Réforme du Règlement de l’Assemblée nationale : quels progrès pour les droits de l’opposition ?

Par Jean-Jacques Urvoas

<b> Réforme du Règlement de l’Assemblée nationale : quels progrès pour les droits de l’opposition ? </b> </br> </br> Par Jean-Jacques Urvoas

Le 15 mai prochain, la commission des Lois va examiner la résolution déposée par le président de l’Assemblée nationale tendant à modifier le Règlement de cette institution. Comme il est de tradition dans un tel exercice, l’intention proclamée est d’élargir les droits de l’opposition. A l’analyse cependant, si des avancées existent, le texte accorde en réalité plus de visibilité à l’opposition que de droits véritablement nouveaux.

 

On next May 15th, the Law Commission will consider the resolution tabled by the President of the National Assembly that aims to amend this institution’s Rules. As always, this exercise claims to expand the opposition’s rights. However, by taking a closer look at it, the text gives in reality more visibility to the opposition than truly new rights.

 

Par Jean-Jacques Urvoas, Maitre de conférences en droit public à l’Université de Brest (Lab-LEX), président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale (2012-2016).

 

 

L’exercice est rituélique. De même qu’à l’orée de leur mandat, tous les chefs d’Etat nourrissent l’intention de réviser la Constitution, chaque président de l’Assemblée nationale ambitionne de réformer le Règlement (RAN) de son institution. Mais si pour les premiers, l’exercice se révèle plus ardu que prévu, pour les seconds, le succès est régulièrement au rendez-vous.

 

Le dépôt par Richard Ferrand le 29 avril 2019 d’une proposition de résolution s’inscrit donc dans une tradition bien établie.

 

Son volume (42 articles) la place entre la profonde refonte orchestrée en 2009 par Bernard Accoyer (144 articles) et les ajustements auxquels avait procédé Claude Bartolone en 2014 (17 articles). Son inspiration est très proche de celles qui l’ont précédé puisqu’elle veut rénover la procédure législative et revaloriser le rôle de l’opposition parlementaire afin que l’Assemblée assume toujours mieux ses responsabilités constitutionnelles.

 

C’est évidemment ce dernier aspect qui suscite l’intérêt tant il est vrai que le moteur de nos démocraties contemporaines n’est plus l’antique couple exécutant-délibérant, mais bien le couple gouvernant-opposant. Vouloir améliorer le bon fonctionnement de notre régime parlementaire passe donc par une promotion audacieuse des droits de l’opposition.

 

Est-ce réellement le cas ? Ce n’est, pour le moment, pas absolument certain.

 

Certes, la résolution se propose d’assurer une meilleure représentation de l’opposition au sein des organes de l’Assemblée. C’est ainsi que tous les présidents des groupes politiques pourront désormais assister aux réunions du Bureau, organe constitutionnel mentionné à trois reprises dans la Loi fondamentale[1], mais à la réserve qu’ils ne disposeront pas du droit de vote. De même, la composition des commissions mixtes paritaires garantira la présence d’au moins un suppléant pour chaque groupe[2]. Dans le même esprit, le premier vice-président de l’Assemblée comme celui du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sera systématiquement un parlementaire d’opposition. Enfin, les députés « non-inscrits » disposeront d’un temps minimum de cinq minutes dans les débats portant sur une déclaration du gouvernement organisée en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur une déclaration de politique générale (article 49-1) ou sur une motion de censure (article 49-2). Et l’un d’entre eux sera aussi nécessairement associé aux multiples commissions d’enquête et aux missions d’information initiées par la Conférence des présidents.

 

Toutes ces évolutions sont appréciables sans être déterminantes. Elles s’inscrivent d’ailleurs dans un lent mouvement d’intégration de l’opposition au fonctionnement quotidien de l’institution engagé depuis Valéry Giscard d’Estaing.

 

Ce fut d’abord l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel puis la création des « questions au gouvernement ». Puis en 1988, elle accéda aux bureaux des commissions, avant en 2007 d’obtenir la présidence de la commission des Finances. En 1995, la réforme constitutionnelle du 4 août créa la « séance d’initiative parlementaire » mensuelle réservée aux groupes d’opposition et enfin la révision de 2008 lui ouvrit de nouveaux champs comme le droit de créer des commissions d’enquête ou encore la définition d’un temps de parole égal entre majorité et opposition pour les activités de contrôle du gouvernement[3].

