin de faire évoluer la vision que les députés ont de leur rôle, et donc les comportements.

 

Le premier sujet est la dimension collective du travail parlementaire. Le retour d’une influence politique des députés ne peut venir que de la construction collective d’un rapport de force, qu’il soit interne à l’Assemblée, entre majorité et opposition, ou institutionnel, de l’Assemblée face aux autres acteurs (gouvernement et Sénat). Il est indispensable d’ouvrir une réflexion sur le rôle et les pouvoirs des groupes parlementaires, et pas seulement se limiter à la question du nombre minimal de députés nécessaire pour en créer un, même si cette question est importante.

 

La XVe Législature a connu des dérives qui ont montré les limites de l’organisation actuelle. Le règlement de l’Assemblée nationale n’est pas conçu pour fonctionner avec 10 groupes. Dans le même ordre d’idée, un groupe de 16 membres n’est pas en capacité d’investir tous les champs et les outils du travail parlementaire. Cela a parfois provoqué une utilisation des droits de tirage à la dernière minute, avec des commissions d’enquête sur des sujets de niche, ou captées par un député et menées de manière contestable.

 

La procédure du temps législatif programmé, qui est théoriquement une idée intéressante pour mieux organiser les débats, a buté sur la difficulté des groupes à avoir la légitimité et l’autorité sur ses membres, pour mettre en place une discipline suffisante pour limiter le nombre d’amendements et organiser efficacement les prises de parole. La volonté affichée du groupe LREM, en début de XVe législature, d’assurer un tel contrôle, a vite été abandonnée. Pourtant, c’est l’une des clés d’une meilleure efficacité du travail parlementaire.

 

Un autre point, qui a fait l’objet d’initiatives intéressantes, mais encore timides, est la place, technique mais aussi symbolique, de la séance publique dans le processus législatif. Il s’agit d’un véritable goulot d’étranglement, dont l’apport technique est assez faible (l’essentiel de l’écriture du texte se fait en commission) et qui est d’abord une scène politique. La présidente de la commission des Lois, Yael Braun-Pivet, a redonné vie à la pratique de la procédure simplifiée pour d’autres textes que les ratifications d’accords internationaux. Des procédures dites “de législation en commission” ont été introduites dans les règlements. Il ne tient qu’aux parlementaires de décider de s’en saisir, et d’adapter leurs comportements (en cessant par exemple de déposer des amendements par centaines) pour utiliser chaque étape de la procédure de manière la plus efficiente.

 

Beaucoup de changements reposent finalement sur ce que les parlementaires font, plus que sur les règles juridiques. Cela implique que les députés acceptent de s’auto-discipliner et de renoncer à une partie de leur autonomie individuelle, pour “jouer collectif”. Cela n’a rien d’insurmontable, mais demande un cadre partagé que les députés s’approprient, d’où l’importance de renforcer une culture parlementaire tournée vers l’action collective.

 

 

[1] Ollion Étienne, Les candidats, Novices et professionnels en politique. Presses universitaires de France, octobre 2021