À propos de quelques problèmes juridiques entourant le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel

Par Elina Lemaire

<b> À propos de quelques problèmes juridiques entourant le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel </b> </br> </br> Par Elina Lemaire

Le Conseil constitutionnel, comme les autres pouvoirs publics constitutionnels (présidence de la République, assemblées parlementaires et Cour de justice de la République), détermine lui-même les crédits nécessaires à son fonctionnement*. Il s’agit là, selon ses propres termes, d’une règle inhérente au principe de l’« autonomie financière [de ces pouvoirs publics constitutionnels] qui garantit la séparation des pouvoirs[1] ».

 

Depuis l’entrée en vigueur de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, le 1er mars 2010, c’est-à-dire dans un contexte de très forte progression des contentieux du contrôle de constitutionnalité des normes[2] – qui implique, mécaniquement, une augmentation des charges de personnel[3]–, le Conseil constitutionnel a su maîtriser son budget, grâce notamment aux efforts déployés par le prédécesseur de M. Laurent Fabius, M. Jean-Louis Debré[4]. Ces efforts ont conduit, de 2009 à 2016, à une baisse continue de la dotation allouée au Conseil constitutionnel. Alors que les finances publiques sont gravement détériorées, cette politique de rigueur budgétaire doit naturellement être saluée. Nul doute que le contrôle parlementaire annuel du budget de l’institution, auquel les services du Conseil se plient de bonne grâce (n’hésitant pas, dans un souci de transparence, à communiquer des éléments précis aux parlementaires – à commencer par la présentation du budget par nature des dépenses[5]), y a aussi grandement contribué. Est-ce à dire que le Conseil constitutionnel se montre attaché à une éthique de la transparence ?

 

Il est inutile de dresser ici la liste des très nombreuses réformes qui, depuis la fin des années 1980, ont été entreprises dans le but de renforcer la transparence et la déontologie de la vie publique[6](mentionnons simplement l’encadrement du financement des partis politiques[7], la création, après l’onde de choc provoquée par l’affaire Cahuzac, d’une Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ou encore, plus récemment, la réforme des conditions matérielles de l’exercice du mandat parlementaire[8]). De nombreuses zones d’ombre demeurent, assurément. Mais, progressivement, une « culture juridique de la transparence[9]» s’est formée, qui est aujourd’hui prégnante et qui irrigue en profondeur le discours des pouvoirs publics. Or, de ce point de vue-là, il faut bien admettre l’existence d’une marge de progression dans les pratiques du Conseil constitutionnel. Deux exemples suffiront pour l’illustrer.

 

Le premier concerne le régime des archives du Conseil – antérieur à la réforme de 2008[10]. En 2001, le Conseil constitutionnel avait choisi[11]– incompétemment[12]– de déroger au droit commun de la communication des archives publiques, en prévoyant la libre communication de ses archives à l’expiration d’un délai de soixante ans (au lieu du délai de droit commun de trente ans).

 

Le second exemple concerne les obligations déclaratives pesant (ou plus exactement ne pesant pas…) sur les membres du Conseil constitutionnel. Dans le but de renforcer la transparence de la vie publique et l’éthique professionnelle, le législateur et le législateur organique ont récemment soumis les magistrats administratifs et judiciaires et les membres du Conseil d’État à certaines obligations déclaratives[13]. Un amendement à la loi organique no 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, adopté à l’initiative de certains députés, visait à soumettre les membres du Conseil constitutionnel à une double obligation déclarative (d’intérêts et de situation patrimoniale), assortie, en cas de manquement, à des sanctions pénales. Considérant que ces dispositions nouvelles ne présentaient « pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi organique déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale » au motif curieux qu’elles avaient été prises sur le fondement d’une disposition constitutionnelle (l’article 63) différente de celles qui fondaient le projet de loi organique (articles 13, 64 et 65 de la Constitution), le Conseil constitutionnel les a censurées par sa décision no 2016-732 DC du 28 juillet 2016 (§ 101). Comme l’observe Julie Benetti dans son commentaire fort critique, « la rigueur du contrôle opéré est inédite », et elle invite à la suspicion, d’autant plus que le Conseil renoue dans cette décision avec une solution isolée de 2011[14].

 

Dans l’une comme dans l’autre de ces deux affaires, il serait difficile de considérer que le Conseil constitutionnel s’est illustré comme un héraut de la transparence.

 

Sur la question des indemnités perçues par ses membres, qui nous intéressera au premier chef ici, on ne peut pas dire que le Conseil fasse preuve d’une prolixité inconsidérée. Le site Internet de l’institution n’en fait aucune mention ; il faut donc se reporter aux textes relatifs à l’institution, et notamment à l’article 6 de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, pour obtenir des informations. Le problème est que, depuis 2001, ce texte ne fonde plus de façon exclusive l’indemnité perçue par les membres, qui a alors été complétée par une décision (non publiée) d’un secrétaire d’État au budget. Indépendamment du problème juridique (de compétence) que cette situation soulève (voir infra), on admettra sans difficulté qu’en matière de transparence, il est aisé de faire mieux.

