L’élection présidentielle au Brésil et le rôle déterminant joué par le juge électoral

Par Priscilla Soares de Oliveira

<b> L’élection présidentielle au Brésil et le rôle déterminant joué par le juge électoral </b></br></br> Par Priscilla Soares de Oliveira

Le duel très serré entre Bolsonaro et Lula à la dernière élection présidentielle au Brésil a donné lieu à une intense activité du juge électoral, le Tribunal électoral supérieur (T.E.S). Ce billet présente aux lecteurs francophones cette institution et le rôle déterminant qu’elle a joué dans ces journées électorales très « chaudes » afin de garantir la sincérité de l’élection et de protéger la démocratie.

 

The hard fought duel between Bolsonaro and Lula in the last presidential election in Brazil gave rise to intense activity by the Supreme Electoral Court (T.E.S). This commentary presents to French-speaking readers some aspects of this Electoral court within the judiciary organization in Brazil and its decisive role played in these very « turbulent » electoral days in order to guarantee the authenticity of the ballot results of 2022 and protect the Brazilian democracy.

 

Par Priscilla Soares de Oliveira, Avocate au barreau de São Paulo et doctorante en co-tutelle à l’Ecole de Droit de São Paulo (FD-USP) et à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

 

 

Le 22 novembre, la coalition partisane soutenant Jair Bolsonaro a demandé au Tribunal électoral supérieur (T.E.S.) la « vérification extraordinaire » de plus de 280 000 urnes électroniques utilisées dans le second tour des élections présidentielles, le 30 octobre 2022. Elle invoquait notamment des soupçons de « dysfonctionnements » qui auraient empêché la réélection du président sortant qui a perdu face à Luiz Inacio Lula da Silva. Le lendemain, en urgence, le président du T.E.S., Alexandre de Moraes a non seulement rejeté ce recours formulé par la coalition partisane soutenant le président sortant Bolsonaro, mais a, en outre, condamné les requérants, pour demande de « mauvaise foi », à une lourde amende de R$ 22,9 millions, soit environ quatre millions cent cinquante mille euros[1].  

 

Alexandre de Moraes ne s’est d’ailleurs pas arrêté là. En effet, en utilisant divers rapports techniques qui attestent la fierté et la crédibilité des urnes contestées par la coalition « bolsonariste », il a motivé sa décision en se fondant sur « l’absence totale de toute preuve d’irrégularité et l’existence d’un récit totalement frauduleux des faits », ce qui a démontré « la mauvaise foi totale du requérant dans sa demande inhabituelle et illicite, ostensiblement offensante pour l’État de droit démocratique et faite de manière inconséquente dans le but d’encourager les mouvements criminels et antidémocratiques qui, notamment au moyen de menaces et de violences graves, bloquent des routes publiques dans tout le pays ». Ajoutons enfin que le président du T.E.S. a pris une telle décision sans même entendre les défendeurs de la plainte, le président élu Lula, son vice-président Alckimin, et la coalition le soutenant.  Il convient donc de noter que le Président du Tribunal a adopté ces (lourdes) mesures d’office.

 

Dans des « conditions normales » un tel degré d’activisme serait peut-être impensable. Mais ce dernier épisode judiciaire démontre le caractère exceptionnel des mesures judiciaires prises et qui sonnent comme une réponse particulière aux menaces extraordinaires contre l’État de droit démocratique qu’ont fait peser Bolsonaro et ses partisans et auxquelles ont dû répondre tant la Cour suprême du Brésil que le T.E.S. Le présent billet se concentrera néanmoins sur l’action de la justice électorale dans le cadre de ces difficiles élections présidentielles.

 

 

I – Le contexte politique

Rappelons le contexte dans lequel s’est inscrit cette dernière intervention du T.E.S. Le dimanche 30 octobre 2022, les yeux du monde (ou du moins une bonne partie d’entre eux) étaient tournés vers le Brésil, où était organisé le second tour de ses élections présidentielles opposant le président sortant Bolsonaro à l’ancien président Lula.

