La vaccination obligatoire en Nouvelle-Calédonie est-elle conforme à la Constitution ?

Par Julien BIDOUX PÉREZ

<b> La vaccination obligatoire en Nouvelle-Calédonie est-elle conforme à la Constitution ? </b> </br> </br> Par Julien BIDOUX PÉREZ

Le présent billet s’interroge sur la conformité à la Constitution de l’instauration de la vaccination obligatoire contre la Covid-19 par la collectivité de Nouvelle-Calédonie. Il pourrait en effet être soutenu que cette mesure, se rattachant à la garantie des libertés publiques et de l’ordre public sanitaire, relèverait en réalité de la compétence de l’État.

 

New Caledonian authorities did not arguably have jurisdiction to enforce compulsory vaccination against Covid-19, as the Constitutional Council should rule this decision to closely tied to the guaranteeing of public freedom and public health order, and therefore exclusively a state competence.

 

Par Julien Bidoux Pérez, élève à l’École Normale Supérieure, diplômé d’un master de droit public à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne[1]

 

 

La Nouvelle-Calédonie prendrait-elle son indépendance vaccinale ? Constatant que seul un tiers de la population était vaccinée contre la Covid-19, le Congrès a en effet instauré, le 3 septembre dernier, une obligation vaccinale concernant l’ensemble des individus majeurs, à l’exception des personnes présentant une contre-indication médicale. Si cette délibération, motivée par un objectif évident de protection de la santé publique, a été adoptée à l’unanimité, sa conformité à la Constitution ne nous en paraît pas moins sujette à caution. En effet, pour déterminer quelle autorité – l’État ou la collectivité de Nouvelle-Calédonie – dispose, au regard de la Constitution, de la compétence nécessaire pour prendre cette mesure, il convient de s’interroger sur la nature même de la vaccination obligatoire. Nous souhaitons ainsi démontrer qu’il est légitime d’y voir non pas une simple mesure de santé publique pouvant être prise par les autorités locales néo-calédoniennes, mais bien une obligation relevant de la compétence de l’État, qu’on la rattache au domaine des libertés publiques ou à celui de l’ordre public sanitaire.

 

 

I. Deux champs de compétences, deux autorités, mais une seule mesure

Le nœud du problème réside dans l’épineuse question de la répartition des compétences entre l’État et les autorités néo-calédoniennes.

 

Le Conseil constitutionnel y a déjà été confronté lors d’une récente QPC posée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé par plusieurs élus indépendantistes contre l’application de l’état d’urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie[2]. Ceux-ci soutenaient ainsi que la mise en œuvre de ce régime d’exception remettait en cause la compétence exclusive des autorités néo-calédoniennes en matière de « protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières », aux termes de la loi organique du 19 mars 1999.

 

S’il est vrai que ces mesures semblent aisément rattachables à l’hygiène publique et à la santé, et donc relever de la compétence de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil rappelle que l’État demeure compétent en matière de « garanties des libertés publiques », mettant ainsi en exergue un conflit en apparence insoluble. On conçoit en effet très bien comment ces deux domaines matériels de compétences, exercés chacun de façon exclusive par une autorité différente, sont susceptibles de se chevaucher. Il est ainsi évident que des mesures telles que le confinement, le couvre-feu ou la fermeture d’établissements recevant du public, constituent autant de mesures attentatoires aux droits et libertés garantis par la Constitution, mises en œuvre pour lutter contre la propagation du virus et donc dans un objectif de santé publique. C’est précisément en raison de leur conformité à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé que le principe de telles mesures restrictives a pu être admis par le Conseil constitutionnel tout au long de la crise pandémique.

 

Dans la décision précitée, le Conseil tranche sans ambages le nœud gordien en faveur de la compétence de l’État, en considérant que, « si elles poursuivent un objectif de protection de la santé publique, ces mesures exceptionnelles, temporaires et limitées à la mesure strictement nécessaire pour répondre à une catastrophe sanitaire et à ses conséquences, se rattachent à la garantie des libertés publiques et ne relèvent donc pas de la compétence de la Nouvelle-Calédonie » (paragraphe n° 17). Il en conclut dès lors que « cette extension est donc sans incidence sur les compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé » et rejette les griefs des requérants.

