L’audience à la Cour suprême relative au projet de loi du Gouvernement écossais organisant un nouveau référendum d’indépendance : quelques éléments d’analyse

Par Aurélien Antoine

<b>L’audience à la Cour suprême relative au projet de loi du Gouvernement écossais organisant un nouveau référendum d’indépendance : quelques éléments d’analyse</b></br></br> Par Aurélien Antoine

Le 28 juin, un projet de loi de référendum sur l’indépendance de l’Écosse a été publié par le gouvernement écossais. Bien que non encore déposé sur le bureau du Parlement de Holyrood, la First minister, Nicola Sturgeon, a estimé possible de saisir dès à présent la Cour suprême afin de savoir si l’organisation d’un référendum purement consultatif pouvait être décidée unilatéralement par le Parlement écossais. La saisine de la Cour suprême à ce stade précoce est discutable, tandis que les nouveaux arguments apportés par le conseil juridique du gouvernement écossais pour soutenir la compétence des autorités dévolues sur une question qui touche à l’union britannique sont toujours aussi contestables.

 

The 28th of June, the Scottish government released a Scottish Independence Referendum Bill. This text is not yet introduced before the Scottish Parliament, but the First minister, Nicola Sturgeon defends the jurisdiction of the UK Supreme Court at this stage to determine the legality of a bill which could be related to a reserved matter (the Union between England and Scotland) of the UK Parliament by virtu of the Scotland Act 1998. The jurisdiction of the UK Supreme Court is questionable, while the new arguments provided by the Lord Advocate to maintain that the Bill is not outside the competence of the Scottish Parliament are also disputable.

 

Par Aurélien Antoine, Professeur de droit public à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne

 

 

Au printemps 2021, le Scottish National Party (SNP) emportait une nouvelle victoire électorale marquante en Écosse. Échouant à seulement deux sièges de la majorité absolue au Parlement de Holyrood, le SNP a néanmoins pu compter sur le parti écologiste en vue de concrétiser sa promesse de campagne de sortir de l’union britannique. Avec son assise parlementaire solide obtenue grâce à un accord de gouvernement avec les Verts[1] favorable à la tenue d’un second référendum d’indépendance (« Indyref2 »), la First minister, Nicola Sturgeon, a annoncé rapidement le lancement imminent du processus de consultation des citoyens écossais. À cette époque, nous avions déjà insisté sur les obstacles juridiques qui se dressaient devant les ambitions de la cheffe du gouvernement écossais[2]. Depuis, elle a affiné sa stratégie qui prévoit désormais trois étapes qui doivent précéder le recours ultime au peuple écossais.

 

L’étape initiale fut la publication le 14 juin 2022 du premier volet d’une série de documents officiels intitulée Building a New Scotland visant à convaincre de la viabilité d’une Écosse séparée du Royaume-Uni. Le jour suivant la diffusion de ce rapport, le ministre écossais chargé des questions constitutionnelles annonçait que le référendum allait être organisé en octobre 2023.

 

S’en est suivi, le 28 juin, le dévoilement du projet de référendum d’indépendance (Scottish Independence Referendum Bill ou SIRB). Le texte retient dans sa section 2 (2) la question suivante : « L’Écosse devrait-elle devenir un État indépendant ? ». Le scrutin a été fixé en principe au 19 octobre 2023 (section 2 [4]) conformément aux souhaits de la First minister exprimés le 28 juin devant le Parlement. En vertu du Referendums (Scotland) Act de 2020 auquel le projet se réfère à la section 3, l’âge requis pour participer au vote est établi à 16 ans révolus, comme en 2014 lors du premier référendum. À aucun moment, le SIRB ne précise si le résultat du référendum liera ou non les autorités publiques écossaises, mais Nicola Sturgeon a rapidement rappelé, dans le cadre d’une stratégie désormais bien connue, qu’il serait seulement indicatif.

 

Une fois ce projet publié, la First minister avait bien conscience des défis juridiques que son action soulevait. Plusieurs stratégies s’offraient à elle, mais elle a finalement choisi de ne pas attendre le dépôt du projet devant le Parlement écossais et de demander immédiatement au conseil juridique du gouvernement écossais, la Lord Advocate Dorothy Bain, de saisir la Cour suprême en vertu de la section 34 de l’annexe 6 au SA. Cette procédure est très rarement utilisée[3]. L’audience devant la Cour suprême s’est tenue les 11 et 12 octobre[4].