 

L’organisation d’un second tour de scrutin découle des dispositions de la Constitution fédérale de 1988 qui établissent pour critère décisif d’une victoire électorale la majorité absolue des voix pour l’élection du Président et du Vice-Président de la République (article 77, caput, §2 et §3) ; du Gouverneur et du Vice-Gouverneur de chacun des États fédéraux (article 28, caput) et du District Fédéral (article 32, §2) ; et du Maire et du Vice-Maire des municipalités comptant plus de deux cent mille électeurs (article 29, II)[2]. En d’autres termes, pour l’accession aux fonctions exécutives[3], le système électoral majoritaire absolu est en vigueur aux trois niveaux de la fédération (fédéral, étatique et municipal), sauf pour les municipalités de moins de 200 000 électeurs, dans lesquelles le système majoritaire simple ou relatif est en vigueur.

 

Selon le critère de la majorité absolue, il ne suffit pas d’obtenir plus de voix que ses adversaires : pour être élu, que ce soit au premier ou au second tour, il faut obtenir plus de la moitié des voix valables (sans compter les bulletins blancs et nuls). Par conséquent, si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des votes valables au premier tour des élections – qui a lieu le premier jour d’octobre – une nouvelle élection doit être organisée dans les 20 jours suivant l’annonce du résultat, opposant cette fois les deux candidats ayant obtenu le plus de votes[4]. Ces règles expliquent ainsi le duel entre Bolsonaro et Lula.

 

Ainsi, lors du 1er tour qui s’est tenu le 2 octobre, alors que de nombreux sondages annonçaient une victoire de Lula dès le premier tour, le candidat du Parti des travailleurs (PT) et leader de la gauche dans le pays n’a obtenu « que » 48,43% des votes valables[5] (57 259 504 votes). En revanche, Bolsonaro, président sortant, candidat à sa réélection pour le Parti libéral (PL) et représentant de l’extrême droite au Brésil, a obtenu 43,2 % des votes valables (51 072 345 voix). Dès lors, aucun des candidats n’ayant obtenu plus de la moitié des voix valables, l’élection définitive du nouveau Président de la République a dû être reportée au second tour.

 

Au second tour, le 30 octobre, la lutte féroce opposant les deux candidats n’a été tranchée qu’au moment du dépouillement. Finalement, Lula, le favori des sondages a obtenu la majorité absolue mais de manière très serrée, en l’emportant avec 50,9% des suffrages valables[6] (60.345.999 voix), contre 49,1% pour le président sortant ultraconservateur (58.206.354 voix). La victoire de Lula, bien que  « moins triomphale que prévu »[7], « [a] sonn[é]e en effet comme un soulagement planétaire »[8], notamment pour tous les partisans de la démocratie et de la défense de l’environnement.

 

Si la participation des électeurs au second tour fut remarquable, l’objet de ce billet est d’attirer l’attention sur cet autre acteur majeur qui a été le Tribunal supérieur électoral (TSE) – la plus haute Cour de justice électorale au Brésil. On peut affirmer qu’elle a permis d’assurer des « élections libres, justes et crédibles»[9] et de surmonter tous les incidents (et il y en avait plusieurs) ayant eu lieu lors de cette ultime course à la présidentielle. Avant de le démontrer, il faut néanmoins présenter cette institution.

 

 

II –  Le contexte institutionnel

Pour comprendre cette institution spécifique, il faut noter d’abord qu’au Brésil, il n’y a pas d’ordre juridictionnel administratif autonome. Même si la Constitution de la République fédérative du Brésil adopte aussi et explicitement la tripartition des pouvoirs, « mutuellement indépendants et en harmonie » (Art. 2°), l’option du constituant brésilien fut de choisir le système de l’unicité juridictionnelle, où seul le pouvoir Judiciaire peut, en dernier ressort, interpréter et appliquer les lois aux cas concrets et résoudre les contentieux entre les citoyens, les entités et l’État (Art. 5°, XXXV). Dans ce cadre, l’administration est jugée comme un particulier devant les juridictions ordinaires (« l’ordre judiciaire »).