 

 

II. La vaccination obligatoire, une mesure de santé ou de libertés publiques ?

L’enjeu spécifique de la vaccination obligatoire est que cette obligation se situe véritablement à la croisée des chemins : il s’agit indéniablement d’une mesure de santé publique, qui vise cependant à prévenir l’extension d’une épidémie bouleversant la vie de la Nation, dans le but de protéger la santé individuelle et collective et de maintenir l’ordre public sanitaire. Dès lors, à quel champ de compétences rattacher cette mesure, et, a fortiori, à quelle autorité attribuer l’exercice exclusif de cette compétence ? Il nous semble que, dans l’hypothèse où il serait saisi d’une QPC sur ce dilemme éminemment sensible, le Conseil constitutionnel devrait conclure à la compétence de l’État, soit en rattachant la vaccination à une mesure relative aux libertés publiques, soit en considérant qu’elle contribue au maintien de l’ordre public sanitaire. Nous examinerons ainsi successivement ces deux hypothèses, en précisant d’emblée que la seconde nous semble conceptuellement plus robuste.

 

Notre double approche résulte de l’ambiguïté de la formulation du onzième alinéa de la Constitution de 1946 : en effet, si « la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », les juridictions suprêmes hésitent toujours à préciser s’il s’agit véritablement d’un droit subjectif individuel ou davantage d’une sorte de droit de la collectivité opposable aux individus. Le Conseil a ainsi déjà énoncé clairement le principe selon lequel « il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective[3] », sans pour autant en expliciter les contours ni l’articulation.

 

En dépit du caractère impressionniste de ce droit à la protection de la santé, la vaccination peut en effet être rattachée au domaine des libertés publiques en tant qu’elle assure, pour celui qui la reçoit, le rétablissement de ses libertés mises à mal par le risque de contamination par autrui. Dès lors, sous réserve de son caractère proportionné, une obligation générale de vaccination constituerait, comme l’ont défendu certains commentateurs[4], un arbitrage effectué en faveur du rétablissement des libertés publiques des vaccinés, et relèverait donc de la compétence de l’État en quittant le strict giron des mesures de santé publique. En somme, la vaccination obligatoire constituerait une mesure de « garantie des libertés publiques » puisqu’elle favoriserait un retour à la vie normale, et, pour ceux qui ne seraient plus menacés par le refus d’autrui de se vacciner, à la pleine et entière jouissance de leurs libertés.

 

Une hypothèse plus solide se présente cependant à nos yeux : elle consiste à rattacher la vaccination aux mesures de protection de l’ordre public sanitaire. En effet, nul ne conteste que la salubrité publique, qui comprend elle-même la santé et l’hygiène publiques, relève des composantes traditionnelles et incontournables de l’ordre public. Dès lors, pour garantir le maintien de la salubrité publique, les pouvoirs publics ont la possibilité de prendre des mesures coercitives, telles qu’une obligation de vaccination, impliquant donc une restriction des libertés publiques (en l’espèce, celle de ne pas se faire vacciner). Au niveau constitutionnel, cet ordre public sanitaire existe en réalité déjà : ce n’est rien d’autre que l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, norme de référence-phare de la jurisprudence constitutionnelle de l’état d’urgence sanitaire, qui comprend une dimension objective permettant de l’opposer, et surtout de le concilier avec les droits et libertés garantis par la Constitution.

