Le Parlement osera-t-il enfin adopter un statut des élus locaux en le différenciant suivant le type d’élus ?

Par Arnaud Haquet

<b> Le Parlement osera-t-il enfin adopter un statut des élus locaux en le différenciant suivant le type d’élus ? </b> </br> </br> Par Arnaud Haquet

Le Parlement envisage d’adopter un statut de l’élu. Mais cette nouvelle tentative sera, comme les précédentes, vouée à l’échec si le législateur n’aborde pas la principale difficulté du sujet : la question de la professionnalisation des titulaires de fonctions exécutives.

 

Parliament is considering adopting a status for elected representative. But this new attempt, like previous ones, will be doomed to failure if the legislator fails to address the main difficulty of the subject: the question of the professionalization of executive office holders.

 

Par Arnaud Haquet, Professeur de droit public à l’université de Rouen Normandie

 

 

 

La quête du statut de l’élu est une vieille histoire dont l’obtention est annoncée, mais toujours reportée.

 

Au début des années 80, le législateur s’est lui-même engagé à adopter ce statut. Il a précisé que des « lois détermineront […] le statut des élus » (art. 1er de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982). Quarante ans plus tard, ce statut se fait encore attendre.

 

Sa création est, néanmoins, constamment réclamée. Les parlementaires et élus locaux alimentent ce débat. Les présidents l’encouragent. Emmanuel Macron a ainsi promis, en avril 2019, de conforter le rôle des élus « par un statut digne de ce nom ». François Hollande appelait en janvier 2013 à « la définition d’un statut de l’élu » et Nicolas Sarkozy, en novembre 2007, lors du 90e Congrès de l’Association des maires de France, a déclaré que la Nation devait dire « quel statut elle [était] prête à reconnaître à ses élus et à ses maires en particulier, parce que le statut de l’élu a trop attendu ». Jacques Chirac avait eu des mots similaires au Congrès de l’AMF en novembre 1997 et François Mitterrand a évoqué ce statut en mars 1990. Depuis l’adoption des lois de décentralisation, tous les présidents l’ont annoncé.

 

L’ouvrage est remis sur le métier en cette fin d’année 2023. Il est à l’ordre du jour de la « Convention nationale de la démocratie locale » organisée par le gouvernement et il a conduit à la création de missions d’information à l’Assemblée nationale et au Sénat pour préparer la traduction de ce statut dans un texte législatif. Le Parlement entend avancer sur le sujet. La présidente de l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, a demandé un « véritable statut de l’élu ». Les associations d’élus ont également fait des propositions à ce propos.

 

Bien que le singulier soit toujours utilisé, la recherche d’« un statut » ne concerne pas « l’élu » (c’est-à-dire « tous les élus ») mais les « élus locaux » dans leur ensemble : les conseillers municipaux, départementaux et régionaux (soit 520 000 membres des assemblées locales).

 

Une particularité française tient au fait que si le statut des parlementaires fait, dans ses aspects essentiels, l’objet d’un assez large consensus, le sujet reste en revanche débattu et sujet à controverses pour les élus locaux. Pour eux, le statut est toujours en attente. Et il risque de le rester longtemps, tant que le législateur n’osera pas aborder la principale difficulté du sujet : la question de la professionnalisation des titulaires de fonctions exécutives (des maires et adjoints, présidents et vice-présidents).

 

 

Répondre à la professionnalisation des mandats exécutifs

Cette question sera-t-elle traitée par le Parlement prochainement ? Si l’histoire se répétait, la réponse serait négative. Car son déroulement est toujours le même. Un statut de l’élu est réclamé, une réflexion s’engage au Parlement sur sa définition et un rappel à l’ordre est prononcé lors de l’examen du projet ou de la proposition de loi pour le motif suivant : l’exercice d’un mandat électif ne constitue pas une profession et, par voie de conséquence, le statut de l’élu ne saurait traduire les éléments de cette professionnalisation. Dès lors, puisque l’utilisation même du mot statut apparaît problématique, le texte qui le prévoit est immanquablement abandonné au cours de la discussion parlementaire.

 

Afin de contourner cet obstacle, qui semble purement sémantique, une autre expression plus neutre a été introduite puisqu’au lieu de statut, on parle désormais de « garanties accordées aux titulaires de mandats locaux ». Depuis l’adoption de la loi n° 92-108 du 3 février 1992, qui a introduit cette expression dans le code général des collectivités territoriales, le législateur a revu et corrigé ces « garanties » mais sans créer de statut.