 

Les pas envisagés relèvent de la même approche mais n’apportent en réalité aucun moyen d’action supplémentaire pour l’opposition. Ils élargissent sa capacité d’information, ce qui est n’est pas anodin mais sans étendre ses pouvoirs, ce qui relativise leur importance.  

 

On aurait pu imaginer que le Président de l’Assemblée propose de confier de nouvelles présidences de commission à l’opposition, comme le rapport Balladur l’avait – déjà – proposé en 2007 mais sans succès. Ainsi, lors de la précédente réforme du RAN, avait été créée la fonction de rapporteur général au sein de la commission des Affaires sociales. Celle-ci était apparu comme la conséquence logique de la création, en 1996, des lois de financement de la sécurité sociale et, plus généralement, de la place de plus en plus importante des finances sociales au sein des comptes publics (en volume le budget de la sécurité sociale est aujourd’hui supérieur au budget de l’État). Cette modification n’est entrée en vigueur qu’en 2017 et Olivier Veran, député LREM de l’Isère est ainsi devenu le premier titulaire de la fonction. Sur le principe du parallélisme des formes, il aurait été parfaitement envisageable que comme pour la commission des Finances, la présidence de la commission des Affaires sociales soit confiée à un parlementaire siégeant dans l’opposition.

 

On ne s’attardera pas plus sur les diverses mesures portant sur la fabrication de la loi. D’abord parce que, par essence, l’exercice concerne au premier chef la majorité. Et ensuite, parce que seule la pratique renseignera sur la portée des évolutions. En effet, l’histoire parlementaire souligne combien le changement des textes ne crée jamais qu’une nouvelle donne et qu’en vérité, c’est l’exercice des droits qui bouleverse le réel. Comme l’avait lapidairement dit Cambacérès : « les institutions sont d’abord l’œuvre du temps ». 

 

Par contre, en matière de contrôle, l’enjeu est d’une autre ampleur puisqu’il est communément admis que l’opposition peut s’y épanouir et que, suivant la recommandation du rapport Balladur, la fonction est dorénavant constitutionnalisée.

 

Las ! La résolution déposée par Richard Ferrand pèche par un manque d’ambition. Se trouve ainsi une nouvelle fois confirmée la règle selon laquelle une majorité « n’est pas spontanément portée à céder les privilèges qui lui viennent en nombre »[4].

 

Deux dispositifs concentrent les changements envisagés. Il s’agit d’abord de permettre aux députés de l’opposition de choisir leur responsabilité (président ou rapporteur) au sein des commissions d’enquête et des missions de la Conférence des présidents créées à leur demande. C’est une avancée notable car aujourd’hui l’opposition n’obtient que rarement la fonction de rapporteur. Mais ce n’est pas une innovation puisque cette règle est déjà appliquée au Sénat, au grand profit au demeurant de l’intérêt général.

 

Par contre, on peut regretter que les prérogatives d’investigation dont bénéficient les rapporteurs des commissions d’enquête ne soient pas étendues aux rapporteurs de missions d’information. Ou encore qu’il n’ait pas été envisagé de formaliser l’accès aux documents élaborés par les différentes inspections générales.

 

Placés sous l’autorité du pouvoir exécutif, ces dernières exercent une mission de contrôle et d’audit qui permet aux ministres de contrôler le fonctionnement des services placés sous leur autorité. Mais compte tenu d’une décision du Conseil constitutionnel, les députés sont régulièrement confrontés à l’impossibilité d’obtenir communication de leurs rapports. Ce dernier a en effet fermement rappelé en 2009 qu’une chambre «ne saurait imposer la présence des responsables administratifs des politiques publiques lors de la présentation des rapports relatifs à ces politiques » et que « la séparation des pouvoirs interdit que, pour conduire les évaluations, les rapporteurs du comité puissent bénéficier du concours d’experts placés sous la responsabilité du gouvernement »[5]Si la publicité systématique des rapports des inspections générales ne paraît ni opportune, ni conforme à la logique qui a justifié leur création, ne conviendrait-il cependant pas d’assouplir cette règle ?

