La Nouvelle-Zélande au temps du Covid-19 : un Etat législativement et institutionnellement bien équipé

Par Géraldine Giraudeau

<b> La Nouvelle-Zélande au temps du Covid-19 : un Etat législativement et institutionnellement bien équipé </b> </br> </br> Par Géraldine Giraudeau

Touchée relativement tardivement par la pandémie du Covid-19, la Nouvelle-Zélande a pu écraser la courbe des cas actifs en quelques semaines, permettant d’entrevoir la fin du confinement à court terme. Le contexte géographique du « pays du long nuage blanc », en particulier son insularité et sa faible densité, a certainement aidé à ce scénario plutôt rassurant. Néanmoins, le « succès » de la démocratie parlementaire conduite d’un gant de velours par Jacinda Ardern tient surtout à des institutions bien préparées, et à un corpus légal solide, pour faire face à l’urgence sanitaire.

 

Relatively lately impacted by the Covid-19 pandemic, New Zealand was able to crush the curve of active cases in a matter of weeks, making it possible to foresee the end of lockdown in the short term. The geographical context of the “country of the long white cloud”, in particular its insularity and low density, certainly helped this rather reassuring scenario. However, the fact that the parliamentary democracy driven by a velvet glove by Jacinda Ardern is now acting as a « good student » regarding the world situation is above all due to well-prepared institutions, and to a solid legal corpus, to deal with the health emergency.

 

Par Géraldine Giraudeau, Professeur de droit public, chargée de cours à l’Université de Waikato

 

 

Le jeudi 19 mars 2020 à 23h59, la Nouvelle-Zélande a pour la première fois de son histoire fermé ses frontières à tout voyageur qui ne serait ni citoyen néo-zélandais, ni résident – une mesure à laquelle ne sont prévues que de très rares exceptions, et qui n’est assortie d’aucune date limite. Le « pays du long nuage blanc » (Aoteraoa en maori), déjà en marge du fait de sa situation géographique singulière, s’est retrouvé un peu sonné par cette annonce. Sa première ministre, Jacinda Ardern, l’y a pourtant habilement amené, comme à son habitude, dans un discours qui, n’empruntant rien au langage martial, semblait principalement animé par deux objectifs : celui d’expliquer, clairement, le sens de cette décision et celui de rassurer les familles internationales[i].

 

Le choix rationnel de tirer parti de l’insularité, auquel se rallient logiquement les gouvernements de l’Océanie, s’est accompagné de mesures de confinement et de distanciation sociale à la fois strictes et bien acceptées, avec un état d’urgence nationale décidé le 25 mars, dans l’espoir que ces concessions permettent un confinement moins long. Si la prudence recommande d’attendre encore un peu avant de tirer de véritables conclusions sanitaires, on peut déjà en reconnaître une manifeste efficacité. Le 15 avril 2020, la Nouvelle-Zélande compte 1386 cas de Covid 19, dont 9 décès, et une baisse constante des cas actifs (649) depuis plusieurs jours. A voir réduits ces cas actifs au néant, l’objectif demeurerait donc de laisser le virus à l’extérieur du pays, si tant est que cela soit possible, avec un système très contrôlé de quarantaine pour les citoyens et résidents susceptibles d’arriver. La Nouvelle-Zélande n’a pas « juste aplati la courbe », « elle l’a écrasée », titrait récemment plusieurs quotidiens internationaux[ii]. Il s’agira ici d’identifier quelques aspects essentiels, tant contextuels que juridiques, montrant que la démocratie néo-zélandaise était bien préparée.

 

 

1. La déclaration de l’urgence nationale et les mesures prises pour freiner la pandémie

La réponse néo-zélandaise au Covid-19 s’appuie principalement sur trois textes : le Public Health Act de 1956, le Civil Defence Emergency Management Act de 2002 (plus loin CDEM), et le Epidemic Preparedness Act de 2006[iii]. Ces trois actes législatifs ont été utilisés pour construire un système d’alerte à quatre niveaux, impliquant des obligations générales, ainsi qu’un suivi particulier pour les personnes revenant de l’étranger, avec quarantaine et appels téléphoniques du ministère de la santé.