 

Classiquement, les recours sur les questions de compétences liées à la dévolution opposent les gouvernements écossais (via le Lord Advocate) et britannique (représenté par l’Advocate General for Scotland). La Cour a toutefois accepté de prendre en considération les observations du SNP (en tant qu’intervenant) en sus de celle de la Lord Advocate qui, malgré son statut de membre du cabinet, doit conserver une forme d’indépendance. Au début du mois d’août, le gouvernement britannique a, quant à lui, soumis ses arguments par la voix de l’Advocate General pour l’Écosse, représenté à l’audience par l’avocat du Gouvernement britannique, James Eadie

 

Notons que ce choix de la Cour suprême constituait un deuxième camouflet pour le gouvernement britannique qui avait par ailleurs demandé en juillet que les Justices refusent d’examiner le recours en se déclarant incompétents. La juridiction suprême n’a pas fait droit à cette demande aux effets expéditifs et a organisé les audiences sur deux journées devant cinq juges[5]. Cette composition n’est pas anodine. Elle signifie que les questions soumises à la Cour sont importantes, mais pas d’une difficulté majeure, contrairement à celles qui furent en cause dans les contentieux Miller 1 et 2[6], ou à l’occasion de contentieux réunissant sept juges. Le représentant des intérêts du gouvernement de Sa Majesté ont permis de revenir sur le sujet de la compétence de la Cour pour examiner la légalité d’un projet de loi non déposé sur le bureau du Parlement, avant que le fond du texte ne soit considéré comme un éventuel excès de pouvoir des autorités dévolues écossaises

 

 

1. La question inédite de la compétence de la Cour suprême au stade de la seule publication du projet de loi de référendum

C’est le point de droit sur lequel nous nous attarderons le plus dans la mesure où la saisine de la Cour suprême intervient avant que le projet de loi soit déposé devant le Parlement écossais – ce qui est une première. De surcroît, la doctrine ne s’est guère appesantie sur la compétence de la Cour suprême[7] qui est pourtant le sujet sur lequel se sont concentrés, lors de l’audience, les conseils juridiques des gouvernements écossais et britannique.

 

Enfin, l’invocation inédite, comme on l’a dit plus haut, de la section 34 de l’annexe 6 au SA en vue de saisir la Cour est une stratégie intéressante dont on dit qu’elle émanerait de Nicola Sturgeon elle-même[8]. Elle vise à mettre rapidement de côté le débat juridique, quelle qu’en soit l’issue, tout en marquant paradoxalement le respect des voies de droit[9] dans un processus de sécession que la First minister ne souhaite pas voir assimilé à celui auquel les indépendantistes catalans ont recouru en Espagne.

 

Le fait que la Cour a accepté au stade du permission stage qu’une audience ait pu se tenir les 11 et 12 octobre derniers ne signifie pas automatiquement qu’elle ira au-delà de l’examen de sa compétence dans son jugement final. Elle pourrait, en effet, considérer que le recours est prématuré en suivant la démonstration développée par le gouvernement britannique. En étudiant un texte qui n’a pas été adopté par le Parlement écossais, la Cour viendrait à débattre d’une situation juridique hypothétique en raison d’un acte qui n’a pas de portée juridique précise.

 

La première question à laquelle devra répondre la Cour sera donc celle de savoir si le recours de la Lord Advocate relève, à ce stade, de sa compétence, et si, dans tous les cas, elle devrait la décliner en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

 

La section 34 de l’Annexe 6 au SA est de prime abord assez floue concernant les motifs pouvant justifier la saisine de la Cour suprême, comme il ressort de la lettre du texte :  « The Lord Advocate, the Attorney General, the Advocate General or the Advocate General for Northern Ireland may refer to the Supreme Court any devolution issue which is not the subject of proceedings ». L’expression « any devolution issue » (« toute question relative à la dévolution ») est définie à la section 1 de l’annexe qui vise, pour résumer, des problèmes de compétences qui résulteraient d’une loi écossaise déjà applicable (section 1 (1) (a)) ou de l’exercice des fonctions exécutives par les ministres écossais (section 1 (1), (b), (c), (f)).

