Premier succès pour le recall à la Chambre des Communes britannique : un exemple pour la France ? Par Baptiste Javary
Mercredi 1er mai, le Speakerde la Chambre des Communes John Bercow a annoncé le premier succès d’une pétition révocatoire à l’encontre d’une députée. Depuis le Recall for MPs Actde 2015, tout membre de la Chambre des Communes peut être révoqué, sous certaines conditions, si au moins 10 % des électeurs de sa circonscription se prononcent en faveur d’une nouvelle élection. Cette première application à la « mère des parlements » démontre que ce mécanisme, justement circonscrit constitue une piste intéressante d’assainissement de la vie politique.
On Wednesday, May 1, the Speaker of the House of Commons John Bercow announced the first successful revocation petition against a member of Parliament. Since the 2015 Recall for MPs Act, any Member of the House of Commons can be removed, under certain conditions, if at least 10% of the electors in their constituency vote in favour of a new election. This first application to the « mother of parliaments » shows that this mechanism, when strictly defined, is an interesting way of making MPs accountable.
Par Baptiste Javary, doctorant à l’université Paris Nanterre (CRDP)
En juin 2018, Fiona Onasanya, députée de la circonscription de Peterborough est contrôlée en excès de vitesse par un radar dans la banlieue de Londres. Elle conteste cette amende, affirmant qu’un ami de son frère lui avait emprunté sa voiture. L’enquête révèle que la députée était bien au volant et qu’elle a tenté, par une série de mensonges, d’éviter la sanction.
Elle est reconnue coupable d’obstruction à la justice en janvier 2019 et condamnée à 3 mois de prison avec sursis. Cette sanction déclenche une procédure de révocation. En effet, depuis le Recall of MPs Act de 2015, une pétition tendant à la révocation d’un député est initiée dans trois hypothèses : lorsqu’il a été définitivement condamné à une peine de prison, même suspensive, et quelle qu’en soit la durée, lorsqu’il a été suspendu pour une période supérieure à dix jours par la chambre, ou s’il fournit une fausse note de frais[1]. Ce mécanisme a été introduit en réponse au scandale des notes de frais qui a secoué la Chambre des Communes en 2009. Plusieurs députés avaient été reconnus coupables d’avoir fourni de fausses notes de frais. Ce scandale aboutit à la démission du Speaker, une première depuis 1695, et à la condamnation de plusieurs députés pour détournement de fonds publics.
Lors des élections générales de 2010, les trois grands partis de gouvernement promettent de mettre en place une procédure de recall. Le Recall of MPs Act est adopté à l’issue d’une longue bataille entre le gouvernement et la Chambre. Le comité constitutionnel estimait notamment que les pouvoirs disciplinaires détenus par la Chambre, et notamment son droit d’expulsion, étaient suffisants pour assurer une régulation convenable des comportements parlementaires[2]. La loi est finalement adoptée en mai 2015. Il prévoit que, dans l’un des trois cas susmentionnés, le Speaker a l’obligation de saisir le Petition Officer de la circonscription du député concerné, lequel est chargé d’organiser le recueil des signatures[3]. Un Petition Officer est désigné par la commission électorale dans chaque circonscription pour veiller au bon déroulement des opérations. Les électeurs peuvent voter dans des bureaux de vote spécialement installés ou par procuration, mais aucune voie dématérialisée n’est prévue.
Le recueil des signatures est ouvert dans un délai maximum de dix jours après l’annonce du Speaker, pour une période de six semaines. La commission décide seule des modalités d’organisation, et notamment des horaires d’ouvertures et du nombre de bureaux de signatures ouverts. Ce point a fait polémique lors de la première application du recall en juin 2018 dans la circonscription de North Antrim en Irlande du Nord. Le député Ian Paisley avait été suspendu un mois par la Chambre pour avoir effectué des activités de lobbying pour le compte du gouvernement sri lankais. Cette suspension a également déclenché une procédure de recall. Cependant, la Commission n’a mis en place que trois bureaux, quand la loi fixe un maximum de 10, ouverts de 9h à 17h pour une circonscription de 75 000 électeurs. La pétition n’a été signée que par 9,4 % des électeurs inscrits quand le seuil de révocation est fixé à 10 %. Le député a donc conservé son siège sans avoir à subir une nouvelle élection. Ce premier échec pouvait faire douter de l’effectivité du dispositif. La suspension est la plus longue prononcée par la Chambre depuis 1949 et le principal opposant à Ian Paisley avait recueilli 16,4 % des voix lors des dernières élections, un score bien supérieur au seuil nécessaire au succès d’une pétition. Dans son rapport sur le scrutin, la commission juge cependant qu’elle n’a pas la preuve que le résultat aurait été différent si davantage de bureaux avaient été ouverts[4].