 

Sur le fondement du premier texte, le CDEM, l’état d’urgence nationale a été déclaré le 25 mars 2020 par le ministre de la défense civile pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Il faut remonter à 1951 pour trouver des mesures d’une ampleur comparable, dans le contexte alors très différent d’un violent conflit social ayant agité le pays pendant plusieurs mois : the waterfront dispute[iv]. La 5ème section du CDEM habilite le Directeur de la protection civile (Director of Civil Defence Emergency) à prendre des mesures telles que la restriction des mouvements, l’interdiction d’activités, la clôture de routes, l’organisation de procédures exceptionnelles pour les défunts, ou encore la réquisition d’équipements.

 

L’état d’urgence n’est jamais valable plus de 7 jours, à l’issue desquels il doit être renouvelé, autant de fois que nécessaire[v].

 

Le second texte, Epidemic Preparedness Act 2006, est un exemple intéressant de dispositions législatives préparant la réaction de l’Etat à la situation d’épidémie. Le contenu en a été voté dans le triple objectif d’essayer de prévenir l’existence d’une épidémie en Nouvelle-Zélande, de répondre au risque épidémique, et de répondre aux conséquences de l’épidémie lorsque celle-ci est déjà déclarée (section 3), en octroyant des pouvoirs exceptionnels au premier ministre. Ces dispositions offrent une large marge d’action à l’exécutif – il s’agit probablement du texte néo-zélandais le plus exceptionnel en ce sens –, avec la possibilité de s’affranchir du cadre du droit commun, et même de modifier les règles de procédure judiciaire. Toutes les potentialités n’en ont pas encore été activées. La section 5 a justifié la communication d’une « notice épidémique » concomitante à la déclaration de l’état d’urgence de la part de Jacinda Ardern.

 

Enfin, le Public Health Act de 1956, clef de voûte de l’organisation sanitaire en Nouvelle-Zélande (il contient 140 sections), est interprété au regard de l’actualité et a été amendé de façon à inclure le Covid-19 dans la liste des maladies infectieuses devant obligatoirement être déclarées au ministère de la santé. Sa section 70, qui avait déjà été remaniée, permet au directeur général de la santé, en cas d’état d’urgence sanitaire, de prendre des mesures obligatoires telles que l’isolement, la quarantaine, ou la soumission aux tests médicaux. C’est donc une disposition législative relevant de cette même section qui prévoit les obligations pesant actuellement sur les personnes pour freiner l’épidémie. Le niveau 4 de l’alerte, déclenché après l’observation des premières transmissions in situ, a imposé un confinement à compter du soir du 25 mars, pour une durée d’un mois. Les modalités en sont un peu différentes qu’en France. Les établissements scolaires sont fermés, mais également tous les commerces et entreprises non essentiels. Ainsi, seuls les « travailleurs essentiels » de la santé, de l’alimentation et de la justice sont autorisés à se déplacer pour aller au travail. Les services de livraison sont eux-mêmes extrêmement limités. En revanche, les sorties sont possibles, à condition de respecter la distanciation sociale de 2m, et les plages restent ouvertes, bien que les activités nautiques y soient interdites, et à condition d’y accéder sans véhicule (réservé aux besoins essentiels). Ces mesures ont été globalement bien respectées. Elles ont toutefois nécessité quelques précisions dans une nouvelle notice sanitaire quelques jours après la première – la pratique du surf était par exemple restée un temps dans la zone grise[vi]. Notons que ces mesures s’appliquent au territoire de la Nouvelle-Zélande y compris les îles Chatam et Stewart. Des modalités particulières d’entrée sur le sol s’appliquent pour les ressortissants néo-zélandais des territoires avec un statut spécial, à savoir Tokelau, Niue, et les îles Cook (respectivement territoire dépendant de la Nouvelle-Zélande pour le premier, et Etats en libre association avec la Nouvelle-Zélande pour les deux autres).