 

Or, comme le rappelle la décision M. Pierre-Chanel T. précitée, l’État a la possibilité de prendre les mesures qui, « parce qu’elles concernent l’ordre public ou les garanties des libertés publiques, relèvent de [sa] compétence[5] ». Le Conseil constitutionnel pourrait par conséquent adopter le raisonnement suivant : les pouvoirs publics ont la possibilité de prendre diverses mesures en vue de poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, autrement dit afin de préserver l’ordre public sanitaire. Cependant, toute mesure en lien avec la protection de la santé n’est pas nécessairement une mesure d’ordre public. Pour les distinguer, il faut déterminer si les mesures prises ont une incidence sur les libertés publiques : le caractère coercitif ou non de ces mesures en constitue un bon critérium, puisque l’individu ne peut légalement s’y soustraire. Dès lors, le sous-ensemble des mesures prises au titre de la protection de la santé et restrictives de droits et libertés se rattacheraient à « l’ordre public et à la garantie des libertés publiques », et il devrait par conséquent relever de la compétence de l’État et non des autorités néo-calédoniennes.

 

 

III. La vaccination obligatoire n’est en revanche par elle-même pas contraire à la Constitution

En somme, il nous semble donc que la délibération du Conseil de Nouvelle-Calédonie est susceptible d’être déclarée contraire à la Constitution en raison de l’incompétence de l’autorité ayant pris cette décision relevant du domaine des libertés publiques en lieu et place de l’État. Cependant, cette inconstitutionnalité pourrait aisément être réparée si les pouvoirs publics français adoptaient à leur tour cette mesure, y compris pour la seule Nouvelle-Calédonie.

 

En effet, une fois la question de la compétence tranchée, il faudrait encore déterminer si l’obligation vaccinale pourrait franchir avec succès le triple test de proportionnalité opéré par le Conseil. La réponse ne fait à notre sens aucun doute, et nous écartons d’emblée l’hypothèse d’une censure au motif d’une violation des droits et libertés garantis par la Constitution. En effet, la décision Époux L. précitée admet le principe de la vaccination obligatoire, choix sur lequel le juge n’exerce qu’un contrôle restreint, puisqu’il se refuse à « remettre en cause, au regard de l’état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur [et à] rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé », au titre du pouvoir général d’appréciation et de décision spécifique du Parlement. Le Conseil constitutionnel pourrait de surcroît s’inspirer du raisonnement opéré par le Conseil d’État, selon lequel la vaccination obligatoire ne porte qu’« une atteinte limitée aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain[6] » et est donc proportionnée au principe constitutionnel de protection de la santé.

 

Quelle que soit la solution retenue, le Conseil constitutionnel devra, s’il est amené à l’avenir à examiner une telle QPC, soupeser les risques politiques liés aux tensions résultant d’une part de la répartition des compétences entre l’État et la collectivité de Nouvelle-Calédonie et d’autre part la tenue du prochain référendum sur l’indépendance le 12 décembre prochain : une décision défavorable aux compétences transférées aux autorités locales serait à n’en pas douter du pain bénit pour les indépendantistes. Si le juriste ne peut qu’appeler de ses vœux une future décision Vaccination obligatoire en Nouvelle-Calédonie, il n’est pas certain que le juge soit aussi empressé de trancher cette épineuse question.

 

 

 

[1] L’auteur remercie vivement Sacha SYDORYK, docteur en droit public, enseignant-chercheur à l’Université de Corse Pascal-Paoli, pour ses conseils et ses remarques.

[2] Conseil constitutionnel, décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020 – Pierre-Chanel T. et autres ; Mathias CHAUCHAT, « L’état d’urgence sanitaire s’applique à la Nouvelle-Calédonie », Blog Jus Politicum, 12 février 2021.

[3] Conseil constitutionnel, décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015 – Époux L. C’est nous qui soulignons.

[4] Nicolas BOUZOU et Rafaël AMSELEM, « Le pass sanitaire ou la vaccination obligatoire sont des politiques libérales », L’Opinion, 11 juillet 2021

[5] C’est nous qui soulignons

[6] Conseil d’État, 26 novembre 2001, n° 222741 ; Stéphanie RENARD, « Covid-19 et libertés : du collectif vers l’intime », RDLF 2020 chron. n° 10.

 

 

Crédit photo: Mat Napo