Le récent succès de la procédure prouve toutefois que le recall n’est pas simplement une « épée de Damoclès », mais peut aboutir concrètement à la révocation d’un député. La pétition à l’encontre de Fiona Onasanya a été signée par 27,64 % des électeurs. Plusieurs raisons expliquent ce large succès. L’élection de la députée travailliste en 2017 a été une surprise dans une circonscription traditionnellement acquise au camp conservateur. Elle n’a remporté l’élection qu’avec 650 voix d’avance. Ensuite, son comportement a sans doute davantage choqué les électeurs qu’une affaire plus confidentielle de lobbying. Fiona Onasanya n’est donc plus députée à compter du 1er mai. Son salaire et ses indemnités ont été suspendus. Une nouvelle élection est prévue le 6 juin pour pourvoir le siège vacant. La députée ne devrait vraisemblablement pas y participer, bien qu’elle en ait le droit. En effet, le recall ne peut s’analyser en un droit de révocation pur et simple, mais plutôt à un retour aux urnes qui permet à l’électeur d’octroyer à nouveau sa confiance. Le succès de la pétition ne signifie pas que le député a perdu toute chance de siéger à nouveau. Le seuil de 10% prévu est relativement bas et permet au député, qui a déjà fait l’objet d’une sanction, d’espérer une réélection lors d’un nouveau scrutin plus ouvert où il pourra s’expliquer et éventuellement, obtenir « le pardon » d’une majorité d’électeurs. Seul le corps électoral décide en conscience de l’avenir de son représentant. Le mécanisme est d’ailleurs jugé très positivement par les électeurs et commence à entrer dans les mœurs. Une nouvelle pétition, la troisième en moins d’un an, va être lancée la semaine prochaine à l’encontre d’un député ayant fourni des fausses notes de frais[5]. Chacune des trois procédures a donc été lancée sur un motif différent.
Le dispositif, convenablement encadré, semble avoir fait la preuve de sa souplesse et de son effectivité. Il constitue un véritable moyen de mettre fin au mandat d’un député peu exemplaire. Dans le même temps, les conditions d’ouverture posées par la loi semblent en mesure d’éviter toute utilisation abusive. C’est d’ailleurs le principal défaut des mécanismes suggérés en France qui ne prévoient aucun motif précis de révocation, mais fixent simplement un seuil d’électeurs requis[6]. Cependant, les conditions posées au Royaume-Uni semblent difficilement applicables en France. En effet, le Parlement français fait encore un usage modéré, pour ne pas dire plus, de son pouvoir disciplinaire à l’encontre des manquements à la déontologie. La dernière suspension d’un député remonte à 2011[7]. Ensuite, le nouveau système de contrôle des frais de mandats mis en place au Parlement laisse présager un contrôle beaucoup moins strict et transparent qu’au Royaume-Uni. Enfin, la condamnation à une peine privative de liberté se heurte à l’obstacle constitutionnel de l’inviolabilité parlementaire (art 26C.), laquelle a disparu en pratique en Angleterre depuis de nombreuses années. Le principe de responsabilité, qui implique la nécessité de rendre des comptes, mais aussi la possibilité d’être révoqué, s’applique aux parlementaires de manière beaucoup plus étendue au Royaume-Uni.
La France affiche pour l’heure sa préférence pour les inéligibilités sanctions afin de priver les élus non exemplaires de leur mandat. Dans son rapport remis en 2015 au président de la République sur l’exemplarité des responsables publics, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique propose d’ouvrir la possibilité pour les assemblées de destituer certains de leurs membres en cas de manquement grave à l’exemplarité[8]. Ce mécanisme s’inspirerait de la procédure de destitution prévue pour le Président de la République à l’article 68 de la Constitution et pourrait s’appliquer « à des manquements déontologiques graves, mais ne constituant pas nécessairement des infractions pénales ou n’ayant pas été sanctionnés comme tels »[9]. Cette sanction pourrait, selon le rapport, constituer le dernier échelon des peines prévues par le Règlement et résulterait d’un vote à la majorité qualifiée de l’assemblée concernée. Il reviendrait ensuite au Conseil constitutionnel de vérifier la régularité de la procédure et de prononcer la destitution du parlementaire concerné. Cette proposition n’a pas été reprise par le législateur. La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique prévoit toutefois qu’un parlementaire qui n’a pas satisfait à son obligation de déclaration de régularité fiscale peut être sanctionné d’une peine d’inéligibilité prononcée par le Conseil constitutionnel[10]. La même loi instaure également une peine complémentaire d’inéligibilité pour certains délits mentionnés à l’article L.131-26-1 du Code pénal. Il s’agit notamment des délits de corruption, de fraude fiscale et des atteintes à la probité publique. En l’état actuel du droit, l’inéligibilité prononcée ne peut toutefois excéder dix ans en cas de condamnation pour crime et de cinq ans en cas de condamnation pour délit, portée à dix ans si la personne condamnée exerce une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits[11]. Cependant, dans un avis récent, le Conseil d’État ne s’est pas opposé à l’instauration d’une peine d’inéligibilité à vie « dès lors que, répondant à une nécessité, elle n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité de l’infraction qu’elle réprime, qu’elle est individualisée par le juge et qu’au cours de son exécution, la personne condamnée peut en demander le relèvement »[12].