 

Selon la représentante du gouvernement écossais, les sections 34 et 1 de l’annexe 6 du SA n’excluent pas un recours préalable au processus parlementaire. Elle a souligné au début de sa prise de parole que, d’abord, c’était une demande inédite du gouvernement écossais, ensuite, que la question était d’intérêt public et, enfin, que le contexte rendait nécessaire une réponse à un problème de droit nouveau. Dans son exposé devant la Cour, Dorothy Bain a soutenu que le référendum était une promesse électorale qui était un élément déterminant de la vie démocratique des citoyens écossais. Sur ce point, la Lord Advocate s’est attardée sur la jurisprudence Keatings par laquelle la Court of Session d’Écosse avait estimé qu’un recours par un particulier à l’encontre d’un éventuel processus d’indépendance lancé unilatéralement par les autorités écossaises était une question abstraite, purement académique et prématurée[10]. La Lord Advocate a sans doute pensé que le fait qu’un projet de loi a été rédigé et que les élections locales ont démontré un soutien à un nouveau référendum rendait le sujet bien moins académique et que, dès lors, le sujet était d’une importance pratique considérable (idée retenue par la Court of Session elle-même dans des contentieux relatifs au Brexit[11]). Loin d’être abstrait, le Bill est une question de droit concrète pour le gouvernement et l’ensemble de la population de l’Écosse. Parmi les arguments de la Lord Advocate, l’idée selon laquelle l’avenir du processus dépendrait d’une réponse claire de la Cour sur la légalité du projet revient à plusieurs reprises dans la discussion. En particulier, l’introduction du texte au Parlement de Holyrood dépendrait de la solution que les Justices apporteraient au problème qui leur est soumis. Cette démonstration paraît toutefois peu compatible avec les déclarations publiques et répétées de Nicola Sturgeon exprimant sa conviction selon laquelle le droit ne saurait surpasser une volonté politique forte qui pourrait s’exprimer lors des prochaines élections générales au Royaume-Uni.

 

Examinant l’autorité des référendums au Royaume-Uni (dont la nature politique pourrait exclure la compétence de la Cour), Dorothy Bain a aussi suggéré qu’un auteur comme Dicey a reconnu l’autorité supérieure du référendum sur la loi d’un point de vue constitutionnel. Mais elle omet de rappeler la complexité de l’analyse du professeur d’Oxford dans laquelle il considère que les règles qu’il qualifie de constitutionnelles sont celles qui relèvent des conventions de la Constitution et non du droit dit « strict » qui est sanctionné par un juge. Pour Dicey, le référendum doit être concilié avec la souveraineté du Parlement de Westminster[12]. Si la Cour suprême du Canada a repris à son compte la distinction entre légalité (juridique) et constitutionnalité (politique) pour remettre en cause la violation d’une convention de la Constitution par les autorités fédérales canadiennes[13], il paraît peu probable que la Cour suprême britannique adopte le même point de vue. Outre sa réticence à reconnaître aux juridictions un pouvoir de s’immiscer dans des rapports politiques, la Cour présidée par Lord Reed fait preuve de self-restraint qui ne laisse pas augurer d’une conception extensive de la portée des conventions de la Constitution (et ce, malgré l’intérêt que la Cour leur accorde comme ce fut rappelé solennellement dans Miller 1[14]). D’ailleurs, la Lord Advocate, en se référant au cas canadien, admet implicitement que le droit positif tel qu’il découle du SA empêche de conclure à une quelconque illégalité de la part du gouvernement britannique qui refuserait de tenir compte des résultats éventuels d’un référendum ou d’engager des négociations avec son homologue écossais.

 

Un autre argument de la Lord Advocate retient l’attention. Selon elle, son rôle est de conseiller le gouvernement sur la légalité des textes qu’il veut soumettre au Parlement. L’interprétation extensive qu’autorise la lecture combinée des sections 1 et 34 de l’annexe 6 du SA laisserait entendre que les Law officers de la Couronne attachés au gouvernement écossais doivent pouvoir saisir la Cour suprême pour obtenir une réponse précise à une question sur laquelle ils ne parviennent pas à se prononcer. En somme, c’est bien la logique de la question préjudicielle sur un point de droit qui s’impose dans l’esprit de Dorothy Bain, contrairement à la procédure de la section 33 (1) qui relèverait plus d’une forme de contrôle a priori précédant le royal assent[15].

 

Pour sa part, l’Advocate General a maintenu un argumentaire classique afin de défendre l’incompétence de la Cour suprême (notamment sur le caractère prématuré de la demande et son abstraction sur lesquels nous nous étions penchés dans notre billet de 2021). Il est possible de résumer le point de vue exprimé par le gouvernement britannique autour de l’idée générale que la voie de droit utilisée par la Lord Advocate vient modifier la rationalité et la structure du SA de 1998. Pour convaincre les juges, l’Advocate General explique que, s’ils devaient se prononcer en amont de la procédure parlementaire, la section 33 (1) qui prévoit la saisine de la Cour après le processus d’adoption d’un texte par le Parlement serait affectée. L’option de l’annexe 6 pourrait limiter l’intérêt pratique de la section 33 (1) dans la mesure où la légalité d’un projet de loi du gouvernement écossais serait déjà connue avant son dépôt et sa discussion. Le recours au terme de la phase législative ne serait donc envisageable que si le gouvernement ou le parlement amendaient le projet initial.

