L’arrêt Miller de la Cour suprême du Royaume-Uni : une traduction des passages principaux

L’arrêt Miller de la Cour suprême du Royaume-Uni : une traduction des passages principaux

« Nous ne pouvons pas accepter qu’un changement majeur à l’organisation constitutionnelle du Royaume-Uni soit accompli par les seuls ministres ; il doit être effectué de la seule manière reconnue par la constitution du Royaume-Uni, à savoir la législation parlementaire ».

[note du traducteur: le jugement a été rendu par une majorité de 8 juges contre 3. L’opinion de la Cour a été rendue par Lord Neuberger, Lady Hale, Lord Mance, Lord Kerr, Lord Clarke, Lord Wilson, Lord Sumption, Lord Hodge ; Lord Reed, dans la minorité, a rédigé la principale opinion dissidente ; on s’est borné à traduire ici sommairement les principales formules de l’arrêt, qui compte au total 97 pages. Il ne s’agit pas d’une traduction scientifique, mais d’une aide à la lecture de cette décision majeure par le public français. Denis Baranger].

R. (on the application of Miller and another (…) v. Secretary of State for Exiting the European Union

Jugement rendu le 24 janvier 2017

OPINION DE LA MAJORITE

[Sur l’autorité compétente pour notifier le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne]

3. (…) Cet arrêt n’a rien à voir avec des questions telles que la sagesse de la décision de se retirer de l’Union européenne, les termes de ce retrait, le calendrier ou les arrangements pour y parvenir, ou les détails d’une future relation avec l’Union européenne. Ce sont là des problèmes politiques, qu’il appartient aux ministres et au Parlement de résoudre. Ce ne sont pas des problèmes qu’il revient aux juges de résoudre. Leur devoir est de trancher les problèmes de droit qui leur sont soumis par des individus et des entités exerçant leurs droits d’accès aux juridictions dans une société démocratique.

4. Parmi les points de droit les plus importants qu’il revient aux juges de trancher se trouvent des problèmes touchant à l’organisation constitutionnelle du Royaume-Uni. La présente instance soulève de telles questions (…) non parce qu’elles concernent la participation du Royaume-Uni à l’Union européenne [mais parce qu’elles concernent] (i) l’étendue du pouvoir des ministres d’opérer des changements dans le droit interne par l’exercice de leurs pouvoirs de la prérogative dans le domaine international, et (ii) la relation entre le gouvernement du Royaume-Uni et le Parlement d’un côté, et les administrations d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord d’autre part.

(…)

82. Par la loi de 1972 [European Communities Act 1972] le Parlement a accepté et donné effet à l’adhésion future du Royaume-Uni à l’Union européenne, et [ce texte a joué le rôle d’un] point de départ stable du point de vue du droit interne. La question consiste à savoir si ce point de départ interne, adopté par le Parlement, peut-être mis de côté (…) par une décision de l’exécutif britannique sans une autorisation parlementaire expresse [en ce sens]. Nous ne pouvons pas accepter qu’un changement majeur à l’organisation constitutionnelle du Royaume-Uni soit accompli par les seuls ministres ; il doit être effectué de la seule manière reconnue par la constitution du Royaume Uni, à savoir la législation parlementaire (ndt : nous soulignons). Cette conclusion nous semble se déduire de l’application ordinaire des concepts de base du droit constitutionnel.

(…)

86. (…) Les traités [constitutifs] de l’Union européenne ne concernent pas seulement les relations internationales du Royaume-Uni. Ils sont une source de droit (law) interne, et ils sont une source de droits individuels (rights) internes dont beaucoup sont inextricablement liés à du droit interne procédant d’autres sources. Par conséquent, la prérogative de faire et de défaire les traités, qui opère exclusivement sur le plan international, ne peut pas être exercée en relation avec les traités de l’Union européenne, du moins en l’absence d’autorisation interne sous la forme appropriée [à savoir] une loi parlementaire.

(…)

94. (…) Si les ministres procèdent à la notification [prévue à l’article 50 TUE] sans que le Parlement les y ait auparavant autorisés, les dés seront jetés avant que le Parlement ait pu être associé formellement [à la procédure de retrait] (…). La balle sortira du canon du pistolet avant que le Parlement ait pu donner l’autorisation requise pour appuyer sur la détente.

105. (…) Nul ne doute que, sur la base [ du TUE et du TFUE ] les ministres ont le pouvoir de notifier le retrait sur le fondement de l’article 50 (2) ; la question que nous avons à trancher consiste à savoir s’ils peuvent le faire sur la base des pouvoirs de la prérogative ou seulement avec l’autorisation du Parlement.

[ sur les effets du référendum ]

117-118. Le référendum est une chose relativement nouvelle dans la pratique constitutionnelle du Royaume-Uni (…) L’effet de chaque référendum doit dépendre des termes de la loi qui l’a autorisé. Qui plus est, la législation autorisant les référendums a en général prévu quelles en seraient les conséquences [à savoir si les effets seraient seulement facultatifs ou au contraire obligatoires, mais la loi de 2015] ne contient aucune disposition relative à la question des conséquences juridiques du résultat [du référendum sur la sortie de l’Union européenne].

121. [Dès lors] le changement juridique doit être opéré de la seule manière que permet la constitution britannique, à savoir la législation parlementaire.

124. Donc, le référendum de 2016 n’a pas changé le droit d’une manière qui autoriserait les ministres à faire se retirer le Royaume-Uni de l’Union européenne en l’absence d’une loi.

OPINION DISSIDENTE DE LORD REED

(…)

177. J’accepte sans réserves l’importance dans notre droit constitutionnel du principe de suprématie parlementaire dans le domaine de notre droit interne (…) toutefois, ce principe n’exige pas que le Parlement adopte une loi avant que le Royaume Uni puisse quitter l’Union européenne. La raison en tient au fait que l’effet donné par le Parlement au droit de l’Union européenne dans notre droit interne, par le moyen de la loi de 1972, est de manière inhérente conditionnée par l’application des traités de l’Union européenne au Royaume-Uni, et donc à l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne. La loi n’impose aucune exigence, et ne manifeste aucune intention, quand à l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne. Elle n’affecte donc pas l’exercice par la Couronne des pouvoirs de la prérogative en ce qui concerne l’adhésion du Royaume-Uni. (…) Il en résulte que les ministres sont fondés à émettre la notification sur le fondement de l’article 50, dans le cadre de leurs pouvoirs de la prérogative, sans avoir besoin de demander une autorisation procédant d’une loi du parlement supplémentaire ».