 

 

2. La répartition des compétences et le maillage institutionnel

Bien que le droit néo-zélandais confie logiquement la réponse urgente à l’organe exécutif, il laisse une place à son parlement monocaméral (dont les 120 membres sont élus tous les 3 ans). La chambre des représentants doit être informée de la déclaration, des éventuels renouvellements et des modalités de l’état d’urgence. Elle exerce également son droit au débat[vii]. En l’espèce, les députés ont siégé le 25 mars, et la session parlementaire a été ajournée jusqu’au 28 avril en raison de la situation sanitaire. Pour assurer la continuité du contrôle pendant ce temps, et venir en appui au gouvernement, a été créé le jour de l’annonce de l’état d’urgence un comité de réponse épidémique, constitué de 11 membres, avec une représentation des différents groupes politiques, et la possibilité d’inviter des experts. Le comité, présidé par le chef de l’opposition, examine l’action du gouvernement, au travers notamment de questions écrites et orales aux ministres. Toutes les réunions tenues via internet sont enregistrées et disponibles sur la page qui leur est consacrée[viii]. Comme dans la plupart des monarchies du Commonwealth, la faculté de créer une commission royale d’enquête (ici, Inquiries Act 2013) sera très probablement activée par le Gouverneur général (représentant la couronne britannique) et impliquera la remise d’un rapport détaillé au Parlement.

 

A la différence de nombreux Etats, la question des libertés paraît assez absente du débat public pendant la période de confinement. L’acceptabilité des décisions prises s’explique en grande partie par la popularité du gouvernement en place, et particulièrement par la légitimité d’une première ministre ayant déjà dû réagir à plusieurs situations inédites et graves, qu’il s’agisse des attentats de Christchurch l’année dernière, ou plus récemment de l’éruption meurtrière du volcan de White Island (Bay of Plenty). Notons que son apparition presque quotidienne dans les médias se fait en salle de presse, avec toujours un temps pour les questions des journalistes. Les textes législatifs ci-dessus évoqués prévoient précisément les rôles respectivement confiés à la première ministre, au ministère de la défense civile, au ministère de la santé, ainsi qu’à l’agence nationale de gestion de l’urgence (National Emergency Management Agency/NEMA), un département autonome créé en septembre 2019 et doublement hébergé par le département du premier ministre et par le cabinet.

 

Les autorités locales, pour faire respecter le confinement, peuvent organiser la circulation et décider de la fermeture de certains lieux publics[ix]. Elles n’ont pas ajouté de restrictions supplémentaires à celles énoncées au niveau national.

 

Le respect des libertés publiques imposera une vigilance particulière : elles sont comme partout nombreuses à être limitées par les mesures en place, et aucun État n’est à l’abri de l’« effet cliquet ». Aussi, le contrôle des pouvoirs exceptionnels de l’exécutif reposera à la fois sur le Parlement et sur le juge néo-zélandais. Il n’a pour l’instant pas suscité de contentieux à notre connaissance, quand bien même certaines questions, à l’instar des conditions des détenus, aient pu être évoquées dans la presse[x]. Le débat semble aujourd’hui se concentrer majoritairement autour des impacts économiques de cette crise internationale inédite, avec notamment l’annonce de reports des mensualités de prêts, d’aides spéciales, et la mesure symbolique de la réduction de 20% du salaire des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires pendant 6 mois.

 

 

3. Le caractère déterminant du contexte océanien et de l’histoire de la Nouvelle-Zélande

Tout n’est pas qu’affaire de gouvernance, car il existe également un contexte particulier à prendre en compte pour comprendre la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la Nouvelle-Zélande face au Covid-19 et pourquoi le pays semble bien préparé. L’Océanie a été touchée relativement tard par la pandémie – même si cela est moins vrai pour l’Australie avec des premiers cas dès fin janvier. Réuni dans la « rûche » (Beehive, en raison de la forme du bâtiment accolé au Parlement, à Wellington), l’exécutif, aidé d’experts, a ainsi pu observer et tirer les conséquences de l’expérience d’autres Etats. A ces éléments temporels s’ajoutent des conditions sociogéographiques. La Nouvelle-Zélande est un pays à la taille modeste, comptant moins de 5 millions d’habitants pour une densité de seulement 18 d’entre eux par km2 – seule Auckland compte plus d’un million et demi d’habitants, Wellington, la capitale politique, en compte moins de 500 000[xi].