Un renforcement des inéligibilités sanctions est sans doute à prévoir en France. Ce système fait toutefois peser sur le juge la possibilité d’écarter les élus fautifs. En ce sens, le recall a le grand mérite d’impliquer directement les citoyens dans le contrôle du comportement de leurs représentants. Son issue reste dépendante des conditions politiques propres à chaque circonscription.
Ce premier succès d’une pétition révocatoire appliqué à des élus nationaux dans une grande démocratie parlementaire va à l’encontre de certaines idées reçues sur l’usage du référendum et fournit un exemple d’une solution raisonnable susceptible de contribuer à assainir la vie politique et à responsabiliser davantage nos élus.
[1] Recall of MPs Act 2015, Section 1. Une pétition peut être ouverte dans une circonscription si l’une des trois conditions suivantes est remplie :
– Lorsqu’un député est reconnu coupable d’une infraction et condamné à une peine privative de liberté (y compris une peine avec sursis) d’un an ou moins.
– Suite à un rapport du Committee on Standards, si la Chambre des communes ordonne la suspension de son mandat parlementaire pour une période déterminée (au moins 10 jours de séance)
– Lorsque, le député a été déclaré coupable d’une infraction en vertu de l’article 10 du Parliamentary Standards Act de 2009 (information fausse ou trompeuse concernant les demandes de remboursement d’indemnités)
Voir aussi « The first use of a ‘recall petition’ in the UK » House of Commons Library, 10 août 2018https://commonslibrary.parliament.uk/insights/the-first-use-of-a-recall-petition-in-the-uk/
[2] Committee on Political and Constitutional Reform, Recall of MPs, Report Session 2010–12, HC 1758 (2012)
[3] Recall of MPs Act, section 5, « Après avoir pris connaissance du fait que la première, deuxième ou troisième condition est remplie par un député, le Speaker doit en informer dès que possible le Petition Officer de la circonscription de ce député. ». Une pétition ne peut être lancée si des élections générales sont prévues dans une période de 6 mois, si le député fait déjà l’objet d’une pétition ou si son siège est déjà vacant, notamment du fait de sa démission.
[4] Report on the 2018 recall petition in North Antrim, site de la Commission électorale https://www.electoralcommission.org.uk
[5] En janvier 2019, le député Chris Davies a reconnu avoir fourni de fausses factures à l’autorité indépendante qui gère le remboursement des notes de frais des députés britanniques. La pétition a été lancée le 9 mai dernier, pour 6 semaines.
[6] Proposition de loi constitutionnelle n° 1558 (XVe législature) visantà instaurer la possibilité de référendums d’initiative citoyenne,
[7] Il s’agissait du député Maxime Gremetz, exclu 15 jours pour avoir provoqué un esclandre en commission pour une affaire de voiture de ministre mal garée.
[8] Renouer la confiance publique, Rapport au Président de la République sur l’exemplarité des responsables publics, La documentation française, 2015, p. 135.
[9] Ibid.
[10] Article L.O 136-4 du Code électoral. Le député Thierry Robert a été déclaré inéligible pour une période de trois ans sur ce motif par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-1 OF du 6 juillet 2018.
[11] Conformément au principe d’individualisation des peines, le juge conserve la faculté d’écarter son application par une décision spécialement motivée en fonction des circonstances de l’espèce. En effet dans plusieurs de ses décisions (DC du 15 mars 1999, n° 99-410 DC, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ; n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010) le juge constitutionnel a considéré que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur le principe de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines « implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances de l’espèce »
[12] Conseil État, Avis n° 395384 du 26 mars 2019 sur la proposition de loi visant à renforcer l’intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale. Le texte propose d’instaurer une peine d’inéligibilité de 30 ans en cas de commission d’une pluralité de délits ou de crimes mentionnés à l’article L.131-26-1 du Code pénal.