 

Ces garanties sont pourtant nombreuses. Le législateur a prévu des droits dont le bénéfice varie selon la fonction exercée et la taille de la collectivité. Un régime indemnitaire est organisé. En outre, pour permettre aux élus de concilier l’exercice de leur mandat avec celui d’une activité professionnelle, différents mécanismes ont été institués (autorisations d’absence, crédits d’heures, suspension du contrat de travail, compensation pour perte de revenus, etc.). Des obligations ont également été consolidées et assorties de sanctions pénales. Des règles déontologiques ont même été introduites dans le code général des collectivités territoriales.

 

Dès lors, on peut se demander pourquoi un appel est encore lancé pour l’adoption d’un « véritable statut de l’élu ». Et pourquoi d’ailleurs utilise-t-on ce mot : « véritable » ? La réponse réside dans une forme de frustration à ne pas être parvenu à conceptualiser cet ensemble de garanties.

 

Un « statut » n’est pas un catalogue. C’est un ensemble cohérent de droits et obligations justifiés par la nature des missions à accomplir. En raison de ces missions, les droits accordés, qui en sont la contrepartie, confèrent à leurs bénéficiaires une reconnaissance, à la fois juridique et sociale.

 

Cette reconnaissance a longtemps fait le succès du statut des fonctionnaires qui bénéficiaient de droits parce qu’ils étaient des serviteurs de l’Etat. Cette reconnaissance pourrait être proposée aux élus, mais il est bien évident qu’elle ne pourrait être la même pour tous les élus. Élaborer un statut suppose de faire des choix.

 

 

Distinguer les statuts des élus

Il faut l’admettre et l’écrire dans la loi. Le rôle d’un maire ou président, de région ou département, n’est pas le même que celui d’un conseiller sans délégation. Leur statut ne devrait pas être identique. Les premiers sont des administrateurs sur lesquels pèsent de lourdes responsabilités, assorties d’un redoutable volet pénal. Les seconds ont principalement pour mission de participer à la fonction de délibération.

 

On perçoit en effet la nécessité de distinguer le rôle des titulaires de fonctions exécutives. Ce besoin est ressenti avec d’autant plus d’acuité qu’il existe une crise des vocations pour la fonction de maire. Dans beaucoup de communes, l’exercice du mandat est devenu si difficile, notamment en raison de l’agressivité et la violence de leurs administrés, que nombre de maires ont décidé de ne pas se représenter aux élections, lorsqu’ils ne démissionnent pas en cours de mandat.

 

Les maires ont un besoin évident de reconnaissance et de protection. L’adoption d’un statut de l’élu devrait les concerner en premier lieu. Pour cela, il conviendrait de distinguer le statut des élus titulaires de fonctions exécutives (présidents et vice-présidents, maires et adjoints, conseillers disposant d’une délégation), qui sont chargés d’administrer leur collectivité et d’exécuter les délibérations du conseil, de celui des autres élus (membres des assemblées délibérantes, sans délégation du maire ou président) qui siègent au conseil et n’ont pas d’autre fonction que de participer aux délibérations.

 

Cette distinction peut paraître étonnante en France, mais elle est pratiquée, comme étant évidente, chez nos voisins européens, qui distinguent le statut des membres des assemblées locales de celui des exécutifs locaux.

 

L’adoption d’un statut particulier pour les exécutifs locaux présenterait, en effet, plusieurs intérêts :

– Le premier serait de mettre un terme à l’hypocrisie de la professionnalisation. Officiellement, en effet, tous les élus locaux exercent leur fonction à titre « gratuit ». Le principe est posé à l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, alors que ce même code prévoit implicitement une rémunération dans le cadre d’une échelle indemnitaire pour nombre de catégories d’élus locaux (car une indemnité qui peut atteindre plusieurs milliers d’euros et qui est fiscalisée est assurément une rémunération). Dans les autres États européens, une distinction plus nette est établie entre le régime indemnitaire des exécutifs, qui est très favorable, et celui des membres des assemblées délibérantes. Contrairement à l’indemnité des premiers, celle des conseillers n’est pas perçue comme une rémunération, mais comme une compensation pour des élus bénévoles.

 

– Le deuxième intérêt de ce statut propre aux titulaires de fonctions exécutives serait de mettre en balance les droits liés à l’exercice de leurs missions et les obligations assorties de sanctions qui les concernent en premier lieu.