 

Si les institutions apparaissent bien armées face à la menace pandémique, c’est que les aspects de l’intervention étatique en cas de crise ont été modelés par divers désastres, dans des registres différents. Situé sur une zone de subduction, à l’endroit où la plaque Pacifique plonge sous la plaque australienne, l’ancien Dominion britannique a dû répondre à de nombreuses catastrophes naturelles sismiques et volcaniques, lesquelles ont contribué à identifier des pouvoirs exceptionnels susceptibles d’être concédés à l’exécutif, et justifier la création de fonds spéciaux et de mécanismes d’assurance. Tremblements de terre et éruptions ont ainsi, à chaque fois, contribué à renforcer l’action de l’Etat dans l’urgence et à organiser, juridiquement et institutionnellement, les réponses adéquates à de telles tragédies. 

 

Malgré son éloignement géographique du continent, la Nouvelle-Zélande a également été amenée dans le passé à se prémunir de diverses épidémies, parmi lesquelles celle de la variole au début du XXème siècle. Pour enrayer la menace de la peste – le pays ne comptera finalement que moins d’une dizaine de cas –, le Parlement de Wellington avait déjà prévu de confier des pouvoirs extraordinaires au gouverneur général, sans contrôle judiciaire, et avait créé le département de santé publique (Bubonic Plague Prevention Act 1900 et Public Health Act 1900). En parallèle, des dispositions et institutions, à l’instar du département de la défense civile, ont vu le jour au cours des deux guerres mondiales. Ces scenarii d’urgence – catastrophes naturelles, épidémies, guerre–, continueront de faire l’objet de textes distincts, jusqu’à ce que le droit les envisage globalement dans le CDEM[xii].

 

La prudence impose de ne pas tirer de conclusions finales sur la réponse de la Nouvelle-Zélande face à la pandémie de Covid-19, tant le chemin paraît encore long. Les premiers mois permettent à tout le moins d’observer comment cette monarchie parlementaire australe a pu tirer parti de son appareil législatif et institutionnel, et confirmer que son caractère démocratique était en bonne santé.

 

 

[i] Pour un extrait du discours du 19 mars 2020 : https://www.nzherald.co.nz/nz/news/article.cfm?c_id=1&objectid=12318284.

[ii] La plupart reprenaient le titre du Washington Post : « New Zealand isn’t just flattening the curve. It’s squashing it », 7 avril 2020.

[iii] Les textes législatifs peuvent tous être consultés sur le site http://www.legislation.govt.nz.

[iv] En 2011, un état d’urgence nationale a été déclaré en réponse au tremblement de terre de Canterbury, en application du CDEM, non pas en raison de l’ampleur de la menace, mais parce que la situation locale impliquait de mobiliser des ressources majeures, au-delà des compétences des autorités locales.

[v] Sections 70 et 71 du CDEM. Les différentes déclarations sont publiées dans la Gazette de Nouvelle-Zélande : https://gazette.govt.nz.

[vi] Voir le commentaire du professeur Andrew Geddis, 5 avril 2020 : https://thespinoff.co.nz/politics/05-04-2020/the-lockdown-has-a-new-legal-basis-but-does-it-makes-the-rules-any-clearer/.

[vii] Parliamentary Practice in New Zealand, Chapter 43, Emergency Powers.

[viii] https://www.parliament.nz/en/pb/sc/scl/epidemic-response/.

[ix] A l’instar du Tauranga City Council ayant décidé de fermer Mauo, un mont populaire dans la région de la Bay of Plenty, les chemins de randonnée ne permettant pas de respecter la distance des 2 m.

[x] https://www.rnz.co.nz/news/in-depth/413538/covid-19-prisoners-in-cells-up-to-23-hours-a-day-guards. Au moment de la rédaction de ce billet, certaines sources médiatiques à la fiabilité incertaine évoquent une demande déposée auprès de la High Court par deux demandeurs contre Jacinda Arden pour excès de pouvoir. Cette information ne peut pas être clairement vérifiée à ce stade. Au vu des éléments fournis, cette requête paraît difficilement recevable. https://www.stuff.co.nz/national/crime/121078372/coronavirus-two-claiming-lockdown-makes-them-illegally-detained-sue-jacinda-ardern.

[xi] https://worldpopulationreview.com/countries/new-zealand-population/.

[xii] Informations générales tirées du cours du professeur Alexander Gillespie, « Legal systems and Societies », University of Waikato.

 

 

Crédit photo: Géraldine Giraudeau