 

La même opacité a longtemps enveloppé le régime fiscal des indemnités des « Sages » de la rue de Montpensier. C’est justement ce régime, sur lequel notre attention a été attirée par un passage du manuel de contentieux constitutionnel du professeur Guillaume Drago (voir infra), qui est au cœur de cette étude.

 

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Par Elina Lemaire, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, CREDESPO, Institut Michel Villey

 

* Nos plus vifs remerciements s’adressent à M. Jean Maïa, Secrétaire général du Conseil consti- tutionnel, et au professeur Dominique Rousseau, pour les informations qu’ils nous ont commu- niquées.

[1] Décision no 2001-456 DC du 27 décembre 2001, Loi de finances pour 2002.

[2] Les statistiques établies par les services du Conseil révèlent que, de 1958 au 30 juin 2018, sur un total de 1407 décisions de contrôle de constitutionnalité rendues, 639 (soit près de la moitié) étaient des décisions QPC. Dans le détail : contrôle des lois ordinaires, organiques, des traités internationaux et des règlements des assemblées : 762 décisions DC. Contrôle des Lois du pays de Nouvelle-Calédonie : 6 décisions LP. QPC : 639 décisions. Ces bilans statistiques peuvent être consultés sur le site Internet du Conseil constitutionnel.

[3] Rapport (no 1255) fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019 et enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2018, annexe no 32, « Pouvoirs publics », p. 43.

[4] C’est ce qu’explique M. René Dosière dans un entretien accordé à Matthieu Caron et à Annabel Le Moal et publié à la Revue Française de Finances Publiques : R. Dosière, M. Caron et A. Le Moal, « René Dosière, un parlementaire au service de la transparence financière de la vie publique », RFFP, no 136, 2016, p. 263.

[5] Ibid., p. 42 sq.

[6] Voir, parmi de très nombreuses références, N. Droin et E. Forey (dir.), La transparence en politique, Paris, Institut Universitaire Varenne/LGDJ, 2013.

[7] Voir E. Forey, A. Granero et A. Meyer (dir.), Financement et moralisation de la vie politique, Paris, Institut Universitaire Varenne/LGDJ, 2018.

[8] Pour un bilan sur cette dernière question, voir J.-F. Kerléo, E. Lemaire et R. Rambaud (dir.), Transparence et déontologie parlementaires : bilan et perspectives, Paris, Institut Universitaire Varenne/LGDJ, 2019 (à paraître).

[9] Voir J.-F. Kerléo, La transparence en droit. Recherche sur la formation d’une culture juridique, Paris, Mare & Martin, 2016.

[10] Depuis 2008, la question de l’accès aux archives du Conseil constitutionnel est réglée par les dispositions combinées de la loi no 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives et de la loi organique no 2008-695 du 15 juillet 2008 relative aux archives du Conseil constitutionnel.

[11] Décision no 2001-92 ORGA du 27 juin 2001, Décision portant règlement intérieur sur les archives du Conseil constitutionnel. Voir P. Gonod, « Les archives du Conseil constitutionnel : remarques sur la décision du 27 juin 2001 », Recueil Dalloz, 2001, p. 2603.

[12] Précisons toutefois que le juge administratif, saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre cette décision de 2001, a décliné sa compétence. Voir les conclusions contraires du commissaire du gouvernement, M. Guillaume Goulard, sur l’affaire Brouant (CE, Assemblée, 25 octobre 2002, Brouant) : G. Goulard, RFDA, 2003, p. 1 ; la chronique de Francis Donnat et Didier Casas à propos du même arrêt : « La juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel établit un règlement intérieur fixant les modalités d’accès à l’ensemble de ses archives » (F. Donnat et D. Casas, AJDA, 2002, p. 1332). Sur cet arrêt, voir également les points de vue opposés de Louis Favoreu (L. Favoreu, RFDA, 2003, p. 8) et Pascale Gonod et Olivier Jouanjan (P. Gonod et O. Jouanjan, RFDA, 2003, p. 14).

[13] En application des dispositions de l’article 14 de la loi no 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, les magistrats administratifs et les membres du Conseil d’État sont ainsi soumis à une obligation de déclaration d’intérêts, et certains d’entre eux doivent également établir une déclaration de situation patrimoniale. Quant à la loi organique no 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, elle impose aux magistrats de l’ordre judiciaire d’établir une déclaration d’intérêts.

[14] La décision no 2011-637 DC du 28 juillet 2011, Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française. Voir J. Benetti, « Continuité jurisprudentielle ou (nouveau) revirement ? À propos de la censure de cavaliers organiques par la décision du Conseil constitutionnel », Constitutions, no 2016-3, p. 396-398. Prenant acte de cette censure, des députés du groupe socialiste, écologiste et républicain (et apparentés) de la XIVe législature ont déposé une proposition de loi organique relative aux obligations déontologiques applicables aux membres du Conseil constitutionnel (no 4274). Ce texte avait pour objet de soumettre les membres du Conseil à l’obligation d’établir une déclaration d’intérêts (conservée par le président du Conseil constitutionnel) et une déclaration de situation patrimoniale (transmise à la HATVP). Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale (le 1er février 2017), il a été transmis au Sénat mais n’a pas, à ce jour, fait l’objet d’une discussion.