 

L’ordre judiciaire brésilien, assez complexe, s’organise à partir de la division entre les juridictions de droit commun et les juridictions spécialisées. La Constitution de la République Fédérative du Brésil – la troisième plus longue du monde – consacre un chapitre entier (contenant plus de trente articles) à l’organisation du pouvoir judiciaire. Selon le texte constitutionnel et son interprétation par la doctrine juridique, on peut dire que la juridiction de droit commun est constituée par les organes du Pouvoir judiciaire parmi lesquels figurent le Tribunal supérieur de justice (art. 92, II) ; les tribunaux fédéraux régionaux et les juges fédéraux (art. 92, III); mais également les tribunaux et les juges des Etats, du District fédéral et des Territoires (art. 92, VII). En revanche, relèvent de la juridiction spécialisée les tribunaux et les juges du travail (art. 92, IV); les tribunaux et les juges électoraux (art. 92, V) et les tribunaux et les juges militaires (art. 92, VI). Les affaires de tous ces organes, des juridictions de droit commun et de droit spécialisé, sont soumises au Tribunal fédéral suprême, la plus haute Cour du pays (art. 92, I), dont les compétences attribuées par la Constitution « sont à la fois celle de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel »[10].

 

On peut dire ainsi qu’au Brésil, c’est surtout la nature de la matière jugée qui détermine les juridictions spécialisées, lesquelles sont normalement prévues par la Constitution et régies par un une loi spéciale réglant la répartition des compétences et les litiges qui leur sont expressément attribués. Alors, ce que l’on nomme « Justice Électorale » figure, parmi d’autres, comme une juridiction spécialisée dans l’organisation judiciaire brésilienne, et s’est développée à partir et autour des textes, tribunaux, Cours et institutions propres..

 

La Justice électorale est principalement régie par la Constitution fédérale et par le Code électoral (Loi n. 4.737, du 15/07/1965), en vertu desquelles elle est responsable de l’organisation de l’ensemble du processus électoral, du moment de l’inscription électorale à la certification des élus, en passant par le déroulement de l’élection elle-même, le comptage et la totalisation des votes et aussi par la solution des éventuels litiges. Afin d’assurer sa mission institutionnelle, elle concentre ainsi plusieurs fonctions et/ou compétences : compétence administrative, juridictionnelle, et aussi normative et consultative – lesquelles lui donne sa marque très particulière par rapport à d’autres juridictions.

 

Premièrement, en ce qui concerne la compétence administrative des tribunaux électoraux, il leur est attribué de gérer l’ensemble du processus électoral. Cela comprend notamment la gestion de l’inscription électorale, le transfert du domicile électoral, ainsi que l’adoption de mesures visant à prévenir la pratique de la propagande électorale irrégulière.

 

En ce qui concerne la fonction juridictionnelle, le juge électoral agira pour résoudre les conflits chaque fois qu’il sera judiciairement amené à appliquer la loi, ce qui se produit principalement à travers l’introduction (i) d’un arrêt d’investigation judiciaire électorale (AIJE) ; (ii) d’un arrêt en contestation de mandat électif (AIME) ; (iii) d’un arrêt en contestation d’enregistrement de candidature (AIRC), et dans les représentations contre les propagandes électorales irrégulières.

 

En ce qui concerne la fonction normative attribuée à la Justice électorale – la plus atypique de ses compétences – elle est explicitement prévue par le Code électoral. En vertu de ce pouvoir, certains organes de la justice électorale sont autorisés à émettre des instructions pour orienter l’application des lois électorales (y compris le Code électoral) et ils le font par voie de « Résolutions ». À titre d’exemple, il convient de citer les Résolutions qui prévoient les modalités de collecte et de dépense des ressources financières des partis politiques, des candidats et des comités financiers pendant une élection spécifique, ainsi que l’obligation de rendre compte des dépenses et du processus de contrôle.