 

Afin de compléter sa démonstration, l’Advocate general adopte une lecture exégétique du SA en se référant aux documents explicatifs du texte qui laissent entendre, selon lui, que les différentes modalités de saisine de la Cour suprême doivent être comprises comme étant exclusives les unes des autres et envisageables à des moments bien précis. Une note récente du Centre de documentation de la Chambre des Communes semble aller dans ce sens. Lorsqu’elle évoque les moyens à la disposition des requérants privilégiés, elle distingue bien le contexte de la saisine en vertu de la section 33 (1) et celle qui découlerait de l’annexe 6[16]. Abordant le recours de la Lord Advocate un peu plus loin, la note informative ne donne aucune appréciation sur la pertinence de cette voie de droit dont il appartiendra finalement à la Cour suprême de juger. En somme, la loi est claire : une difficulté juridique liée à la répartition des compétences entre le Parlement de Westminster et le Parlement de Holyrood peut être soulevée quand le projet de loi est dans sa forme achevée, une fois que les étapes du processus parlementaire se sont déroulées (section 32A et 33 (1), voire la section 34 de l’annexe 6) ; puis, si la loi a été sanctionnée par le royal assent, à tout moment à l’occasion d’un procès ou dans l’exercice de leurs prérogatives par les ministres (annexe 6).

 

Nous pouvons ajouter que la généralité de l’interprétation des sections 34 et 1 de l’annexe 6 que retient la Lord Advocate ne saurait justifier l’intervention de la Cour en vertu de l’application du principe selon lequel l’existence de régimes spéciaux de saisine de la Cour (ici les sections 32 A et 33) s’impose aux dispositions générales (section 34 précitée telle qu’elle est comprise par le gouvernement écossais).

 

Malgré notre préférence pour la démonstration de l’Advocate General, il n’est pas simple de prédire la réponse que donnera la Cour. Bien qu’ils soient adeptes du self-restraint (v. supra), les Justices pourraient, en acceptant d’étudier le recours au fond, asseoir leur rôle relatif à des questions qui mettent en cause l’avenir du royaume. Surtout, l’examen au fond permettrait d’apporter des précisions bien utiles sur l’étendue de la compétence du Parlement écossais. Cependant, il faut avoir en tête que si ce recours n’avait pas eu lieu à ce stade, la Cour aurait de toute façon été saisie sur le fondement de la section 33 (1) et se serait prononcée sur cette compétence législative.

 

 

2. Le débat renouvelé relatif à la compétence du Parlement écossais

Cet aspect du recours a été largement abordé dans notre précédent article pour le JP Blog[17]. Les arguments du gouvernement écossais ont néanmoins été affinés sur quelques points, en particulier sur la question de dévolution liée à l’identification d’une matière réservée qui ne peut faire l’objet d’une législation que par le Parlement de Westminster (ces domaines sont listés à la section 29A du SA).

 

La Lord Advocate a principalement insisté sur le rapport de connexité indirect entre le projet de loi de référendum et les matières réservées. S’appuyant sur plusieurs jurisprudences classiques nées de contextes juridiques distincts du cas d’espèce[18], Dorothy Bain a soutenu que le lien entre le référendum et l’union du royaume (qui relève, en vertu de la section 29 (3) de la compétence exclusive du Parlement britannique) n’est pas assez fort, ce qui justifierait que des autorités dévolues puissent organiser un référendum consultatif sur l’indépendance. Le conseil juridique du gouvernement écossais prétend que le référendum ne viserait qu’à demander l’avis indicatif de la population, position défendue par Nicola Sturgeon dès 2021 et que nous avions critiquée. Le Lord Advocate précise néanmoins le point de vue de l’Exécutif dans son exposé devant la Cour. Par définition, solliciter simplement l’avis des citoyens écossais n’a aucune conséquence sur l’union dont la remise en cause n’interviendrait éventuellement que dans un second temps sous une double condition : primo, les électeurs ont émis un avis positif en vue d’une possible indépendance ; secundo, les gouvernements britannique et écossais doivent se mettre d’accord sur les suites politiques à donner à ce référendum. Par un raisonnement a contrario, la Lord Advocate a aussi relevé que l’organisation d’une telle consultation à la portée indicative ne saurait relever du Parlement de Westminster, car seul le peuple écossais est concerné, et non toute l’union. Ici encore, l’argumentaire vise à convaincre du rapport ténu entre l’union et les conséquences du référendum qui seraient non seulement hypothétiques, mais aussi limitées à une seule partie du royaume.