 

Le risque pénal, notamment, pèse à titre principal sur les titulaires de fonctions exécutives. Ils sont les plus exposés aux « manquements au devoir de probité » énumérés aux articles 432-10 et suivants du code pénal (prise illégale d’intérêt, acte de favoritisme, corruption, trafic d’influence, de concussion, etc.). Pour les délits non intentionnels, la loi reconnaît d’ailleurs que ce risque concerne ces catégories d’élus. Elle établit un régime particulier pour « le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation » pour les « faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions » (CGCT, art. L2123-34, al. 1). La commune est, en outre, tenue d’accorder sa protection à ces mêmes catégories d’élus lorsqu’ils font l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de leurs fonctions (même art., al. 2).

 

De même, la législation relative au régime unifié de responsabilité financière des gestionnaires publics concerne les exécutifs locaux parce qu’ils sont des ordonnateurs (même si l’engagement de leur responsabilité devant le juge financier reste limité, l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 reprenant les règles qui excluaient auparavant, sauf exceptions, ces élus du contrôle de la CDBF ; cette exemption s’expliquant par le contrôle de ces élus par l’assemblée[1]).

 

– L’acceptation de la professionnalisation des exécutifs locaux pourrait également permettre de renforcer leurs obligations de formation. Les présidents et vice-présidents, les maires et leurs adjoints ne peuvent plus être considérés comme des citoyens-amateurs au service de l’intérêt général. Leur prise de fonction suppose une formation leur permettant d’assumer leur responsabilité.

 

– Enfin, l’adoption d’un statut propre aux élus exerçant des fonctions exécutives permettrait de souligner leur rôle dans la collectivité et, peut-être, d’attirer davantage de citoyens vers la magistrature communale. Un statut confère, en effet, une place dans la société.

 

Mais ce statut devra rester celui d’un élu et non d’un fonctionnaire ou agent public par assimilation (comme le proposait le rapport Mauroy en 2000, qui suggérait d’octroyer aux titulaires de fonctions exécutives un statut d’« agent civique territorial »).

 

En outre, ce statut particulier pour les exécutifs ne doit pas conduire à dévaloriser a contrario celui des autres élus. Au contraire. Il doit souligner le rôle de ces derniers dans l’exercice du pouvoir délibérant et les inciter, par là-même, à contrôler les exécutifs ; ce qui permettrait de répondre à l’accusation d’irresponsabilité politique des maires et présidents[2].

 

On le voit l’adoption de deux statuts des élus locaux[3] aurait plus d’intérêt que celle d’un soi-disant « véritable statut de l’élu », qui reste aujourd’hui une formule politique incantatoire.

 

Mais le Parlement osera-t-il adopter de « “vrais” statuts des élus » ?

 

 

 

 

 

[1] Le régime de responsabilité financière institué par la législation qui précédait l’ordonnance du 23 mars 2022 prévoyait (comme cette même ord.) l’exclusion, sauf exceptions, des exécutifs locaux du périmètre des justiciables pouvant être traduits devant le juge financier. Se prononçant sur ce régime, le Conseil constitutionnel a justifié l’exemption de poursuites par la situation dans laquelle se trouvaient « les maires, les présidents de conseil départemental ou de conseil régional et les présidents de groupements de collectivités territoriales » qui agissaient « sous le contrôle de l’organe délibérant de la collectivité ou du groupement au sein duquel ils ont été élus ou sur délégation de cet organe » : déc. n° 2016-599 QPC du 2 déc. 2016, paragr. 7.

[2] Sur l’absence de responsabilité politique des maires, qui serait une « anomalie démocratique », v. O. Beaud, « L’affaire Perdriau, le maire et la démocratie locale », Blog de Jus Politicum, 1er oct. 2022. et la réaction de Me Eric Landot, « Le conseil municipal doit-il pouvoir révoquer « son » maire ? », Blog de Jus Politicum, 19 oct. 2022

[3] A. Haquet, « Statut de l’élu. Découpons le serpent de mer », AJDA 22 avr. 2013, tribune, n° 14, p. 761.

 

 

 

Crédit photo : Installation du nouveau conseil municipal d’Arâches-la-Frasse / 22 septembre 2023 / © Commune d’Arâches-la-Frasse / CC BY-NC-ND 2.0 Au centre, Madame le Maire Alexandra Fourgeaud