 

Les compétences et fonctions de la Justice électorale sont distribuées parmi ses organes constitutifs, disposées selon la structure pyramidale suivante : 1/ le Tribunal électoral supérieur, qui siège dans la capitale fédérale et dotée d’une juridiction sur tout le territoire national ; 2/ les Tribunaux électoraux régionaux, avec un Tribunal pour chaque état fédératif et un pour le District Fédéral (donc 27 Tribunaux régionaux en tout) ; 3/ à la base de cette pyramide, on retrouve les juges électoraux et les Conseils électoraux.

 

Enfin, le T.E.S est un Tribunal différent de la Cour fédérale suprême. Celle-ci, est responsable, par excellence, des litiges d’ordre constitutionnel et l’on peut dire qu’elle remplit l’équivalent des compétences attribuées au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État – y compris le contrôle de constitutionnalité, par la voie du contrôle concentré et diffus, sur les lois et les actes de niveau fédéral ; et notamment les arrêts concernant le Président de la République, grâce au « privilège de juridiction » qui lui est assurée.

 

De son côté, le T.E.S, entretient une liaison étroite avec la Cour suprême en raison de sa composition et aussi en raison du fait qu’il est soumis, quoique de façon assez circonscrite, à la juridiction de celle-ci. Il est composé d’au moins sept membres, parmi lesquels trois juges proviennent du Tribunal fédéral suprême et sont élus pour siéger au T.E.S par leurs pairs. Aujourd’hui, sont communs au T.E.S et à la Cour suprême les ministres Alexandre de Moraes (Président du Tribunal électoral supérieur), Enrique Ricardo Lewandowski (Vice-Président du Tribunal électoral supérieur) et Cármen Lúcia Rocha. Les autres membres sont choisis parmi ceux du Tribunal supérieur de justice (deux juges), ainsi que parmi six avocats désignés par le Tribunal fédéral suprême (deux juges). Par ailleurs, les décisions du Tribunal électoral supérieur sont insusceptibles de recours, sauf celles qui seraient contraires à la Constitution et celles refusant la concession de l’habeas corpus ou d’une ordonnance de sûreté. De telles décisions seraient réévaluées par le Tribunal fédéral suprême.

 

 

III– Le rôle spécifique du Tribunal électoral supérieur en octobre 2022

Lors des dernières élections présidentielles, le Tribunal électoral supérieur a joué un rôle tout à fait décisif dans le bon déroulement du processus électoral, se posant alors en garant de la sincérité du scrutin, condition de la démocratie. Ce rôle est apparu en effet indispensable compte-tenu du contexte suscité par la présidence Bolsonaro.

 

En effet, tout au long de ses quatre années de mandat (2019-2022), le président sortant et ses partisans ont multiplié les attaques de toutes sortes contre non seulement leurs adversaires politiques, mais surtout des institutions centrales dans un État de droit démocratique. Ainsi ont-ils dénoncé sans relâche la Cour suprême, le T.ES. lui-même et son président, Alexandre de Moraes.

 

Parmi le florilège de ces attaques, on peut retenir notamment l’accusation de partialité des institutions judiciaires, la remise en cause de la crédibilité des urnes électroniques[11], sans compter le fait que Bolsonaro et ses proches ont incité à ne pas respecter certaines décisions judiciaires et ont de façon récurrente fait planer la menace d’une intervention potentielle des forces armées, présentées comme la seule institution véritablement fiable. En outre, depuis la campagne électorale de 2018 (qui a conduit Bolsonaro à la tête du pays), les mêmes personnes ont mis au point une « fabrique » complexe et sans précédent de désinformation et de fake news via les réseaux sociaux[12], largement utilisées par le clan Bolsonaro.