 

Comme pour les autres moyens développés par l’Advocate General, nous continuons à ne pas être persuadés de la compétence du Parlement écossais. Le raisonnement suivi procède, malgré sa subtilité, d’une conception tout à fait contestable de la matière réservée de l’union étatique. Dès lors que le risque d’un démantèlement du Royaume-Uni existe, même s’il est hypothétique, l’intervention des autorités centrales nous paraît indispensable. Il y a une espèce d’hypocrisie de la part du gouvernement écossais et de son conseil juridique sur la véritable nature du projet qui est bien de remettre en cause les actes d’union de 1706-1707 que la jurisprudence range parmi les lois les plus fondamentales du royaume[19]. Cette mauvaise foi est saillante lorsque la Lord Advocate estime que la procédure du référendum indicatif en tant que telle n’est pas réservée au Parlement de Westminster et que sa finalité n’est pas l’union, mais plutôt la consultation pour avis du peuple écossais.

 

C’est bien sur ce point que la stratégie de Nicola Sturgeon est pétrie d’ambiguïtés dans la façon dont elle manie la distinction entre le droit et le politique. À tout bien considérer, la First minister ne fait de l’éventualité de l’indépendance qu’un processus politique qui ne saurait être finalement empêché par le droit – et alors même qu’elle a sollicité l’avis de la Cour suprême dont la compétence précoce serait elle-même largement justifiée par l’intérêt public lié à la question (notion ô combien politique). Nicola Sturgeon a, quelle que soit l’issue de la saisine de la Cour, indiqué que, si le référendum était impossible à organiser dans le cadre de la loi de 1998, elle interprétera les prochaines élections générales comme une consultation du peuple écossais sur l’indépendance. Cet argument, que nous avons déjà contesté dans notre article de mai 2021 en discutant de la théorie du mandat, est cette fois renouvelé par la First minister, non plus par rapport au scrutin local, mais en se plaçant à l’échelon national. Une fois encore, elle situe la décision politique en surplomb de la contrainte juridique.

 

Dans l’autre hypothèse d’un jugement favorable de la Cour à la compétence du Parlement écossais pour légiférer, le droit interne finirait aussi par s’éclipser rapidement. En effet, le référendum étant purement consultatif, il reviendrait aux autorités écossaises et britanniques de s’entendre sur les suites à lui donner. La portée politique contraignante d’un tel référendum pourrait difficilement être contournée par l’Exécutif britannique. C’est alors que le débat pourrait basculer dans le droit de l’autodétermination qui est évoquée par la Lord Advocate, mais qui n’est pas l’objet du recours ainsi qu’elle l’admet, d’ailleurs. Le refus du gouvernement britannique de tirer toutes les conséquences d’une réponse favorable à l’indépendance d’un référendum autorisé par la Cour pourrait être perçu comme attentatoire au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, d’autant que la condition fixée en 2014 pour qu’un nouveau scrutin soit organisé, celui du changement de circonstances, a bien eu lieu avec le Brexit.

 

Nous voyons mal la Cour suprême s’engager en faveur de la seconde option. Si elle a montré de la bonne volonté en acceptant qu’une audience se tienne et en faisant droit à la demande d’intervention du SNP, le président de la juridiction a, lors de l’ouverture des débats le 11 octobre, créé la surprise en indiquant que le jugement ne serait pas rendu avant plusieurs mois. Au-delà du caractère inédit et complexe des problèmes soulevés, Lord Reed a sans doute voulu signifier aux autorités écossaises que la réponse de la Cour ne devait pas être simplement considérée comme une brève parenthèse juridique dans la marche vers l’indépendance, mais bien en tant que décision majeure censée ordonner une volonté politique qui souhaiterait s’abstraire en partie du droit.