 

Le président de l’Assemblée propose ensuite de faire évoluer le déroulement des « questions au gouvernement ». On ne peut que l’en féliciter puisqu’en l’état, l’exercice est sclérosé. Les questions des députés sont rarement surprenantes et les ministres répondent sans grand risque puisqu’ils sont certains de pouvoir compter sur une majorité bruyamment approbatrice. Certes chacun des participants y trouve bénéfice. Le parlementaire est satisfait de pouvoir valoriser sa prestation dans sa circonscription, et le ministre peut aisément développer les axes de son action dans un domaine qui, bien que présenté comme « la priorité absolue du gouvernement », n’en souffre pas moins d’un pénalisant déficit de publicité. Mais comme la séance se déroule dans un brouhaha terrible et vire régulièrement à la foire d’empoigne, l’image que renvoie ce genre de débat est préjudiciable à l’Assemblée.

 

La nouvelle configuration ne semble pour autant pas de nature à en modifier fondamentalement la facture. En effet, la nouveauté tient dans la suppression d’une séance cependant compensée par un rallongement de celle qui subsiste et dans la création d’un droit de réplique, tel qu’il peut exister en Belgique, en Italie ou à la Vouli grecque. 

 

Mais là encore, l’expérience de notre Sénat douche les éventuels enthousiasmes. Ce droit y existe depuis le 13 mai 2015 et malheureusement son déroulement ne convainc pas. Dans la quasi-totalité des cas, le sénateur qui n’a pas consommé son temps initial dans l’énoncé de sa question anticipe la réponse du ministre et rédige préalablement le contenu de son droit de réplique. On assiste donc à un exercice parfaitement congelé bien éloigné d’un réel contrôle parlementaire et aussi dépourvu d’intérêt que de spontanéité. Difficile d’en attendre donc une « dynamisation de l’échange »[6].

 

Plus audacieux aurait été de réserver la totalité des questions à l’opposition puisque celles de la majorité relèvent essentiellement de la complaisance, et de raccourcir la séance en la consacrant à un échange entre le premier ministre et les différents présidents de groupeL’exercice permettrait aux protagonistes de réagir sur l’actualité, ce qui est sa vocation première et gagnerait en intensité en raison de la qualité des intervenants donnant ainsi raison à l’ancien Premier ministre britannique, Benjamin Disraeli, qui remarquait déjà en 1844 : « Nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition ».

 

La démarche de Richard Ferrand comporte donc des avancées, mais il serait excessif de les qualifier d’audaces créatrices, d’originalités spectaculaires ou de nouveautés fondatrices. Sa résolution relève bien plus de la prolongation de logiques existantes, de renforcement de tendances anciennes et d’affermissement de droits déjà acquis. L’opposition va probablement gagner en visibilité mais guère en pouvoirs. Et la puissance de la majorité ne sera en rien altérée. Il s’agit donc d’un texte qui pourrait être qualifié de « chiraquien » puisque finalement chaque pas doit être considéré comme un but[7].

 

 

Jean-Jacques URVOAS

Maître de conférences à l’Université de Bretagne occidentale

 

 

[1] Articles 26, 39 et 89.

[2] Elles étaient ouvertes depuis 1981 à la minorité parlementaire mais sans obligation dans le RAN.

[3] Jean-Jacques Urvoas, « Retour sur la révision constitutionnelle de 2008 et sur l’extension des pouvoirs du Parlement »,Commentaire, n°163, automne 2018, pp. 563-570.

[4] Guy Carcassonne, « La place de l’opposition : le syndrome français », Pouvoirs, 85, 1998, p. 82.

[5] Conseil constitutionnel n° 2009-581 DC du 25 juin 2009.

[6] Richard Ferrand, proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale, n°1882, 29 avril 2019, p. 12.

[7] Jacques Chirac, Chaque pas doit être un but– Mémoires, Nil, 2009.

 

Crédit photo: Jacques Paquier, Flickr, CC By 2.0 aucune modification