 

En raison de telles pratiques attentatoires à la démocratie, le T.E.S. et la Cour suprême ont dû lutter contre la désinformation. En ce qui concerne spécifiquement le premier, dans la perspective des élections de 2022, il a mis en œuvre le « Programme permanent de lutte contre la désinformation », en vertu duquel des accords de coopération ont été conclus entre le tribunal et les plateformes numériques – Twitter, TikTok, Facebook, WhatsApp, Google, Instagram, YouTube, Spotify, LinkedIn et Kwai – afin de lutter de façon coordonnée contre les fake news[13].

 

De façon plus normative, le T.E.S. a élaboré et approuvé la Résolution 23671/2021 qui a durci les dispositions spécifiques pour réprimer la désinformation dans la propagande électorale. L’article 9 de cette Résolution impose aux candidats ou aux partis l’obligation de vérifier la fiabilité de l’information préalablement à toute diffusion de contenu dans le cadre de la propagande électorale, sous peine d’ouvrir un droit de réponse aux personnes concernées par la diffusion de faux contenus – ce qui signifie plus de temps de propagande aux opposants –, outre une éventuelle responsabilité pénale. De plus, les abus peuvent également être sanctionnés par des amendes, et les tribunaux électoraux peuvent ordonner le retrait des contenus abusifs des sites web et des réseaux sociaux.

 

La loi rend également illégal l’envoi massif de contenu électoral par SMS (sans le consentement préalable du destinataire), qui peut être sanctionné comme un abus de pouvoir économique et une publicité irrégulière, passible d’amendes, voire entraîner la cassation de la candidature et l’inéligibilité.

 

Ces initiatives n’ont pas semblé suffisantes. Dans une communiqué publié[14], lors des élections de cette année, de Moraes estime qu’il y a eu (1) une augmentation de 1 671 % du volume de rapports de désinformation transmis aux plateformes numériques par rapport aux élections de 2020 ; (2) la nécessité de 130 nouvelles clarifications sur des cas de désinformation concernant la régularité du processus électoral ; et (3) une croissance exponentielle des épisodes de violence politique via les réseaux sociaux, précisément une augmentation de 436 % par rapport aux élections de 2018. Ces chiffres ont donc justifié l’élargissement et durcissement des mesures adoptées par le tribunal électoral pour lutter contre la désinformation, ce qui l’a d’ailleurs conduit à publier une nouvelle Résolution à 10 jours du second tour (Résolution n° 23.714/2022).

 

On n’entrera pas dans le détail de ces mesures, mais il suffit de dire qu’elles étendaient le pouvoir d’agir d’office contre les fausses informations et la désinformation liées à l’élection. En d’autres termes, elles visaient à prévoir la faculté accordée au président du T.E.S. de supprimer les comptes véhiculant des contenus faux, ou encore celle de suspendre temporairement des profils qui publient de manière répétée des informations fausses ou décontextualisées sur le processus électoral ou enfin l’interdiction de diffuser de la propagande électorale sur Internet 48 heures avant et 24 heures après l’élection.

 

Si le T.E.S fut « pro-actif » dans cette lutte contre les fakes news et la désinformation, il fut aussi sollicité en tant que juge par de nombreux recours déposés devant lui. Ainsi, les avocats de Lula par exemple ont déposé 313 recours, dont 171 concernaient la propagande électorale irrégulière et 109 des demandes de droit de réponse. L’action judiciaire spécifique devant la justice électorale  — appelée – recours d’investigation judiciaire électorale (AIJE)[15] fut donc largement mobilisée et a principalement, ciblé la candidature de Bolsonaro. On a notamment reproché au président sortant – outre le recours systématique à la désinformation – l’utilisation de sa position de chef de l’Etat à des fins électorales, ou encore ses constantes déclarations antidémocratiques.