 

En cas de rejet du recours, que ce soit pour incompétence de la Cour ou de celle du Parlement écossais, la prochaine étape sera sans nul doute les élections générales dont l’interprétation des résultats par Nicola Sturgeon ne pourra faire l’objet que d’une énième dispute politique et juridique, consubstantielle aux velléités d’indépendance dans le cadre d’un État qui s’y oppose. Malgré notre circonspection à l’égard de la démonstration juridique de la Lord Advocate qui soutient la position du gouvernement écossais, force est d’admettre que Nicola Sturgeon a su construire une stratégie juridique pleine d’intelligence et de subtilités, faisant honneur à sa formation de juriste à l’université de Glasgow. En effet, elle présente sous un angle original une interrogation classique, mais fondamentale : à partir de quand une intention politique (traduite dans un texte que nul cadre ou procédure juridique n’a encore véritablement saisi) devient-elle du droit, droit dont une juridiction peut juger la légalité ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Inspiré de l’accord entre les travaillistes et les verts en Nouvelle-Zélande, le Bute House Agreement du 31 août 2021 n’est pas un accord de coalition, mais assure principalement l’attribution de postes ministériels à des élus du parti vert écossais et reconnaît des projets politiques communs.

[2] « De quelques interrogations constitutionnelles soulevées par l’éventualité d’un référendum d’indépendance en Écosse », JP Blog, 4 juin 2021.

[3] Northern Ireland Act 1998, para.34 of Schedule 10: Reference by the Attorney General of Northern Ireland [2020] UKSC 2 ; [2020] NI 820 and Reference by the Attorney General of Northern Ireland (No.2) [2019] UKSC 1 ; [2020] NI 793).

[4] Reference by the Lord Advocate of devolution issues under paragraph 34 of Schedule 6 to the Scotland Act 1998.

[5] Lord Reed, Lady Rose, Lord Lloyd-Jones, Lord Sales et Lord Stephens.

[6]R (Miller & others) v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5 (Miller 1) ; R (Miller& others) v The Prime minister ;Cherry and others v Advocate General for Scotland [2019] UKSC 41 (Miller 2).

[7] Les billets publiés sur le UKCL Blog en sont une preuve flagrante (v. en dernier lieu L. Trueblood, “What is the ‘Purpose’ of the Scottish Independence Referendum Bill?”, U.K. Const. L. Blog, 11 octobre 2022).

[8] “How Nicola Sturgeon came up with her Scottish independence battle plan”, The Times, 2 juillet 2022.

[9] V. Eileen McHarg, “Securing Scotland’s independence: Moving beyond process?”, Centre on Constitutional Change website, 1er juillet 2022.

[10] Martin James Keatings against (First) Advocate General for Scotland and (Second) the Lord Advocate [2021] CSIH 25.

[11] Wightman MSP and others for judicial review against the Secretary of state for Exiting the European Union [2018] ScotCS CSOH 61 ; et Cherry, reclaiming motion by Joanna Cherry QC MP and others against the Advocate General [2019] ScotCS CSIH 49.

[12] M. Walters, “Was Dicey Diceyan?” in M. Walters, in. M. Walters, A.V. Dicey and the Common Law Constitutional Tradition: A Legal Turn of Mind, CUP, Cambridge Studies in Constitutional Law, 2020, p. 380 et s.

[13] Re Resolution to Amend the Constitution [1981] 1 SCR 753 (d’ailleurs cité dans Miller 1 au § 141).

[14] V. notre billet « Le jugement Miller, la dévolution et la convention Sewel », JP Blog, 22 février 2017.

[15] Le terme de reference pour les contentieux du SA peut être traduit en anglais juridique par « question préjudicielle ».

[16] D. Torrence, Scottish Independence: legal issues, House of Commons Library, paper CBP 9104, 2022, 102 p.

[17] « De quelques interrogations constitutionnelles soulevées par l’éventualité d’un référendum d’indépendance en Écosse », préc.

[18] The Christian Institute & Ors v The Lord Advocate (Scotland) [2016] UKSC 51 ; Recovery of Medical Costs for Asbestos Diseases (Wales) Bill (Reference By The Counsel General For Wales) [2015] UKSC 3 ; Imperial Tobacco Ltd v The Lord Advocate (Scotland) [2012] UKSC 61 ; AXA General Insurance Ltd v Lord Advocate [2011] UKSC 46 ; Martin v Her Majesty’s Advocate [2010] UKSC 10.

[19] Par ex. Thoburn v Sunderland City Council [2002] EWHC 195 (Admin) ; [2003] QB 151 ; Axa General Insurance ltd. and others v. The Lord Advocate and the Advocate General for Scotland [2011] CSIH 31.

 

 

 

Crédit photo : Colin via Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0