 

Grâce aux injonctions émises par le T.E.S. dans le cadre de ces pouvoirs, Bolsonaro n’a pas pu montrer les images de son discours lors des célébrations de l’indépendance du Brésil le 7 septembre, considéré comme de la propagande électorale ; il n’a pas davantage pu utiliser les enregistrements de réunions avec des ambassadeurs au cours desquelles il a répété des mensonges sur l’urne électronique ; ni les enregistrements de sa déclaration auprès de ses partisans à Londres à l’occasion de sa participation à la veillée funèbre de la reine Elizabeth II. On pourrait multiplier les exemples à propos de ces interventions judiciaires[16]. Malgré sa lourde activité, le T.E.S n’a pas pu « solder » l’ensemble des recours. Il y aurait encore au moins 15 AIJE en attente de jugement, 11 contre le président sortant Bolsonaro et 4 contre le président élu Lula. S’ils étaient jugés bien fondés, ils pourraient entraîner une inéligibilité de huit ans, en plus de l’annulation de l’inscription ou du diplôme du candidat.

 

Enfin, il serait injuste de ne pas signaler le rôle tout à fait décisif du président Alexandre de Moraes lors du déroulement du second tour du scrutin présidentiel. C’est à lui que revient le mérite d’avoir réussi à dissuader des opérations semblables à une sorte de coup d’État qui eurent lieu tant la veille que le jour du scrutin du second tour. Deux exemples peuvent l’établir. D’une part, réagissant à une sollicitation du parti de Lula — le Parti des Travailleurs (PT), – il a exigé des explications urgentes sur les raisons pour lesquelles les forces de police de la route fédérale (PRF) avaient lancé une série d’opérations imprévues, dans plusieurs États fédérés, qui ont provoqué des embouteillages dans des endroits où les électeurs se déplaçant étaient censés, selon les sondages, être des électeurs de Lula. D’autre part, quelques heures avant l’ouverture des bureaux de vote, il a interdit à la police de mener toute opération liée aux transports publics jusqu’à la fin des élections, sous peine d’encourir des poursuites pénales pour désobéissance à la loi.

 

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Comme on s’en doute, les commentateurs sont divisés quant à l’appréciation à donner à cet activisme du juge électoral brésilien dans cette circonstance. Certains s’inquiètent des éventuels excès d’un tel juge et n’hésitent pas y voir la trace de l’introduction au Brésil de la thèse allemande de la « démocratie militante »[17]. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas ignorer le rôle fondamental que le Tribunal électoral a joué lors des présidentielles de 2022.

 

 

 

*Je remercie le Professeur Olivier Beaud pour sa relecture et ses remarques si précieuses que fondamentales.

[1] Ce montant représente 46% du montant perçu par le Parti Libéral de Bolsonaro au cours des dix premiers mois de 2022. Si l’on considère les deux autres légendes de la coalition, le PP et les Républicains, la pénalité représente environ 15% du total reçu par les trois partis dans cette période. Cette somme provient d’un fonds particulier alimenté par les crédits du budget fédéral, les amendes, les pénalités, les dons et les autres ressources financières allouées par la loi aux partis.

[2] L’élection du Président et du Vice-Président de la République a lieu simultanément, et l’élection du titulaire vaut pour l’élection du Vice-Président auprès duquel il est inscrit. La même règle s’applique à l’élection des Gouverneurs et des Vice-Gouverneurs, ainsi que des Maires et des Vice-Maires.

[3] En ce qui concerne les postes législatifs, c’est le système proportionnel qui prévaut, système utilisé pour les élections de député fédéral, de député d’État, de député de district (se référant au district fédéral) et de conseiller municipal. Toutefois, une exception importante concerne les élections du Sénat fédéral, qui sont régies par le système majoritaire simple (art. 46).

[4] Voir l’article 77, caput, § 2° et §3° de la Constitution de la République Fédérative du Brésil.

[5] Au premier tour, 118 229 719 votes valables ont été enregistrés : sur l’univers total de 123 682 372 votes, 3 487 874 votes nuls (2,82%) ont été écartés ; et 1 964 779 votes blancs (1,59%). Données obtenues sur le site du Tribunal Supérieur Electoral (TSE) consacré à la divulgation des résultats officiels : https://resultados.tse.jus.br/oficial/app/index.html#/eleicao;e=e544/resultados/cargo/1.

[6] Au second tour, 118 552 353 votes valables ont été enregistrés : sur l’univers total de 124 252 796 votes, 3 930 765 votes nuls (3,16%) ont été écartés ; et 1 769 678 votes blancs (1,43%). Données obtenues sur le site du Tribunal Supérieur Electoral (TSE) consacré à la divulgation des résultats officiels : https://resultados.tse.jus.br/ oficial/app/index.html#/eleicao;e=e545/resultados/cargo/1.

[7] En référence à la nouvelle publiée sur Le Monde du 31 octobre 2022, dont le titre « Election de Lula au Brésil : de la prison à la présidence, un retour spectaculaire mais moins triomphal que prévu » , disponible sur https:// www.lemonde.fr/international/article/2022/10/31/election-au-bresil-de-la-prison-a-la-presidence-un-retour-spectaculaire-mais-moins-triomphal-que-prevu-pour-lula_6147973_3210.html.

[8] En paraphrasant le titre de l’Éditorial du journal Le Monde paru le 31 octobre 2022, « Election de Lula au Brésil : un soulagement planétaire » disponible sur https://www.lemonde.fr/idees/ article/2022/10/31/election-de-lula-au-bresil-un-soulagement-planetaire_6147989_3232.html

[9] Formule du président américain Joe Biden dans son communiqué, saluant la victoire de Lula.

[10] Pour aller plus loin dans le sujet du Tribunal fédéral suprême : « Présentation du Tribunal fédéral suprême et place dans le système judiciaire brésilien ». Disponible sur https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/presentation-du-tribunal-federal-supreme-et-place-dans-le-systeme-judiciaire-bresilien

[11] Alors que le système adopté dans le pays depuis 1996 est considéré comme l’un des plus sûrs au monde.

[12] En utilisant comme outils les systèmes de boosting et de déclenchement automatique, le recours aux robots, aux faux profils et même aux milices numériques…

[13] Le partenariat a consolidé l’engagement en faveur de la diffusion de contenus fiables et de l’éducation aux médias, mais a également prévu la formation d’une coalition permanente pour vérifier l’information, l’utilisation de ressources technologiques pour s’attaquer au problème ; la création d’une chaîne pour signaler les fusillades de masse ; la formation d’un réseau pour surveiller les pratiques de désinformation contre le processus électoral ; ainsi que le renforcement du dialogue avec d’autres organes clés du système judiciaire (comme la police fédérale et le Ministère public électoral).

[14] https://www.tse.jus.br/comunicacao/noticias/2022/Outubro/tse-aprova-resolucao-para-dar-mais-efetividade-ao-combate-a-desinformacao-no-processo-eleitoral

[15] L’objectif des AIJE est d’enquêter sur l’utilisation abusive, le dévoiement ou l’abus du pouvoir économique ou politique, ou l’utilisation abusive de véhicules ou de moyens de communication sociale, au profit d’un candidat ou d’un parti politique

[16] Ainsi des décisions d’urgences dans les AIJE, le Tribunal électoral supérieur a interdit l’utilisation de la résidence officielle de la Présidence (« Palácio da Alvorada ») et du siège de travail (« Palácio do Planalto ») par Bolsonaro pour appeler à voter en sa faveur lors de diffusions en direct.

[17] Voir sur ce point, le dernier billet paru sur le blog de Jus Politicum et rédigé par le Professeur Schaks : https://blog.juspoliticum.com/2022/11/23/vers-la-democratie-constructive-une-future-loi-sur-la-promotion-de-la-democratie-en-allemagne-la-demokratieforderungesetz-par-nils-schaks/

 

 

Crédit photo: Alejandro Zambrana/secom/Tribunal Superior Eleitoral/Domaine public CC0 1.0/ Le président du T.E.S. Alexandre de Moraes